27.11.2024
La Palestine est-elle une cause perdue ?
Presse
29 mai 2018
Destinée à commémorer la « Nakba » (« grande catastrophe » de l’exode des réfugiés palestiniens en 1948), des dizaines de milliers de Palestiniens se sont mobilisés le long de la bande de Gaza. Leur manifestation fondamentalement pacifique a été réprimée dans le sang par l’armée israélienne qui continue à revendiquer une éthique d’exception…
UN NOUVEAU MASSACRE DE PALESTINIENS
C’est dans ce conteste que le 14 mai dernier, jour de l’implantation illégale de l’ambassade américaine à Jérusalem et veille de la triste commémoration de la Nakba, les soldats israéliens ont tiré à balles réelles sur des manifestants à Gaza, faisant des dizaines de morts (62 officiellement) et plus de 1 300 blessés (destinés à devenir des handicapés à vie). Des Palestiniens qui manifestaient pour leurs droits et leur liberté, le long de la bande de Gaza, seuls face au recours à la violence disproportionnée des snipers de l’armée israélienne.
Il revenait à l’ONU de pouvoir mener une enquête indépendante sur ces faits. Ce à quoi le gouvernement de droite et d’extrême droite dirigé par Benjamin Netanyahou, via le soutien de l’administration Trump, a pu à nouveau s’opposer. Une position de force renforcée par l’absence de « solidarité arabe ». Le sentiment palestinien est exprimé par cette interpellation populaire : « Wen Al-‘Arab ? » (« où sont les Arabes ? »)…
LE SENTIMENT D’IMPUNITÉ D’ISRAËL
Le massacre est intervenu dans un contexte où le gouvernement de droite et d’extrême droite israélien jouit d’un sentiment d’impunité et de toute puissance, fort de l’appui inconditionnel des États-Unis et de la passivité de la communauté internationale (y compris des pays arabes en général, et de l’Arabie saoudite en particulier, devenue l’alliée objective d’Israël dans la région). Le gouvernement nationaliste dirigé par Benjamin Néthanyaou a rejeté les appels internationaux à une enquête indépendante sur ces faits et le recours à la violence armée contre des manifestants pacifiques. Le cynisme du Premier ministre israélien l’a conduit à féliciter son armée. Un cynisme indigne d’un responsable d’un État de droit démocratique digne de ce nom.
Les Palestiniens sont-ils condamnés à l’injustice ? Le 22 mai dernier, le ministre palestinien des affaires étrangères, Riyad Al-Maliki, a officiellement référé à la Cour Pénale Internationale (CPI) les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, dont l’apartheid, commis par « le gouvernement d’Israël ou ses agents. » Il a ainsi appelé la procureure de la CPI, la Gambienne Fatou Bensouda, d’ouvrir une enquête de manière « immédiate ». S’adressant à des journalistes à La Haye, Riyad Al-Maliki a expliqué avoir « pris cette mesure en raison de l’intensification de la fréquence et de la gravité des crimes commis contre notre peuple, y compris l’expansion des colonies, l’accaparement des terres et l’exploitation illégale de nos ressources nationales, ainsi que le ciblage brutal et calculé de manifestants non armés, en particulier dans la bande de Gaza. »
LE RECOURS À LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE
Cette saisine de la CPI est intervenue quelques jours après celle de l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF), qui vise « la perpétration de crimes de guerre commis par l’armée israélienne contre des journalistes palestiniens. » L’organisation explique avoir saisi la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, sur le fondement de l’article 15 du statut de Rome, qui stipule que la procureure peut ouvrir une enquête si des faits qui lui sont transmis relèvent de la compétence de la cour. Dans la requête transmise à Madame Bensouda, Reporters Sans Frontières mentionne des tirs directs de snipers israéliens sur des journalistes palestiniens.
Pour Christophe Deloire, secrétaire général de RSF : « Les autorités israéliennes ne pouvaient ignorer la présence, parmi les civils manifestant, de journalistes. Elles ont manqué à leur élémentaire devoir de précaution et de distinction en visant à balles réelles ces personnes protégées. Ces violations délibérées et répétées du droit humanitaire international sont constitutives de crimes de guerre. En saisissant la Cour Pénale Internationale, RSF appelle les autorités israéliennes au strict respect du droit international. »
Certes, l’État israélien n’est pas membre de la Cour. En conséquence, pour que ses actes criminels puissent être portés devant la CPI, l’adoption d’une Résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies est théoriquement nécessaire. Il s’agit en effet du seul organe habilité à rendre le statut de la CPI applicable à un État non-partie, comme ce fut le cas pour le Soudan et la Libye. Or, il est évident que le véto américain écarte d’emblée une telle hypothèse.
Afin de contourner cet obstacle, l’Autorité palestinienne avait déjà déposé une requête en son nom propre pour qu’une enquête soit ouverte à propos des « événements » de 2009 à Gaza, requête rejetée à l’époque par le procureur de la CPI, au motif que la Palestine ne serait pas un « État » capable de faire une telle demande auprès de la Cour. Toutefois, La CPI est compétente depuis que l’Autorité palestinienne y a adhéré fin 2014, à la suite de l’échec d’une négociation pour obtenir des Nations unies un calendrier du retrait israélien des territoires occupés de Cisjordanie. Quelques jours après, et à la demande de Ramallah, la procureure avait ouvert un « examen préliminaire ». Mais cette première étape n’a jamais abouti. Jusqu’ici, Fatou Bensouda n’a pas osé ouvrir une quelconque enquête.
Pourtant, lors de la récente tragédie, la procureure de la CPI a appelé à mettre fin à l’escalade de la violence à la frontière de Gaza, et affirmé que l’utilisation de tirs réels par Israël afin de disperser les protestations et l’utilisation de civils par le groupe terroriste palestinien du Hamas dans les affrontements avec les soldats israéliens pourraient être constitutives de crimes violant le droit international.
Une analyse que partage Francis Perrin, vice-président d’Amnesty International France : « Très clairement, il y a eu une nouvelle fois un usage excessif de la force de la part de l’armée israélienne à qui l’on donne des ordres illégaux consistant à tirer sur des manifestants qui sont non-armés (…).
Cette assimilation [de Benyamin Netanyahou qui assimile chaque manifestant à un représentant du Hamas, considéré comme une organisation terroriste par Israël] permet aux autorités israéliennes de se dédouaner complètement de toutes les graves violations des droits humains commises ce lundi et depuis des semaines », s’est-il insurgé, en insistant sur le fait que « plusieurs de ces violations peuvent probablement s’apparenter à des crimes de guerre au regard des conventions de Genève. »
En attendant une hypothétique issue judiciaire à ce dernier épisode du conflit israélo-palestinien, la résolution de celui-ci suppose un accord politique global. Si l’assertion relève de l’utopie aujourd’hui, une chose est sûre : le statu quo est moralement et politiquement intenable.