ANALYSES

Les enjeux de l’élection d’Ivan Duque à la tête de la Colombie

Interview
19 juin 2018
Le point de vue de Christophe Ventura


Au terme d’un second tour inédit entre Ivan Duque, candidat du Centre démocratique (droite), et Gustavo Petro, premier candidat de gauche à parvenir aussi loin dans une élection présidentielle, Ivan Duque l’a remporté. Le nouveau président souhaite modifier l’accord de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et durcir le ton avec le Venezuela, laissant incertaine la stabilité de la région. Pour nous éclairer sur la situation, le point de vue de Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS.

Que signifie la victoire d’Ivan Duque à la tête de la Colombie ? Quels sont les défis qui l’attendent sur la scène intérieure ?

La victoire du candidat Ivan Duque (Centre démocratique) avec 54% des voix – scénario attendu -, est un tournant important pour la Colombie, et cela pour plusieurs raisons. Le jeune candidat de la droite conservatrice colombienne est aujourd’hui un des représentants de l’ancien président Alvaro Uribe (2002-2010), sénateur le mieux élu du pays lors des dernières élections qui a rompu avec son ancien « poulain » Juan Manuel Santos (président de 2010 à aujourd’hui) sur le dossier des FARC. Sur le plan intérieur, la feuille de route va être assez classique pour un parti de droite. M. Duque se veut l’homme d’un libéralisme affirmé sur le plan économique. Il a bâti son programme sur une proposition d’abaissement de la fiscalité des entreprises ainsi que sur une libéralisation accrue de l’économie afin d’attirer les investisseurs internationaux dans le but de financer la croissance locale et de développer l’exploitation des ressources naturelles dont est richement dotée la Colombie.

Sur le plan politique, le nouveau président a construit un programme essentiellement basé sur un durcissement des positions de l’État colombien dans la négociation avec l’Armée de libération nationale (ELN), qui est la seconde guérilla avec laquelle le gouvernement est actuellement en discussion, mais surtout avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

Il promet également une lutte acharnée contre la corruption et une réforme de la justice.

Le nouveau président souhaite modifier l’accord conclu avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie. Peut-il remettre en cause l’accord de La Havane établi avec les FARC, aujourd’hui transformées en parti politique légal ?

Cette élection suscite de grandes incertitudes sur l’accord de paix conclu avec les FARC. Ivan Duque a été un fervent opposant, aux côtés d’Alvaro Uribe, au processus de négociation de l’accord de paix. En effet, il a mené la campagne du « non » au referendum du 2 octobre 2016 qui visait à valider par une consultation populaire l’accord négocié. Toutefois, aujourd’hui, il dit ne pas souhaiter rompre l’accord, mais se positionne plutôt comme un Donald Trump, c’est-à-dire qu’il veut le récrire plus durement. Il a ainsi indiqué qu’il ne voulait pas « déchiqueter » l’accord mais procéder à des « corrections ». Il souhaite ainsi durcir le sort judiciaire et le statut politique des membres et dirigeants des FARC. Ivan Duque refuse entre autres de les voir au Congrès, ce que prévoit l’accord.

Les FARC – désormais transformées en parti politique légal : Force alternative révolutionnaire du commun (FARC) – ont fait savoir par le biais d’une déclaration au soir du résultat qu’elles étaient prêtes à rencontrer le nouveau président élu pour lui exposer leur position sur la mise en place de l’accord. Et de rappeler que si l’accord était remis en cause, le pays glisserait immanquablement vers un nouveau cycle de violences.

Cette élection aura-t-elle des conséquences sur le plan géopolitique ?

Ici aussi, son élection pourrait signifier un tournant. Elle intervient dans un contexte général où des gouvernements de droite dominent l’Amérique latine, démocratiquement ou par des arrangements avec la démocratie, voire des coups de force contre elle, du Honduras au Brésil, en passant par l’Argentine, le Chili, le Paraguay ou le Pérou. Tous ces gouvernements renforcent les intérêts des États-Unis dans la région, même si l’administration Trump peut les maltraiter sur le plan commercial et migratoire et qu’ils cherchent, de leur côté, à diversifier leurs relations économiques vers la Chine. Un axe de coopération existe néanmoins entre ces pays et Washington, et il se renforce sur les questions de sécurité, de lutte contre le narcotrafic et de confrontation au Venezuela de Nicolas Maduro. La Colombie est au cœur de tous ces enjeux. Le pays est toujours le premier fournisseur de cocaïne sur le marché américain. Les États-Unis trouvent avec Ivan Duque un fervent allié en tout. Il promet une nouvelle lutte dure contre les cultures illicites (dont les superficies ont augmenté ces dernières années malgré le Plan Colombie), première menace contre la « sécurité nationale », tandis que les États-Unis ont renouvelé leurs aides financières et leur coopération avec Bogota en matière de lutte contre le narcotrafic.

De plus, Washington a désormais comme allié le président d’un pays ayant demandé le statut de « partenaire mondial » de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord), une première en Amérique latine. Le pays se prépare à assumer toujours plus de coopération sécuritaire et militaire avec les États-Unis.

Enfin, durant la campagne, Ivan Duque a affiché des positions dures concernant la question vénézuélienne. Il demande fermeté et augmentation de la pression internationale contre Caracas et son chef d’État Nicolas Maduro. Il semble prêt à jouer un rôle de pointe dans la coalition régionale anti-Maduro. L’avenir dira s’il est prêt à aller vers une escalade belliqueuse avec son voisin, avec comme toile de fond la question des migrants vénézuéliens qui arrivent en Colombie. Ainsi, son élection pourrait nourrir les tensions dans la région et confirme, sur le plan géopolitique, la continuité de la subordination de Bogota à Washington.

Ivan Duque est aussi le président d’une nouvelle Colombie qui s’est exprimée dans le vote massif accordé à son opposant Gustavo Petro, qui a notamment mobilisé la jeunesse. Plus de 40 % des Colombiens – une première dans l’histoire du pays – ont dit non à ces politiques et à cette place de la Colombie dans l’ordre régional et mondial. Au contraire, ils ont exprimé le souhait d’approfondir la paix et de construire le pays sur d’autres bases économiques, sociales et géopolitiques. Le nouveau pouvoir devra gouverner avec cette partie du pays.
Sur la même thématique
États-Unis : quelle place pour la religion dans la campagne présidentielle ?