ANALYSES

À un an du scrutin, quels sont les enjeux des élections européennes ?

Presse
15 mai 2018

« À quoi les prochaines élections européennes serviront-elles ? À tester le projet de renaissance européenne proposé par Emmanuel Macron ? À fournir un exutoire de mi-mandat pour exposer un ras-le-bol citoyen sur le plan national ? À tenter de colmater le déficit démocratique au sein de l’Union européenne (UE) ? À exfiltrer de vieilles gloires politiques ? À étendre vers les urnes le domaine de la lutte contre le train des réformes en cours ? Elles serviront sans doute un peu à tout cela à la fois.


Quant à savoir à quoi les prochaines élections européennes devraient servir, la question est tout autre. Elle me paraît appeler deux réponses prioritaires, distinctes et profondément complémentaires. Les européennes devraient tout d’abord permettre à l’UE de se rappeler qu’elle n’existe ni à l’écart du monde ni en dehors des peuples qui la composent. Ces élections devraient ensuite servir à rappeler aux peuples que l’UE existe, et qu’elle fait sans doute davantage partie de la solution que du problème.


Si ces deux choses paraissent insultantes d’évidence en théorie, elles le sont un peu moins en pratique. Le philosophe Clément Rosset, disparu en mars dernier, aimait à dire que « la perspective intolérable du vieillissement et du trépas explique l’obstination des hommes à se détourner de la réalité ». Ils entrent alors dans un univers alternatif et s’enferment dans leur logique, refoulent le monde tel qu’il est et deviennent un objet pour eux-mêmes. L’on serait tenté d’appliquer la même grille de lecture à certaines de leurs entreprises collectives, et l’UE est un exemple parmi d’autres.


L’UE gagnerait à se demander tout simplement si elle existe chez les citoyens qu’elle vise à représenter. Un sondage artisanal auprès de proches m’indiquait récemment qu’aucun ne connaissait celle qui se démène pourtant depuis cinq ans pour incarner l’UE sur la scène extérieure, Federica Mogherini. Ce type de phénoménologie de bas étage fournit un exemple concret de ce qu’Hubert Védrine appelait le « mur de l’indifférence » des peuples, que l’UE peine à briser.


En revanche, même un citoyen ne s’intéressant que mollement à la marche du monde sait que le Royaume-Uni a choisi de sortir de l’Union, qu’Emmanuel Macron a été élu sur une plateforme proeuropéenne, et que Donald Trump ne porte pas forcément l’Europe dans son cœur. Il ne sait certes sans doute pas qu’à peine deux ans avant l’embardée britannique de 2016, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, avait dit de son mandat de cinq ans qu’il constituait « la dernière chance » pour l’Union européenne.


Quid alors de la réaction européenne face à cet alignement des astres ? Les solutions proposées pour réformer l’Europe, la rendre plus imperméable aux crises et aux chocs extérieurs dépendent pour l’heure d’une entente franco-allemande qui peine encore à se matérialiser. Si, par malheur, à l’orée des élections de mai 2019, et malgré le choc frontal du Brexit, les simagrées du président américain et les déclarations d’intention du couple franco-allemand, l’Union ne parvenait pas à s’entendre pour réagir, ses peuples ne seraient-ils pas fondés à douter de sa capacité à s’adapter au monde qui l’entoure ?


Dans cette hypothèse, le projet européen ne mourrait certainement pas d’un délitement institutionnel, d’un démembrement économique et monétaire, d’un populisme triomphant ou d’un euroscepticisme conquérant. Ces baissers de rideau sont par trop hollywoodiens. L’on aurait simplement ajouté quelques pierres de plus au mur de l’indifférence des peuples, que l’on rendrait encore plus impossible à briser. »

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