21.11.2024
Macron et Trump, un même moule ?
Presse
2 juin 2018
Le plus jeune président français et le plus vieux président américain forment le couple amical le plus étonnant de la scène internationale. De prime abord, tout semble les séparer, et pourtant : Emmanuel Macron et Donald Trump sont bien plus semblables qu’on ne l’imagine !
Bien entendu, l’exercice de la comparaison entre les deux hommes se heurte immédiatement aux différences les plus flagrantes, qui portent sur des éléments essentiels pour leur pratique individuelle du pouvoir : ainsi, le président français s’est fait élire sur la nécessité de remettre plus d’Europe dans la pensée politique hexagonale.
Il a grandi dans un monde bercé par le mondialisme et s’est formé avec la conviction que la France doit participer à l’effort de paix en participant aussi activement qu’elle le peut à la construction européenne.
Et puisque cet espoir s’était beaucoup émoussé ces dernières années, il a su réinventer cet objectif et le faire partager très largement au cours d’une campagne électorale étonnante, avec laquelle il a déjoué tous les pronostics. Le multilatéralisme est essentiel pour lui.
Donald Trump vient presque d’un autre monde : il avait 22 ans en 1968 et s’est construit dans une Amérique conformiste, très conservatrice, et surtout caucasienne. Être blanc était une normalité pendant sa jeunesse, une période durant laquelle la plupart des États américains interdisaient les mariages mixtes et où les Afro-américains étaient appelés des « nègres ».
La jeunesse de Donald Trump a été bercée par l’opulence de son pays, par sa force sur le plan international, au sortir d’une guerre dont les États-Unis ont été le principal gagnant, et qui a assuré sa puissance.
Cinquante ans de progressisme ont affaibli cette Amérique à ses yeux, comme pour toutes celles et tous ceux qui ont finalement voté pour lui, créant surprise et électrochoc, après une campagne dont personne ne s’est réellement remis à ce jour. Les relations bilatérales sont essentielles pour Donald Trump, afin de retrouver cette puissance perdue.
Une capacité à devenir eux-mêmes des médias
Si on peut opposer les deux hommes sur le plan des idées politiques ou des buts qu’ils poursuivent, on est toutefois immédiatement frappés par un destin commun : celui d’être à un rendez-vous où personne ne les attendait. Un an avant leur sacre, ni l’un ni l’autre n’était donné gagnant.
En France, on a longtemps pensé que Juppé allait l’emporter, puis Fillon ; aux États-Unis, Jeb Bush semblait promis au même destin que son père et son frère, puis Hillary Clinton devait être la première femme présidente des États-Unis. Rien de ce qui était écrit, annoncé, et largement commenté ne s’est réalisé.
La force de travail de ces deux hommes, conjuguée à la conviction qu’ils avaient un destin, et leur foi inébranlable en eux-mêmes ont vaincu tous les obstacles. On a découvert que l’âge, le parcours ou les idées ne gommaient pas l’essentiel : ces deux hommes sont faits d’un même moule !
Leur comportement en campagne aurait dû nous interpeller : ce sont des intuitifs qui ont pu gagner l’adhésion parce qu’ils ont su capter le message de leurs deux peuples et y répondre avec une promesse qui correspondait à l’attente profonde.
Le retour au conservatisme et à la protection de soi avant tout pour les Américains, et, en France, un message plus généreux et plus inclusif, avec la promesse de corriger tous les défauts d’une Europe qui ne marche pas aux yeux des Français, mais dont on sent bien qu’elle est le rempart à la xénophobie, la haine, ou pire, la guerre.
Ce qui a immédiatement frappé avec ces deux hommes, c’est leur capacité à devenir eux-mêmes des médias : délaissant les canaux classiques de la communication, ils ont montré une maîtrise parfaite des outils de leur temps, se jouant des réseaux sociaux pour appuyer leur démarche, écartant les médias plus classiques et souvent plus critiques – le quatrième pouvoir – pour ne pas se laisser enfermer et abattre par une analyse destructrice.
Ils pratiquent tous les deux le « sans filtre », comme le faisaient les hommes politiques d’autrefois, en répondant directement aux électeurs, en faisant de leurs meetings une zone de dialogue, en ne s’entourant pas de centaines de conseillers, pour fournir une parole politique aseptisée et creuse.
