20.12.2024
« La Grèce est une victime expiatoire des politiques appliquées dans l’Union européenne »
Presse
22 juin 2018
Au plan économique, la situation de la Grèce reste très préoccupante mais il y a effectivement eu un tournant avec un retour à la croissance et à l’équilibre des comptes publics. Sur une base toutefois déprimée puisque la grèce a perdu un quart de son PIB au cours de la crise. Reste que l’amélioration permet de façon très prudente de mettre fin au programme d’assistance de l’Union européenne, avec des précautions, une aide possible et un retour sur les marchés progressif.
Le gouvernement allemand a eu tendance à avoir des attentes trop optimistes sur la capacité de la Grèce à rembourser sa dette, qui s’élève à environ 180% du PIB, tandis que d’autres gouvernements comme la France, mais aussi et surtout le FMI, ont mis la pression pour mettre en oeuvre un allègement de la dette, soit en réduisant le montant facial en tant que tel, soit en changeant les modalités de remboursement. L’idée de réduire les montants étant encore taboue en Allemagne, les différentes parties se sont mises d’accord sur un rééchelonnement de la dette pour concrètement abaisser le montant des paiements de la Grèce à ses créditeurs européens sans effacer les créances pour autant.
Depuis le début de la crise, la dette a eu tendance à être transférée vers les créditeurs publics, c’est-à-dire au final vers les autres gouvernements européens, au travers des plans de sauvetage. Elle n’est plus que très peu dans les mains d’investisseurs privés. Il était ainsi plus aisé d’alléger les modalités de remboursement que lors de la grande restructuration de 2012, la plus grande de l’Histoire, qui avait envoyé des ondes de choc sur les marchés européens et mondiaux. Par ailleurs, sur le plan politique, les négociations étaient plus apaisées cette fois-ci, en raison de l’insistance du Fonds monétaire international, que lors des négociations théâtrales sur la mise au point de nouveaux plans de sauvetage.
La Grèce restera tout de même sous le coup d’une surveillance stricte de la part de ses partenaires européens.
C’est une sortie du programme assez relative en fait. La Grèce s’inscrit dans tous les cas dans le cadre des règles européennes. Le gouvernement Tsipras a mis en oeuvre une partie conséquentes des réformes demandées par la troïka, notamment en ce qui concerne les privatisations. Ce qui a conduit à un apaisement depuis 2015, quand l’Allemagne était prête à expulser la Grèce de la zone euro. Le rôle du FMI a été déterminant (notamment du fait de son expertise technique) pour démontrer qu’un assouplissement était indispensable.
Quels sont les signes encourageants et ceux qui le sont moins ?
Les points négatifs relèvent surtout de l’affaissement de l’activité économique au cours des années de crise. La baisse des coûts dans de nombreux secteurs, notamment dans le tourisme, a pu accroître la compétitivité, mais de façon limitée seulement. En effet, la Grèce a une base industrielle insuffisante pour véritablement profiter de cette baisse des coûts. On ne peut pas comparer la situation grecque avec celle d’un pays plus industrialisé qui pourrait se relancer par les exportations manufacturières comme cela a été le cas en Espagne. En Grèce, ce processus d’abaissement des coûts ne produit pas automatiquement une relance par les exportations. Le déficit commercial a surtout été réduit du fait de l’effondrement de la demande. Donc la Grèce n’est pas encore aujourd’hui sur la voie d’un modèle économique qui lui permettrait de retrouver une forme de prospérité et de résorber son chômage de masse. Son marché de l’emploi reste largement destructuré. On a bien une amélioration mais sur une base préoccupante.
Ce qui est positif, c’est qu’il y a eu une reprise substantielle ces trois dernières années en Europe, mais le modèle économique grec reste problématique. Et les mesures imposées par la troïka n’ont pas résolu ces problèmes notamment concernant l’industrialisation du pays. Au contraire, il y a eu un effondrement des investissements et une dégradation des infrastructures. L’amélioration est donc plus de nature conjoncturelle mais sur le fond, les failles économiques se sont plutôt aggravées. Et il faudra surveiller dans les prochaines années le poids de cette fracture générationnelle. Malgré l’apaisement économique et politique ressenti en Grèce, plus globalement, j’ai le sentiment d’une décennie perdue pour le pays.
La société grecque a-t-elle changé en huit ans structurellement ?
Il y a toujours un chômage de masse et on constate une fracture qui s’est agravée en particulier concernant les entrants sur le marché du travail. On a toute une génération qui a vécu une situation très particulière. C’est le cas d’ailleurs aussi en France dans une moindre mesure naturellement et dans le Sud de l’Europe. Les jeunes actifs ont payé un lourd tribut, nombre d’entre eux n’ayant jamais été employés de façon stable. Et cela va perdurer. Les gouvernements peinent à prendre conscience de ce sujet dans leur politique. Il s’agit pourtant d’un enjeu essentiel pour que l’Europe s’inscrive pleinement dans la révolution technologique en cours dans le monde.