12.12.2024
« La Russie et V. Poutine ont gagné la bataille des images »
Presse
9 juillet 2018
Pour l’instant, tout va bien pour le pays organisateur et son chef suprême et pour plusieurs raisons. D’une part, il n’y a pas d’incidents, pas de violence, mais on s’y attendait. Les responsables russes savaient qu’il y avait un danger de hooliganisme depuis les incidents et le drame de juillet 2016 à l’Euro en France (Un supporter britannique avait été tabassé à Marseille à coups de barre de fer, en marge du match Angleterre-Russie, le 11/06/2016. Un autre supporter britannique avait été également grièvement blessé). Toutes les précautions ont été prises, les possibles hooligans ont été très sévèrement mis en garde contre le moindre débordement, Vladimir Poutine n’aurait pas toléré le plus petit écart sur le sujet afin de ne pas donner une image négative de la Russie. Donc, sur ce point, c’est pour l’heure une réussite, puisqu’il n’y a pas eu la moindre bagarre, tout se passe dans le calme.
Il n’y a pas eu non plus de débordements racistes. C’était une seconde crainte, plus difficile à contrôler : les tribunes russes sont parfois pleines de supporters racistes qui sifflent, voire insultent et injurient les joueurs noirs, même ou surtout s’ils appartiennent à leur club. Mais pendant cette Coupe du monde, aucune équipe africaine ni aucun joueur de couleur n’a été injurié. Il s’agissait là d’un défi plus important encore, car si on peut assez facilement surveiller ce qui se passe dans la rue, c’est plus difficile de contrôler les tribunes d’un stade, on le sait d’expérience, mais là aussi, on peut dire que la dissuasion a joué et que les Russes se sont tenus de façon très correcte en ce qui concerne l’accueil des équipes étrangères.
Pour monter en grade au niveau des bonnes surprises, il faut signaler par ailleurs que tous les supporters étrangers qui ont fait le déplacement en Russie se disent ravis de l’accueil qui leur est réservé. Les Russes ne sont pas connus pour avoir une tradition d’accueil très développée, tout pourtant se passe bien, les supporters sont bien accueillis et la Russie donne une image attachante, accueillante qu’elle n’a pas toujours. C’est donc un point important. Et avec des stades qui sont magnifiques, la Russie donne l’image d’un pays qui fonctionne, d’un pays moderne, qui est à l’heure de ce rendez-vous et, cerise sur le gâteau, alors qu’il y avait des craintes que la sélection russe ne se qualifie pas à l’issue de la phase de groupes, elle a atteint les quarts de finale (élimination aux tirs au but face à la Croatie en quart de finale, le 07/07/2018), ce qui la classe parmi les huit meilleures équipes du monde. Et puis, perdre aux tirs au but en quart contre la Croatie (2-2, 3-4 aux tirs au but) n’a rien de déshonorant, bien au contraire. Les Russes se sont réconciliés avec leur équipe de football, ils en sont désormais fiers, alors qu’ils avaient peur d’en avoir honte.
La Russie a dominé l’Espagne en huitième de finale (1-1, 4-3 aux tirs au but), ce qui n’était pas une mince affaire ! Alors qu’atteindre les huitièmes de finale était déjà considéré comme un succès. D’ailleurs, Vladimir Poutine, prudemment, se n’était pas rendu à Russie-Espagne, c’était une petite erreur de sa part, mais qui prouve qu’il ne nourrissait pas un grand espoir quant au résultat.
D’un point de vue diplomatique, il y a eu le boycott des Anglais, des Islandais et des Polonais, mais d’autres sont venus, comme le prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohamed ben Salman, qui était là pour le match d’ouverture, le président du Sénégal, Macky Sall, ou Emmanuel Macron qui est à Saint-Pétersbourg ce mardi (10/07/2018) : Vladimir Poutine peut faire des relations publiques au cours de cette Coupe du monde. C’est donc pour Vladimir Poutine un franc succès.
Un franc succès qui ne vous étonne donc pas, dites-vous ?
Je l’ai dit avant le Mondial, on pouvait parier que les questions de hooliganisme seraient réglées, que les questions de racisme le seraient aussi très probablement. En revanche, l’inconnue -et donc la bonne surprise-, c’est l’accueil par la population et les résultats de la sélection nationale.
Il y a aussi un aspect qu’il ne faut pas négliger à l’heure du bilan, c’est le terrorisme. Même s’il y a une spécificité russe, liée à la situation dans le Caucase et à la Syrie, aujourd’hui, tout organisateur d’un grand événement sportif respire un grand coup quand il se termine sans qu’il y ait un attentat. Mais il n’y a pas eu d’attentat pendant l’Euro 2016, il n’y en a pas eu au Brésil (Coupe du monde 2014 et Jeux Olympiques 2016). Aujourd’hui, quelle que soit la configuration géopolitique particulière de chaque pays, le budget n° 1 de tout grand événement mondialisé est la sécurité. Cela peut avoir une connotation particulière avec la Russie, mais je suis allé au Brésil pour la Coupe du monde et pour les JO et même si le Brésil n’est pas une victime potentielle du terrorisme, le déploiement policier et sécuritaire était extrêmement fort, par prudence. Tout événement est aujourd’hui extrêmement contrôlé et si demain, il y a des Jeux Olympiques sur l’île de Pâques, le budget sécurité sera le plus important.
Au niveau de la politique intérieure russe, quels bénéfices peut tirer Vladimir Poutine de cette XXIeCoupe du monde ?
