17.12.2024
Sommet Trump – Kim : pourquoi la signature d’un document commun est une victoire pour Kim Jong-un
Presse
12 juin 2018
C’est évidemment un succès en termes d’image pour les deux hommes. Pour Donald Trump, c’est une promesse qu’il a réussi à tenir. C’est le premier président américain en exercice à rencontrer son homologue nord-coréen. Il n’a pas seulement serré la main du dirigeant et souri devant les caméras, il a ouvert des perspectives avec la signature d’une déclaration commune. Il peut rentrer aux Etats-Unis, se glorifier d’avoir brisé la glace et d’avoir obtenu un accord là où ses prédécesseurs se sont cassé les dents. C’est une victoire de prestige. Il va pouvoir capitaliser sur ce succès pour battre le rappel de son électorat en vue des prochaines élections.
La victoire est encore plus grande pour Kim Jong-un. Cela fait vingt-cinq ans que Pyongyang demande une rencontre bilatérale avec les Etats-Unis, afin de se positionner au même niveau. Demande sans cesse refusée ou avortée comme en 2000, lorsqu’il avait été question que Bill Clinton rencontre Kim Jong-il. Kim Jong-un est donc le premier à avoir pu faire ce que son père et son grand-père n’ont pas été capables de réaliser avant lui.
A qui bénéficie la signature de ce document commun ?
Il [le document] est clairement à l’avantage du régime nord-coréen. On est très loin des exigences américaines, qui avaient demandé un désarmement nucléaire immédiat, irréversible et vérifié. On est dans l’ouverture de négociations pouvant conduire à un démantèlement des installations et de l’armement nucléaires nord-coréens. Ce qui est plus réaliste et exactement ce que Pyongyang a toujours mis en avant. Le régime a toujours dit que la dénucléarisation n’était pas impossible mais qu’elle ne pouvait se faire du jour au lendemain, ni sans négociations importantes et concessions faites de part et d’autre.
Kim Jong-un a même obtenu de Donald Trump un engagement oral [lors de la conférence de presse, NDLR] sur l’arrêt des exercices militaires conjoints avec la Corée du Sud. Donald Trump s’en est réjoui, expliquant que c’était « très coûteux » et « provocateur ». C’est surprenant car il n’en avait jamais été question jusqu’alors. Washington s’était montré extrêmement ferme. Il y a seulement deux jours, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo avait insisté sur le fait que si les Nord-Coréens n’acceptaient pas les conditions américaines, il n’y aurait pas d’accord. On a l’impression que l’accord a été rédigé par Pyongyang et que Washington s’est contenté de signer.
Le texte pose tout de même les jalons d’une négociation future. Rien n’indique qu’au terme du processus Pyongyang obtienne gain de cause…
Absolument. Ce texte ressemble beaucoup à l’accord de 1994, qu’on avait appelé la Kedo (Korean Peninsula Energy Development Organization), qui supposait l’abandon du programme nucléaire nord-coréen. Il promettait l’arrêt de ce programme, en échange de garanties sécuritaires – qu’on retrouve également dans le texte d’aujourd’hui – et, parce qu’à l’époque le régime était aux abois, d’une aide alimentaire et d’une aide énergétique. On s’est rendu compte que personne n’avait tenu ses engagements, à l’exception de l’aide alimentaire. Les Etats-Unis n’avaient pas tenu leurs engagements de construire deux réacteurs nucléaires sur le territoire nord-coréen. De son côté, la Corée du Nord n’a évidemment pas respecté son engagement d’arrêter ses activités de prolifération nucléaire.
Le contexte a changé. Quelles chances cette déclaration d’intention a-t-elle d’aboutir ? Cet accord est-il plus fiable ?
Non, malheureusement. Il n’est pas plus contraignant que celui de 1994. Et puis, surtout, la Corée du Nord est dans une situation infiniment plus confortable. A l’époque, il y avait une pénurie alimentaire extrêmement grave, avec une famine chronique. Ce n’est plus le cas. Il y avait un risque d’effondrement du régime, parce qu’on était encore dans l’accompagnement de la fin des régimes communistes, dans l’après-guerre froide, et c’était une période de transition dynastique, de pouvoir entre Kim Il-sung et Kim Jong-il.
