06.11.2024
Déclaration commune de paix et d’amitié entre l’Ethiopie et l’Erythrée : quels enjeux pour la Corne de l’Afrique ?
Interview
11 juillet 2018
Après plus de 20 ans de conflit, l’Éthiopie et l’Érythrée ont signé une déclaration commune, ce lundi 9 juillet, ouvrant « une nouvelle ère de paix et d’amitié ». Cet accord historique prévoit une reprise des relations bilatérales, une intensification du commerce et la mise en œuvre de l’accord d’Alger sur le respect des frontières entre ces deux États de la Corne de l’Afrique. Le point sur la situation avec Patrick Ferras, directeur de l’Observatoire de la Corne de l’Afrique, enseignant à IRIS Sup’.
Après plus de vingt ans de guerre, l’Éthiopie et l’Érythrée ont signé une « déclaration conjointe de paix et d’amitié ». Pourquoi ce rapprochement diplomatique s’effectue-t-il aujourd’hui ? Quels obstacles les pays vont-ils devoir surmonter ?
Le nouveau Premier ministre éthiopien[1] en poste depuis quatre mois, Abiy Ahmed, avait fait lors de son discours d’investiture une déclaration sur la situation de « ni paix, ni guerre » entre les deux États et s’était engagé à mettre fin définitivement au conflit de 1998-2000. La venue à Addis-Abeba d’une délégation érythréenne le 26 juin appelait une réciprocité qui avait été annoncée à l’issue des premières réunions. Le déplacement du Premier ministre éthiopien en Érythrée scelle donc la mise en place effective d’un processus de règlement de la situation avalisé par les deux États.
Les communications téléphoniques ont été rétablies, l’ouverture de liaisons aériennes entre Addis-Abeba, Asmara et Maqalé (capitale du Tegray, Région-État frontalière de l’Érythrée) se fera en août, des rencontres entre artistes éthiopiens et érythréens dans les deux capitales et d’autres villes éthiopiennes se dérouleront prochainement (avant le nouvel an éthiopien, le 11 septembre). Le port d’Assab sera rapidement ouvert pour l’Éthiopie, aucun visa ne sera nécessaire pour entrer en Érythrée pour les Éthiopiens, et l’Érythrée ouvrira son ambassade en Éthiopie en septembre. Les discussions sur l’application totale des Accords d’Alger (signés le 12 décembre 2000 concernant la délimitation de la frontière commune) vont avoir lieu.
Les relations diplomatiques s’ouvrent, les transports et les déplacements vont être possibles. Petit à petit, les obstacles que l’on croyait insurmontables, il y a six mois, sont franchis.
Les États-Unis, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont parrainé la déclaration de paix après avoir négocié cette possible réunification. Quelles sont les raisons de leur implication dans la région de la Corne de l’Afrique ? La réunification entamée entre ces deux frères ennemis va-t-elle pouvoir insuffler un esprit de paix au-delà de la Corne de l’Afrique, notamment entre l’Égypte et le Soudan ?
Ces trois États ont toujours eu des relations privilégiées avec la Corne de l’Afrique, pour des raisons géopolitiques, économiques et sécuritaires. Toutefois, il ne faut pas surestimer leur rôle dans cette déclaration commune de paix et d’amitié. L’Éthiopie et l’Érythrée sont des États souverains. Isaias Afwerki attendait un signe positif depuis longtemps. Abiy Ahmed l’a fait. Ce que les deux dirigeants ont montré en termes de relations internationales, c’est que les États restent maîtres de leur destinée et qu’il suffit parfois de bonne volonté pour que les situations trouvent une solution. C’est, à mon avis, le signal très positif qu’envoient l’Éthiopie et l’Érythrée à destination de l’ensemble de la Corne de l’Afrique et même vers l’ensemble du continent africain.
En revanche, on ne peut que constater l’inefficacité des organisations régionales ou continentales sur ce dossier comme d’autres (Soudan du Sud, République arabe sahraouie démocratique). L’acteur principal des relations internationales reste l’État.
L’Érythrée est aujourd’hui considérée comme un des pays les plus autoritaires et fermés. En quoi cet accord peut-il influer sur la situation du pays ?
En signant une déclaration de paix et d’amitié – les deux mots sont forts -, les deux États vont donner une nouvelle impulsion à l’évolution de leur situation intérieure et économique. L’Éthiopie des prochaines années a besoin de l’Érythrée et c’est réciproque. Le couple Éthiopie-Érythrée devrait être un élément moteur de l’intégration économique dans la Corne de l’Afrique. L’arrêt des tensions à la frontière devrait amener des changements dans la posture sécuritaire des deux États et sûrement dans les prochaines années, un arrêt du service national en Érythrée.
Il reste maintenant aux Nations unies d’envoyer des signaux positifs à défaut d’avoir pu régler cette situation. Elle avait, en effet, mis fin à sa mission en Érythrée en 2008 et imposait un embargo depuis 2009 appuyé par des rapports du Groupe d’experts, peu crédibles ces dernières années. Sa levée en octobre-novembre 2018 semble incontournable si l’esprit de paix et d’amitié perdure.
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[1] Qui détient le pouvoir exécutif.