Il a forcément un bénéfice pour lui, pour deux raisons. La première, c’est que les Jeux Olympiques d’hiver, comme ceux de Sotchi en 2014, n’ont pas la stature d’une Coupe du monde ou de Jeux Olympiques d’été. Donc là, la Russie de Vladimir Poutine accueille l’un des plus grands événements mondiaux, elle accueille le monde et c’est lui qui avait obtenu en 2010 l’organisation de cette Coupe du monde (le 02/12/2010), à une époque où il était Premier ministre. Donc, grosso modo, que son pays organise la Coupe du monde et qu’elle se passe bien, c’est sa victoire.
Deuxièmement, le fait que la sélection russe marche bien, cela va faire du bien au moral du pays, surtout que Vladimir Poutine vient de retarder de façon assez drastique l’âge de la retraite, une mesure extrêmement impopulaire en Russie. Cette Coupe du monde va augmenter l’estime de soi des Russes et donner une fierté nationale à un peuple qui y est très sensible, au moment où il y a une vraie contestation politique vis-à-vis de Vladimir Poutine, de par sa réforme des retraites.
Au niveau international, n’a-t-on pas là une magnifique démonstration de soft power et de ce que peut apporter un événement sportif bien au-delà des frontières du sport ?
Complètement ! La Russie donne l’image d’un pays moderne, qui sait recevoir, qui est doté de solides infrastructures, dans lequel la sécurité règne et on peut penser que cela peut avoir des effets positifs pour la fréquentation touristique de la Russie. On peut dire que la Russie a gagné la bataille des images à l’occasion de cette Coupe du monde 2018.
Les stades sont magnifiques, mais ont coûté cher. Cependant, dans un pays comme la Russie, il n’y a pas eu de contestations contre les sommes dépensées…
A part deux d’entre eux, ces stades seront utiles après la Coupe du monde. Comme cela a été le cas en Afrique du Sud (Coupe du monde 2010) ou au Brésil (Coupe du monde 2014), mais pas en France (Euro 2016), il y a deux ou trois stades qui n’ont pas d’équipe résidente et qui sont en surcapacité.
En Russie, il y a eu aussi des travaux sur des infrastructures comme les aéroports notamment et cela servira ensuite. On estime le coût de cette Coupe du monde à 20 milliards d’euros : c’est beaucoup, mais il y a une part de prestige et par ailleurs une part d’infrastructures qui demeurent. En outre, ce n’est pas ça qui va créer une crise économique en Russie.
La Russie a instauré pour cette Coupe du monde la Fan ID, une carte d’identité de supporter qui sert de visa. La FIFA réfléchit à reproduire l’expérience lors des futures Coupe du monde…
C’est très novateur, car il est très compliqué d’avoir un visa pour la Russie. La procédure est assez longue, les Russes veulent appliquer, notamment aux Européens, les mêmes difficultés que celles que nous imposons à leurs citoyens pour venir en France ou en Europe. Donc cette procédure novatrice de la Fan ID permet d’accueillir du monde sans trop de restrictions. Quand on s’engage à organiser une Coupe du monde, il faut quand même pouvoir accueillir les supporters. Tous les pays n’ont pas la même politique de visas, c’est une compétence nationale et pour chacun, les règles varient aussi selon les nationalités d’origine. Il s’agit donc d’une très grande novation qui pourra être utile à l’avenir et qui allie souplesse et sécurité.
En avril 2013, à 14 mois donc de la Coupe du monde 2014 au Brésil, Jérôme Valcke, alors secrétaire général de la FIFA, avait déclaré : « Je vais dire quelque chose de fou, mais un moindre niveau de démocratie est parfois préférable pour organiser une Coupe du monde. Quand on a un homme fort à la tête d’un Etat qui peut décider, comme pourra peut-être le faire Poutine en 2018, c’est plus facile, pour nous les organisateurs, qu’avec un pays comme l’Allemagne où il faut négocier à plusieurs niveaux. » Qu’en pensez-vous ?
C’est une déclaration qui est à la fois malheureuse et idiote. Elle est malheureuse parce qu’elle peut donner à penser que le sport est lié aux dictatures, ce qui est historiquement inexact. Et surtout cela signifierait que les démocraties sont inefficaces, à l’inverse des pouvoirs autoritaires, alors qu’on peut avoir des pouvoirs totalitaires totalement inefficaces. Ce qui est en cause, ce n’est pas le niveau de démocratie, c’est le niveau de corruption d’un pays. Or, la corruption peut très bien exister dans un pays non-démocratique.
Ce qui compte, c’est l’efficacité de l’administration dans la prise de décisions. Ce qui était en cause au Brésil, c’était son niveau de corruption, qui a retardé beaucoup de chantiers, etc., pour faire monter les prix. L’Euro 2016 s’est bien passé et la France n’est pas une dictature, les Jeux Olympiques de Londres en 2012 se sont très bien passés et la Grande-Bretagne est une démocratie, Tokyo 2020 et Paris 2024 se passeront bien, donc Jérôme Valcke a dit une idiotie, il s’est trompé sur tous les plans, il a donné une très mauvaise image du sport et a dit de surcroit une contre-vérité.
Est-ce que vous émettriez des réserves concernant cette Coupe du monde en Russie ?
La seule ombre au tableau concerne la tentative de récupération par Ramzan Kadirov, le président ultra répressif de Tchétchénie, de l’équipe égyptienne, basée à Grozny pour la Coupe du monde, et de sa star, Mohamed Salah, avec la complicité active des dirigeants égyptiens. Salah en a été tellement indisposé qu’il a menacé de ne plus jouer pour l’équipe nationale égyptienne. Ce hold-up médiatique a d’ailleurs été contreproductif parce qu’on a de fait plus évoqué les aspects peu reluisants du régime de Kadirov.