06.11.2024
G5 Sahel : quel état des lieux ?
Interview
4 juillet 2018
Dans le cadre de sa tournée africaine, le chef de l’État français s’est rendu en Mauritanie afin de rencontrer ses homologues du G5 Sahel. Le financement des opérations de la force du G5 a été l’enjeu principal des discussions, afin d’apporter une réponse sécuritaire unifiée face à la menace terroriste présente dans la région. Au lendemain d’une nouvelle attaque contre la force du G5 au Mali, la relance de cette force panafricaine par le président français est-elle suffisante face à la présence terroriste ? Le point de vue de Serge Michailof, chercheur associé à l’IRIS, ancien directeur des opérations de l’Agence française de développement.
Quels étaient les enjeux du sommet réunissant les chefs d’État du G5 Sahel ? La présence d’Emmanuel Macron était-elle importante ? Quel est le rôle de la France dans la région ?
Le G5 Sahel est une initiative de cinq pays africains, la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad. La présence du président français était importante pour aider à aplanir quelques divergences entre les cinq chefs d’État.
Le premier enjeu est le financement de la force G5. Le coût de cette force est estimé à environ 350 millions d’euros par an. Celui-ci a été au niveau des promesses, plus que rempli, puisqu’il y a eu plus de 400 millions d’euros de financements promis, dont 100 millions de la part de l’Union européenne (UE), le solde étant apporté par les États-Unis, l’Arabie saoudite et quelques pays du Golfe. La France ne peut envisager de contribuer à ce financement étant déjà présente matériellement et financièrement par l’opération Barkhane dont le coût est de l’ordre de 700 millions d’euros par an, ceci sans compter sa contribution financière à la force de maintien de la paix des Nations unies au Mali, la MINUSMA. Mais malgré les promesses, le fonds fiduciaire constitué pour recevoir les financements promis n’est pratiquement pas alimenté et le manque de ressources est devenu un élément majeur de préoccupation.
La constitution de cette force G5 représente le second défi. En effet, tous les militaires des pays concernés formés et entraînés sont déjà affectés soit à diverses forces de maintien de la paix des Nations unies comme la Minusma, soit sont au service des forces armées des cinq nations qui sont déjà engagées contre les groupes djihadistes. La constitution de la force du G5 suppose par conséquent des substitutions au niveau des troupes, posant des problèmes d’effectif, de recrutement et de formation pour certains pays.
Enfin, le dernier enjeu est lié à la réticence de l’Union européenne à soutenir cette initiative. L’UE avait commencé par proposer 50 millions ce qui était franchement ridicule et n’a accepté de porter sa contribution à 100 millions que sous la forte pression de la France. Or, le Sahel concerné par les risques d’insécurité couvre une superficie équivalente à celle de l’Europe occidentale. La sécurité dans cette région constitue un bien public régional et le coût de la restauration de la sécurité devrait donc être mutualisé et supporté non seulement par les pays du G5 dont les ressources sont très limitées, mais aussi par les pays de la région en particulier l’Algérie et les pays européens. L’Algérie est très réticente, car elle considère inacceptable la présence militaire française à ses frontières. Mais l’Union européenne devrait en toute logique couvrir l’essentiel du coût de cette force africaine multinationale contribuant à sécuriser une région qui est au cœur de la problématique du terrorisme et de la crise migratoire. L’insuffisante prise de conscience de nombreux pays européens qui considèrent la sécurité au Sahel comme un problème qui ne concerne que la France est préoccupante.
De multiples financements avaient été annoncés par l’Union européenne, les États-Unis et les 5 pays du G5 Sahel en ce début d’année afin de renforcer la force armée africaine au Sahel et d’intensifier la lutte contre le terrorisme dans la région. Quel est l’état actuel de cette force militaire ?
Au niveau de la force militaire, dans la mesure où l’essentiel des financements n’a pas encore été versé et que la mobilisation des troupes est encore en cours, la force du G5 Sahel n’est pas encore réellement opérationnelle. Les premiers éléments ont participé à quelques opérations avec Barkane, mais leur présence n’est pas encore significative. En effet, les 5 000 hommes prévus dans cette force peuvent certes soulager un peu Barkhane, mais on ne peut leur demander de sécuriser une zone de 4 à 5 millions de km2 comptant actuellement près de 100 millions d’habitants. Rappelons aussi le récent attentat terroriste qui a frappé leur quartier général de Sévaré au Mali.
Au-delà des problématiques sécuritaires, vous insistez régulièrement sur le fait que le problème du Sahel est aussi politique. Quelles sont les priorités ?
Le maillon faible de la chaîne des pays sahéliens est aujourd’hui le Mali, zone où l’insécurité est désormais généralisée et particulièrement préoccupante, non seulement au nord désertique, mais aussi au centre et au sud du pays dans des zones très peuplées. La principale raison est la faiblesse de l’appareil d’État malien qui est incapable d’apporter aux populations de ces régions le minimum de sécurité, de justice et d’administration que tout citoyen attend d’un État. Les écoles publiques sont en train de fermer, les dispensaires aussi ; des milices se constituent et parfois s’affrontent. Les tensions anciennes entre éleveurs peuhls et agriculteurs bambaras ou Dogons dégénèrent en règlements de comptes. L’armée malienne, indisciplinée, a récemment procédé à des exécutions sommaires de civils. Ce qui est clair, c’est que cinq ans de présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta n’ont pas permis la construction d’une armée professionnelle efficace et respectueuse des droits de l’homme, que celle-ci se comporte aussi mal avec les populations que les groupes djihadistes, que la gendarmerie n’est pas non plus une force sur laquelle le pays peut compter. Au total, ce régime s’est révélé incapable de construire un appareil d’État et de surmonter le clientélisme qui ronge les institutions et les condamne à l’inefficacité.
Il faut espérer que sortira des urnes fin juillet un gouvernement capable de construire une armée compétente et disciplinée et en fait de reconstruire tout l’appareil d’État de ce pays, c’est-à-dire des écoles capables d’apprendre à lire, écrire et compter aux enfants, des dispensaires où les infirmiers sont présents et les médicaments n’ont pas été vendus frauduleusement, et surtout une justice présente sur tout le territoire et non corrompue. Or, le chaos qui se développe au Mali déborde désormais sur ses voisins, en particulier le Niger et le Burkina Faso.