Migrations de détresse africaines
António Guterres, secrétaire général des Nations unies, prévenait en 2008 que « le 21e siècle serait celui des peuples en mouvement ». Si les hommes se déplacent depuis des millénaires, le phénomène s’accentue sous l’effet de la croissance démographique, du creusement des inégalités, de la globalisation des transports mais aussi des contraintes climatiques et des guerres. La majorité de ces déplacements se font sous contrainte et dans l’insécurité.
L’Afrique se situe à l’épicentre de cette problématique mondiale. Sur ce continent, plusieurs dynamiques se combinent : poursuite de la croissance démographique (y compris en milieu rural), rareté des ressources naturelles (eau et sols) très inégalement réparties sur le territoire, accélération des changements météorologiques, persistance de conflits ou émergence de nouveaux foyers de crise, récurrence de troubles sanitaires pouvant affecter cultures végétales et élevages, mal-développement des territoires de l’intérieur privés de la croissance qui se concentre sur les littoraux ou dans les villes, frustrations grandissantes de la jeunesse dont l’espoir, souvent, s’éteint à l’adolescence. De telles tendances plongent quantité d’individus dans la détresse, à commencer par les communautés agricoles et rurales exposées aux chocs de la pauvreté, aux violences foncières et hydriques et à l’exclusion géographique.
Nombre de paysans quittent, forcés, leur lieu de vie, en quête de conditions meilleures et d’un environnement plus sûr. Trop de zones rurales tombées en totale déshérence sont passées, ces dernières années, aux mains des extrêmes, faute d’avoir été considérées comme des terres d’avenir par les pouvoirs centraux, les investisseurs et les acteurs internationaux. Car finalement, deux enjeux, fondamentaux pour l’Afrique comme pour le reste de la planète, ont été écartés : le développement de l’agriculture et du rural. Pour construire une plus grande sécurité alimentaire, la production agricole est partout nécessaire. Pour rendre les villes soutenables et atténuer les troubles sociopolitiques liés aux disparités territoriales, le développement en milieu rural reste indispensable et repose encore en grande partie sur celui de l’agriculture.
Agir sur les causes avec une vision globale et stable.
L’Afrique, diverse, sera confrontée à des perspectives géopolitiques sans cesse plus sombres si l’agriculture et les zones rurales plongent dans l’oubli et restent à l’écart des priorités prospectives. Nul doute que les mégacités, les services et tant d’autres sujets d’avenir s’affichent comme des défis majeurs pour le futur de ce continent. Mais la problématique du développement des agricultures et les ruralités ne sauraient être des domaines réservés aux seuls techniciens agronomes, humanitaires spécialisés ou aux autres forces sociales contestataires. Pour faire baisser de quelques degrés le thermomètre des risques stratégiques et favoriser la paix, pour trouver des solutions d’adaptation face aux transformations climatiques et pour éviter de voir exploser les importations alimentaires, les pays africains doivent tous positionner l’agriculture comme décisive pour leur développement, leur sécurité et leur souveraineté. Certains le font ou y pensent, d’autres hésitent encore ou tournent le dos.
Avec 2,4 milliards d’individus, dont près de la moitié ayant moins de 25 ans, la population africaine aura doublé par rapport à son niveau actuel en 2050. Un humain sur quatre y vivra. Cette croissance démographique et cette jeunesse appellent des réponses en matière d’alimentation et d’emploi. Ne pas voir ces réalités et ignorer ces questions, c’est s’exposer au risque d’exodes ruraux massifs, de monstropoles incontrôlables et de migrations de détresse interafricaines et internationales exponentielles. Plutôt que de traiter les effets de celles-ci dans une perspective à court terme, il est urgent d’agir sur les causes profondes avec une vision globale et stable.