27.11.2024
Macron : le spectre de la gesticulation diplomatique
Presse
5 juin 2018
Expression de la souveraineté extérieure de l’État, la politique étrangère d’une entité étatique est déterminée en fonction de ses intérêts propres, de manière théoriquement libre et indépendante de toute volonté d’un autre État (principe de non-ingérence) ou d’une quelconque organisation extra-étatique (nationale ou internationale).
Elle traduit aussi un système de croyances collectives, une certaine représentation du monde. C’est en ces termes que se pose la question de la politique étrangère de la France sous la présidence d’Emmanuel Macron.
Mue par un idéal de grandeur et de rayonnement universel, la France est une grande puissance régionale (européenne et méditerranéenne), mais une puissance moyenne à l’échelle internationale.
Avec seulement 1 % de la population mondiale sur 1 % du territoire mondial, la France est néanmoins une grande puissance militaire (arme nucléaire, arsenal militaire complet et à la pointe de la technologie grâce à une industrie d’armement moderne, dotée d’une capacité de projection), politique (membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, second réseau diplomatique au monde, une histoire coloniale et postcoloniale qui fournit un réseau d’influence en Afrique, dans le monde arabe, onze millions de kilomètres carrés d’eaux territoriales faisant de la France la deuxième Zone économique exclusive mondiale), culturelle (rayonnement linguistique et civilisationnel, principale destination touristique mondiale) et économique (cinquième puissance en termes de PIB, salariés parmi les plus productifs au monde).
De plus, la France a mis en œuvre une stratégie de soft power à travers le développement d’une « diplomatie d’influence » que tente d’incarner Emmanuel Macron sur une scène internationale en quête de leadership.
La politique étrangère de la France s’articule traditionnellement autour de deux axes : l’indépendance nationale et le multilatéralisme. Or cette ligne « réaliste », guidée par une logique d’intérêt qualifiée de « gaullo-mitterrandienne », accuse une inflexion manifeste depuis les présidences de Nicolas Sarkozy (2007-2012) et de François Hollande (2012-2017).
La politique étrangère de la France s’avère depuis une décennie plus interventionniste et teintée d’un atlantisme/occidentalisme à peine voilé.
Cette évolution est perceptible au sein même du corps diplomatique, où l’idée du recours légitime à la force militaire pour la défensedes valeurs de la « démocratie libérale » s’est largement diffusée auprès des hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay.
Qu’en est-il d’Emmanuel Macron ? Il s’est réclamé du gaullo-mitterrandisme au cours de la campagne présidentialiste dont il est sorti victorieux. Mais à l’époque déjà, il n’avait pas explicité le sens de ce positionnement.
Une part de pragmatisme, inspiré par la realpolitik
Aujourd’hui, la cellule diplomatique de l’Élysée ne semble pas attachée à ce qualificatif pour désigner le fil d’Ariane qui guide l’activisme diplomatique d’Emmanuel Macron. En réalité, en ce domaine comme dans d’autres, le macronisme diplomatique opte pour une dialectique résumée par la formule devenue emblématique du discours présidentiel : « en même temps »…
En effet, depuis son arrivée à l’Élysée, ses discours comme son action sur les principaux dossiers internationaux assument à la fois les intonations du gaullo-mitterrandisme et du néoconservatisme.
Ainsi, dans un contexte mondial propice à l’unilatéralisme, il a tenu – par contraste avec la posture trumpienne et poutinienne – un discours valorisant le dialogue multilatéral dans les dossiers du nucléaire iranien, du libre-échange transatlantique et de la lutte contre le réchauffement climatique.
Trois dossiers sur lesquels le président américain – malgré la multiplication des signes de proximité personnelle – a écouté les arguments français, avant de les ignorer. Une fin de non-recevoir actée par le président Macron, qui se plaît malgré ces échecs, à jouer le rôle de partenaire européen privilégié de l’Administration Trump.
Animé par une part de pragmatisme, inspiré par la realpolitik, Emmanuel Macron a également admis l’idée d’intégrer le régime de Damas au processus de résolution du conflit syrien.
Mais ce même dossier illustre l’autre visage de la diplomatie macronienne, faite de « coups d’éclat » et d’unilatéralisme. Ainsi, dans l’affaire de l’attaque chimique sur la population de la Ghouta orientale, près de Damas, sans attendre l’ouverture et les conclusions de l’enquête internationale destinée à établir les preuves – même évidentes – de la responsabilité du régime, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont joué avec la légalité et la sécurité internationales.
En intervenant dans de telles conditions, le président Macron a fait montre d’une indignation sélective ou d’une conscience humaniste à géométrie variable comme l’atteste le silence français à l’égard de l’intervention saoudienne au Yémen et du conflit israélo-palestinien.
Ce dernier cas est topique. Dans ce dossier plus délicat que jamais, Emmanuel Macron semble s’inscrire dans la continuité de ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy et surtout François Hollande.
Une continuité sous forme de rupture avec une traditionnelle ligne gaullo-mitterrandienne équilibrée prônant la solution de deux États sur la base de négociations garantissant la sécurité (et donc l’existence) d’Israël tout en exigeant de rendre justice au peuple palestinien.
« Cher Bibi »
Une position qui consistait ainsi à s’afficher au premier rang parmi les pays occidentaux défendant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Or si Emmanuel Macron a évoqué son attachement à la position française d’une « solution à deux États », il a explicitement déclaré que la France ne reconnaîtrait pas unilatéralement l’État palestinien.
Exactement trois ans après la sanglante opération « Bordure protectrice », le président français affichait une relation personnelle privilégiée avec Benyamin Netanyahou en visite à Paris, marqué par un remerciement très personnel : « Cher Bibi »…
Or à l’instar de sa relation proximité affichée avec Donald Trump, cette stratégie du « bilatéralisme personnalisé » n’a produit pour l’instant aucun résultat tangible.
Au-delà de la forme, il ne faut pas sous-estimer non plus l’inflexion doctrinale que traduit ce double rapprochement. Dans le cas israélien, Emmanuel Macron se place ici dans les pas de François Hollande.
Ce dernier, à travers un communiqué élyséen daté du 9 juillet 2014, au début de la dernière opération militaire israélienne d’envergure à Gaza (l’opération « Bordure protectrice », en juillet 2014) avait manifesté sa « solidarité » au gouvernement israélien en l’habilitant à « prendre toutes les mesures pour protéger sa population ».
Qu’importaient l’amplitude ou la disproportion de la riposte israélienne, le respect du droit international, les dizaines de victimes civiles palestiniens déjà comptabilisées suite aux bombardements aériens. La position française s’est rééquilibrée au regard du bilan humain de l’offensive terrestre de l’armée israélienne sur Gaza.
Il n’empêche, la précipitation avec laquelle la France a semblé donner quitus au gouvernement israélien a marqué un tournant.
Trois ans plus tard, l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée conforte le rapprochement avec ce qu’il perçoit d’abord comme une « start-up nation », mais qui n’en demeure pas moins dirigée par un gouvernement israélien émanation d’une droite nationaliste et extrémiste incarnée par un acteur essentiel de l’échec du processus de paix, un partisan de la poursuite de la colonisation : Benyamin Netanyahou.
« France is back », clamait le président Macron après son élection. Une prétention au leadership basée sur la conjugaison d’un volontarisme formel et d’un équilibrisme substantiel qui produit parfois une impression désagréable d’ambivalence diplomatique.
Or celle-ci est de nature à affecter la lisibilité, la crédibilité et l’efficacité de la politique étrangère française. Un spectre à ne pas négliger pour un président tenant d’une conception technolibérale de l’action politique.