ANALYSES

Un Sommet des Amériques sans les Etats-Unis

Interview
13 avril 2018
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky


Le 8e Sommet des Amériques qui se tient ces 13 et 14 avril à Lima, au Pérou, s’ouvre sur fond de tensions. Si la corruption et la bonne gouvernabilité sont au menu, l’absence du président américain – une première depuis la création de ce sommet – interroge sur les capacités des pays sud-américains à s’organiser et à coopérer sans leur voisin du Nord. D’autant que les tensions restent vives à propos du Venezuela, dont les représentants n’ont finalement pas été invités à ce rendez-vous. Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

Quel est le poids politique du Sommet des Amériques ? Est-il capable d’apporter une ligne directrice commune à l’ensemble des nations du continent américain ?

Historiquement, ce sommet a été créé sur l’initiative de Georges Bush et mis en œuvre par Bill Clinton. Le premier sommet eut lieu à Miami, en 1994. Dans un contexte d’après-guerre froide, le retour des Etats-Unis sur le continent américain s’est effectué sur des bases différentes que celle de la période antérieure, fondée davantage sur le dialogue et le multilatéralisme. Le Sommet des Amériques, en tant qu’enceinte de consultations, fut le symbole de ce changement de politique de la part de Washington.

Mais aujourd’hui, le système est de plus en plus grippé : les deux derniers sommets (Colombie en 2012, Panama en 2015) se sont terminés sans déclaration commune, illustrant le manque de vision unifiée des Etats participants. Ce qui va être intéressant à suivre durant ce 8e sommet est la capacité des pays présents à créer un contexte de coopération malgré les tensions entre les uns et les autres dans cette partie du monde, et sans la puissance étasunienne.

Quelles vont être les thématiques clés et enjeux abordés durant ce 8e Sommet des Amériques ?

Les principaux points abordés seront a priori ceux de l’ordre du jour officiel,  la corruption, la bonne gouvernabilité, la coopération et les alliances public-privé. Ces thèmes ont été définis en consultation avec le Pérou, pays hôte du Sommet, et avec l’Organisation des États américains (OEA). La question du commerce va également être discutée. En effet, un certain nombre de pays d’Amérique du Sud prenant part au « Trans-Pacific Partnership » (TPP) ont confirmé leur engagement, en mars dernier, à Santiago du Chili, en dépit du retrait de Washington.

Les dirigeants mexicains espéraient la présence du président des Etats-Unis à Lima, pour relancer la négociation concernant l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Objectif retardé ou reporté par l’absence d’un Donald Trump qui, par ailleurs, vient d’annoncer le déploiement de 2 000 à 4 000 soldats le long de la frontière avec le Mexique. Cette opération s’effectue dans le cadre de sa politique contre l’immigration et le trafic de stupéfiants. Qui a semble-t-il pris le dessus sur les enjeux commerciaux.

Enfin, pour associer politiquement le Nord et le Sud du continent, un dénominateur commun avait été défini par le précédent secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, l’isolement du  Venezuela, cible supposée rassembler l’ensemble du continent américain. Le 14 février dernier, le Pérou et 13 autres Etats américains ont adopté une déclaration, dite de Lima,  demandant à Nicolas Maduro (le président du Venezuela) s’il souhaitait assister à ce Sommet, de reporter les élections dans son pays prévues le 20 mai prochain. Caracas a maintenu son calendrier électoral, avec pour conséquence la suspension de l’invitation au sommet des Amériques du président vénézuélien. Le secrétaire d’Etat Rex Tillerson, brutalement démis de ses fonctions, n’est plus en poste. Donald Trump semble actuellement se désintéresser du Venezuela en réorientant ses critiques principales en direction du Mexique. Dans le désordre conceptuel des propos contradictoires émanant de la Maison Blanche, il était difficile de comprendre réellement quel pays, entre le Venezuela et le Mexique, pouvait être la cible de la rencontre continentale. En ne venant pas à Lima, Donald Trump a finalement acté l’inexistence aujourd’hui à Washington d’un discours sur l’Amérique latine.

L’absence de Donald Trump à ce rendez-vous est-elle le symbole de la politique américaine ambiguë avec les pays d’Amérique latine, spécialement avec le Mexique ?

A première vue, cette décision peut sembler totalement contradictoire dans la mesure où l’existence de ce Sommet des Amériques est le résultat d’une initiative inventée par les Etats-Unis. Washington souhaitait réorganiser par la voie du dialogue son autorité morale et politique, ainsi que son influence économique, commerciale et culturelle sur l’ensemble du continent américain. La décision du président des Etats-Unis, de Donald Trump, de ne pas assister à cette conférence a un sens politique qui est totalement cohérent avec la façon dont il considère les relations internationales, ainsi que les rapports que son pays doit avoir avec les pays d’Amérique centrale et du Sud. Ces liens sont fondés sur l’idée que ces derniers sont des pays de « second ordre ». Donald Trump a notamment utilisé des propos particulièrement grossiers envers Haïti, le Salvador (et les pays africains) qui reflètent son sentiment à leur égard. Les relations avec ces pays répondent à des injonctions découlant des intérêts des Etats-Unis. Cette relation ambiguë et inégalitaire est caractérisée aussi par les déclarations du président américain concernant le Mexique et l’ALENA, ce dernier étant le plus mauvais accord signé par les Etats-Unis, selon Donald Trump. Ou encore envers la Colombie. Le chef d’État a critiqué la centralité prise par le processus de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), soulignant que le plus important n’était pas la paix mais plutôt de mettre fin au trafic de stupéfiants, qui compromet la sécurité des Etats-Unis.

Le paradoxe des relations entre les Etats-Unis et les pays d’Amérique latine est que, pendant longtemps, Cuba a été exclu des Sommets des Amériques et de l’OEA en raison du caractère de son régime politique. Mais depuis le rétablissement de relations officielles entre La Havane et Washington, Cuba a pu participer au 7e Sommet des Amériques. Le président cubain, Raul Castro, va participer à ce 8e Sommet, sa dernière intervention publique avant sa retraite, sans que cela soit contesté par les Etats-Unis.

Ce sommet sera intéressant à suivre dans la mesure où les pays latino-américains, y compris ceux, aujourd’hui majoritaires, menant une politique de « droite », c’est-à-dire les plus favorables à la politique des Etats-Unis, vont se trouver au défi de s’organiser en faisant abstraction, dans une certaine mesure, de l’absence d’un dialogue, suivi et cohérent, avec leur grand voisin du Nord.
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