18.11.2024
Corée du Nord : 2 doses de malentendus réciproques, 1 dose d’habileté made in Trump
Presse
25 mai 2018
Cette annonce n’est, malheureusement, pas une grande surprise, tant les développements de ces derniers jours, les nouveaux exercices militaires entre Américains et Sud-coréens et les déclarations à Washington comme à Pyongyang laissaient présager un report, voire une annulation de cette rencontre. En claire, les deux parties ne se faisaient pas confiance. Dans sa lettre, Donald Trump se montre ambigu, souhaitant sans doute associer la carotte et le bâton, mais il est au final assez peu convaincant.
Ainsi, comment dans le même document menacer la Corée du Nord de frappes nucléaires et regretter que cette rencontre ne puisse avoir lieu? Certains estimeront que le changement de ton est consécutif à la seconde visite de Kim Jong-un à Pékin, mais force est de reconnaître que ce n’est pas Pyongyang qui a pris la décision d’annuler cette rencontre, mais bien Washington. C’est ce que l’histoire retiendra.
Quelles sont les différences stratégiques entre les objectifs des deux parties ? Ces différences peuvent-elles être réconciliées ? Le ton du rapport de force, qui traverse la lettre, est-il approprié en ce sens ?
Dès l’annonce faite par Trump, sous forme de tweet, de sa volonté de rencontrer Kim Jong-un, les deux parties n’étaient pas sur la même ligne. Côté nord-coréen, cette rencontre, souhaitée depuis des années, avait – et a toujours – pour but de marchander la menace nucléaire en obtenant des garanties sécuritaires, une levée des sanctions, et une forme de normalisation de la relation avec les Etats-Unis. L’arme nucléaire est perçue à Pyongyang comme la meilleure garantie permettant d’atteindre ces objectifs.
Certains qualifient cette stratégie de fil du rasoir, d’autres de stratégie du pire, mais le résultat été le même. Côté américain, cette rencontre devait sceller la dénucléarisation de la péninsule, et dans un second temps ouvrir une nouvelle ère dans la relation entre les deux pays. En rehaussant le ton de la menace, Donald Trump perd le crédit qu’il avait emmagasiné en se montrant ouvert au dialogue, il perd surtout une occasion de replacer son pays au centre du dialogue sur l’avenir de la péninsule coréenne. Ce ton n’est donc pas approprié et ne fait qu’une victime: la diplomatie américaine. De son côté, la Corée du Nord n’a rien à perdre, n’oublions jamais cette règle élémentaire de toute stratégie de négociation.
Comment peut-on anticiper la réaction nord-coréenne et la suite des relations entre les deux pays ? Une prochaine réunion, sur les termes définis par Donald Trump, est-elle envisageable ?
Cette annulation est d’abord un échec pour la diplomatie américaine et pour le locataire de la Maison-Blanche, qui s’enorgueillit depuis des semaines être à l’origine du dénouement d’une crise qui dure depuis sept décennies. L’administration Trump a fait preuve d’une naïveté désarmante, et la politique étrangère américaine est dans la tourmente. À moins que certains dans l’entourage du président américain n’aient souhaité saboter cette rencontre. Cette possibilité ne doit pas être exclue. On pense à John Bolton, dont il est difficile de penser que son évocation du modèle libyen était une gaffe, mais aussi à Mike Pence, qui ne partageait visiblement pas l’enthousiasme de Trump.
Côté nord-coréen, les derniers jours ont fourni un avant-goût de la réaction, et le faut que l’annulation survienne le jour même du démantèlement du site d’essais nucléaires de Punggye-ri, gage de la bonne volonté du régime (en plus de la libération des trois otages américains) ne va pas aider à recréer les conditions d’un dialogue serein. Les deux pays sont parvenus à créer un point de contact, c’est bien, il va falloir maintenant laisser passer l’orage et repartir sur des bases solides, sans précipitation. En attendant, il faut souhaiter que ce nouveau développement n’ait pas un impact négatif sur la relation Seoul-Pyongyang, qui reste l’élément essentiel de toute pacification de la péninsule, avec ou sans le bon vouloir de Washington.