Aujourd’hui, Kim Jong-un apparaît comme un dirigeant très fort à l’intérieur de son régime. Les difficultés économiques se sont atténuées grâce à des réformes, certes modestes, mais payantes. On vit bien mieux en Corée du Nord aujourd’hui qu’il y a une vingtaine d’années. La Corée du Nord va dans la bonne direction. C’est un fait. C’est peut-être dommage dans le sens où la perspective d’un effondrement du régime s’éloigne mais c’est une réalité.
Enfin, et c’est le plus important : au milieu des années 1990, Pyongyang n’avait qu’un programme nucléaire, aujourd’hui il possède un arsenal nucléaire. Le niveau de menace a terriblement augmenté. Et par conséquent, il est malheureusement de plus en plus difficile de balayer les exigences de Pyongyang.
C’est un peu ce qui se passe en ce moment : Washington accepte l’arrêt des manœuvres militaires conjointes avec la Corée du Sud, d’apporter des garanties sécuritaires. Sous couvert de cette rencontre, dont Donald Trump va évidemment s’auréoler, la réalité est que les Etats-Unis ont accepté de facto deux choses. Que la Corée du Nord est un interlocuteur avec qui on peut parler, c’est la fin de la diabolisation. Et, même si ce n’est pas dit, que la Corée du Nord est une puissance nucléaire.
La demande de levée des sanctions, au moins partielle, n’a pas été satisfaite, laissant la Corée du Nord dans une impasse économique…
Kim Jong-un ne l’a pas obtenue, en effet. Cela aurait été difficile car la plupart des sanctions sont internationales. Donald Trump ne peut prendre seul ce type d’initiatives. Ce qu’il faut observer, c’est qu’il n’y a pas eu de sanctions supplémentaires de Washington. Au cours de ces dernières semaines, l’administration Trump a mis en garde le régime contre de nouvelles sanctions si la rencontre ne se passait pas comme elle souhaitait. L’absence de nouvelles sanctions apparaît comme un geste de bonne volonté.
Selon Donald Trump, la Corée du Nord s’est engagée à détruire un site de test de missiles « majeur ». Est-ce une première étape vers une réelle dénucléarisation ?
Pyongyang a déjà détruit un site d’essais nucléaires le jour même où Trump annonçait l’annulation de la rencontre. La réalité était discutable puisque le site était devenu inutilisable à la suite de l’effondrement de la voûte. Mais c’était un geste montrant la volonté de Pyongyang d’aller vers ces discussions.
Plus concrètement, on peut démanteler ou détruire un certain nombre de sites, mais le problème est que nous ne connaissons pas l’ensemble des capacités, ni des sites en Corée du Nord. En 1994, on avait déjà gelé les installations de Yongbyon. Et puis on s’est rendu compte qu’il y avait d’autres choses à côté mais qu’on ne savait pas. Il faut rester très méfiant quant à ces annonces, historiques à bien des égards, dont il faut se féliciter, mais qui pourraient n’être qu’une manière pour la Corée du Nord de gagner du temps.
L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) s’est dite « prête à effectuer toute activité de vérification » sur les sites nucléaires nord-coréens. Comment un processus de dénucléarisation pourrait-il se mettre en place en toute transparence ?
Il y a déjà eu des accords d’abandon de programme nucléaire. Ce fut le cas avec l’Iran, la Libye, l’Irak, l’Afrique du Sud, le Brésil ou encore l’Argentine. Mais c’est la première fois en l’occurrence qu’on demande à un pays de s’engager dans la durée à « désinventer » l’arme nucléaire. Ce n’est pas la même chose. Il va falloir non seulement démanteler les installations, mais également détruire un arsenal existant dont on ne connaît pas l’ampleur. On peut espérer des résultats positifs et concrets, mais il faudra attendre au moins dix ans.
Mais est-ce faisable, techniquement ?
L’accord signé ce mardi matin n’est que le prélude d’autres accords plus techniques, menés par des experts, notamment avec l’AIEA, avec la possibilité de faire revenir des inspecteurs, d’avoir accès à l’ensemble des sites suspectés ou réels, et orchestrer la destruction de ces sites. La transparence totale du régime est indispensable. Ce n’est pas gagné parce que la Corée du Nord ne l’a jamais fait.
Propos recueillis par Sarah Diffalah