Macron et Trump pratiquent une autre communication politique, qui n’est pas toujours dans le politiquement correct : c’est comme cela qu’ils ont amené les électeurs à tendre l’oreille, à s’intéresser à leur discours, et à finir par y adhérer.
Gouvernance verticale
Emmanuel Macron aime à dire qu’ils sont semblables, qu’ils sont des mavericks, un mot anglais qui signifie à la fois anticonformiste et franc-tireur. C’est ainsi que le président français a fait oublier son parcours d’énarque et de serviteur de la grande administration. La même pratique que Donald Trump, qui a su faire oublier qu’il est milliardaire et a vendu aux électeurs l’illusion qu’il était un des leurs. Même méthode, même résultat.
Les deux hommes ne pouvaient dès lors que s’entendre et Donald Trump semble avoir trouver en quelques sorte son fils spirituel : les sentiments entre eux ne peuvent donc qu’être vrais. Depuis qu’ils sont présidents, l’un et l’autre gouvernent de façon étonnamment semblable : la gouvernance est plus brutale, verticale, moins dans le compromis et la co-construction.
Les phrases qui accompagnent leur exercice du pouvoir sont les mêmes : « J’ai un cap », « C’est une promesse de campagne », « Je fais ce que j’ai promis ». Pour l’un comme pour l’autre, la souplesse promise pendant la campagne a disparu. Ils gouvernent par décrets, imposent leur volonté. Mais comment cela aurait pu-t-il être différent ?
Car, autre point commun, ils ont tous les deux été élus dès leur première tentative, alors que ni l’un ni l’autre n’avaient la moindre expérience du pouvoir, si on écarte l’expérience éphémère de ministre du président français.
À ce manque d’expérience de terrain, ou dans le temps, il faut aussi ajouter l’absence de parti à leur côté, ce qui signifie cette cohorte d’élus porteurs eux-aussi d’expérience et capables de structurer la pensée présidentielle.
L’exercice du pouvoir repose donc dans les deux cas sur l’intuition et la capacité du président de la France ou des États-Unis à comprendre le monde, appréhender sa complexité et apporter la bonne réponse à chaque problème. Cet autre point commun explique beaucoup de soubresauts et de ratés qui sont régulièrement relevés dans les deux pays.
Les lignes de force de leur politique qui se croisent dans les dossiers liés à l’international sont donc forcément elles aussi empreintes de brutalité : leur affrontement à propos de la question climatique a été observée avec étonnement, tellement cela ressemblait à un combat personnel.
Le Moyen-Orient est devenu l’enjeu principal de leurs disputes et aucune autre division entre eux ne prend désormais plus d’importance : l’un et l’autre veulent imposer leur vue mais, là encore, ils s’arc-boutent de la même façon, dans un même désir de ne pas plier, de montrer leur force, leur courage ou leur détermination. Iran, Israël, Palestine… ces mots sonnent et résonnent avec fracas entre eux car ils ne partagent rien sur ce qui doit ou ne doit pas y être fait.
Emmanuel Macron et Donald Trump gouvernent avec une vision différente, mais partagent en revanche la même culture : celle de l’entreprise. Emmanuel Macron l’a acquise, par ses études et son expérience chez Rothschild : Donald Trump a grandi dans ce monde, qui constitue une part de son ADN.
L’un et l’autre appliquent aujourd’hui des principes de l’entreprise à la gouvernance d’un pays : cela semblait sacrilège aux élus du « vieux monde », celui qui a existé avant leur élection ; cela semble évident à ces deux hommes qui n’ont connu que cette forme de « management ».
Ils s’appuient donc l’un et l’autre sur les mêmes solutions, principalement articulés sur la baisse des impôts pour les sociétés et la certitude que le dumping fiscal va entraîner tout le moteur de l’économie vers une reprise forte. Les deux se disent pourtant pragmatiques et prêts à changer de politique si c’est nécessaire.
Il reste à savoir si cette efficacité correspond aux attentes de leurs deux peuples qui, – et peut-être très vite –, pourraient aussi considérer que la seule bonne santé économique ne suffit pas.
Ils connaîtraient alors, encore une fois, un même destin. Mais devons-nous en être surpris ? Peut-être pas. Car, même s’il voulait plutôt parler de nos deux pays, Emmanuel Macron l’a quand même dit lui-même lors de son déplacement à Washington, il y a un mois : « Rien ne nous séparera jamais ».