ANALYSES

Accord nucléaire iranien, attention !

Presse
8 mai 2018
Pensez-vous que Trump va se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 ?

Avec Trump, on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise. Cela n’en est d’ailleurs pas une, puisqu’il n’a jamais varié dans ses déclarations hostiles à cet accord. Et ce n’est pas son entourage qui va le faire changer d’avis : son secrétaire d’État, Mike Pompeo, et son conseiller à la Sécurité, John Bolton, tous deux récemment nommés, constituent un centre de gravité inquiétant et fermement opposé à cet accord avec l’Iran.

Emmanuel Macron a demandé un accord élargi sur l’Iran. A-t-il été entendu ?

En faisant des salamalecs chez Trump, où il a été salué à grand renfort de compliments et de tapes dans le dos, je pense qu’Emmanuel Macron n’a pas adopté la bonne tactique. Après avoir clamé qu’il obtiendrait un nouvel accord sur les bases du précédent, il est reparti en disant qu’il n’y aurait pas de nouvel accord. C’est donc lui qui a semblé changer d’avis. Il y a quelques semaines, début mars, Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, a commis la même maladresse : il a dévoilé son jeu avant même d’arriver à Téhéran, en déclarant qu’il fallait changer l’accord. Quelle méconnaissance des Iraniens, qui sont des diplomates millénaires, durs en affaires, mais avec lesquels on peut négocier ! Avec ses gros sabots, il s’est coupé toute possibilité d’avancer. Le grand journal Kayhan en a fait sa une sur cinq colonnes : « Le valet de Trump arrive » ! Au-delà de la grande déception que ce genre de comportement peut susciter, on s’aperçoit que Macron a tendance à s’aligner sur Trump. Alors, oui, je doute que la voix de la France ait été entendue.

Que reste-il comme argumentation pour faire changer d’avis Trump ?

Je ne suis pas un va-t-en-guerre, mais la seule chose qui marche dans les relations internationales, c’est le rapport de force. Les États-Unis ne comprennent que ce langage. La France se grandirait en continuant le bras de fer et en prenant des initiatives. Je sais qu’au sein de l’Union européenne, les avis sont divergents, mais avec le Royaume-Uni, l’Allemagne et d’autres, il est encore temps d’agir. Ne soyons pas occidentalocentrés, il est possible sur le sujet de l’Iran d’avoir une position commune avec la Chine et même la Russie. Ce serait un tour de force, mais il ne faut pas capituler avant même d’avoir mené la bataille. Mais c’est vrai, ce genre de choses ne s’obtient pas en passant la main dans le dos du contradicteur…

Dans un contexte de crise sociale, Téhéran peut-il être impressionné par ces discussions ?

Relativisons ce qui se passe en Iran. La petite crise sociale est terminée, les mouvements observés n’ont pas eu l’ampleur de ceux de 2009. Les manifestants, très minoritaires, n’ont pas entraîné des masses de protestataires. Il n’y a pas eu le moindre début de chute du régime. La répression aussi a été moindre et non comparable en brutalité et en intensité à celle de 2009. Il n’y a pas eu de bain de sang et tant mieux. Les contestations actuelles perdurent, mais elles ont peu d’amplitude et sont très localisées, même si elles sont légitimes. La société iranienne reste taraudée par ses contradictions. Les oppositions entre conservateurs et tenants d’un certain progressisme restent vives. Si Trump revient sur cet accord, cela donnera du grain à moudre aux conservateurs iraniens, qui y étaient très hostiles. Le président modéré Rohani, même bien réélu, n’aura pas pu tenir ses promesses électorales.

Quelles seront les conséquences pour les Iraniens ?

Les effets positifs de cet accord ont été malheureusement très limités. Les quelques frémissements de l’économie sont déjà retombés. L’inflation a été réduite, mais le quotidien du peuple n’a pas changé. Les levées partielles des sanctions internationales n’ont pas eu autant d’effets qu’escompté, surtout à cause des scandaleux accords d’extraterritorialité qui obligent les entreprises européennes à choisir entre leurs activités économiques en Iran ou aux États-Unis. Pas une ne prend le risque de se voir sanctionner par ces derniers. C’est ça qui a empêché l’Iran de décoller économiquement, alors que le pays en a toute la capacité. Si l’accord est dénoncé, l’Iran se retrouvera comme cinq ou dix ans en arrière. C’est désolant car cela va profiter à ceux qui sont les plus hostiles à tout changement et à tout progrès dans le pays.

Propos recueillis par Guillaume de MORANT.

* Auteur de Géopolitique des mondes arabes, Eyrolles, 184 p., 16,90€
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