17.12.2024
Ivanka Trump, caution féminine et alliée du Président contre les femmes
Presse
9 avril 2018
Si, comme le montrait une récente couverture du New Yorker, le roi Donald est nu, la princesse Ivanka l’est aussi. Trump, qui, pendant sa campagne, qualifiait sa fille préférée de « piece of ass » (on laissera le lecteur traduire), a besoin de l’avoir près de lui, au quotidien, pour le soutenir, le rassurer, le conforter dans son rôle. Mal à l’aise lorsque le sujet est abordé par les journalistes, Ivanka Trump dit « croire » son père face aux accusations de harcèlement, d’attouchement ou de viol portées contre lui par une vingtaine de femmes. Même s’ils ont des désaccords – sur le climat, par exemple –, le père et la fille partagent des intérêts bien compris : les leurs.
Depuis la victoire de son père, Ivanka Trump a répété qu’elle voulait œuvrer pour l’empowerment des femmes dans la sphère professionnelle. Le discours, emprunté à la sphère néolibérale et destiné aux super-diplômées et aux cadres supérieures ou aux chantres – généralement ignorants des recherches en études de genre – du développement personnel, n’est pas étonnant dans la bouche ou sous la plume de celle qui est d’abord une héritière.
Ainsi, Ivanka Trump a souhaité promouvoir un dispositif de congé parental rémunéré par l’État fédéral. Elle le considère comme un « investissement » de la nation et il aurait selon elle pour effet de réduire le gender pay gap. Néanmoins, comme le fait remarquer un journaliste de Forbes, cette réalité se vérifierait uniquement si les hommes prenaient ce congé autant que les femmes. Or, dans la quasi totalité des pays occidentaux, ce n’est pas le cas.
Ivanka Trump se réfère aux conclusions du Council of Economic Advisers, selon lequel c’est l’accroissement du travail – et du niveau d’éducation – des femmes depuis les années 1970 qui serait à l’origine de l’augmentation – souvent du maintien – du niveau de vie des classes moyennes. Mais elle oublie que le gender gap en matière de carrière et de salaire perdure en grande partie parce que les tâches domestiques et parentales incombent encore aux femmes et que la maternité les pénalise dans leur vie professionnelle.
En réalité, Ivanka Trump cible une toute petite partie des femmes, comme le note le Washington Post, et cette stratégie relève d’une stratégie lucrative : vendre des livres à celles qui s’identifient à elles, entretenir son image et sa marque. Ancienne cadre dirigeante de la Trump Organization, à la tête de sa propre marque de vêtements, de chaussures et de bijoux – boycottée depuis l’élection de 2016 par plusieurs grandes enseignes comme Nordstrom, ce qui leur a valu des tweets vengeurs du Président Trump, lesquels s’apparentent à une publicité aux frais du contribuable et alimente les accusations de conflits d’intérêts –, elle se moque du sort des femmes.
Le silence assourdissant d’Ivanka Trump face aux coupes budgétaires fédérales dans la santé, la culture et l’éducation ; son soutien, même, à la réforme fiscale, votée au Congrès, qui se fait au détriment des plus démunis – au sein desquels les femmes, notamment celles qui vivent seules avec leur(s) enfants(s), sont en première ligne – en sont d’autres indices.
DU SOUTIEN AUX INÉGALITÉS SALARIALES…
Lorsque l’avancée vers l’égalité des salaires entre les femmes et les hommes est freinée par Donald Trump, là encore, Ivanka va dans son sens. Le président a en effet mis un terme à une mesure d’Obama consistant à accroître la transparence salariale dans les entreprises. À son arrivée à la Maison blanche, Obama a signé la Lilly Ledbetter Fair Pay Act qui facilite les poursuites pour discrimination salariale, puis, à la fin de son deuxième mandat, a plaidé pour que les progrès soient plus rapides. D’où un décret pour contraindre les entreprises de plus de 100 salariés à fournir aux pouvoirs publics des données annuelles sur leur politique salariale en fonction du sexe et de l’origine. La mesure, qui devait entrer en vigueur au printemps 2018, a donc été supprimée par le nouveau président.
L’argument de Trump pour justifier sa décision est la lutte contre la bureaucratie excessive et la nécessité de diminuer les contraintes pesant sur les entreprises. Cet argument de la dérégulation convainc aussi Ivanka Trump qui a déclaré qu’elle ne « pensait pas » la mesure d’Obama efficace. Caution féminine du président, elle prouve donc qu’elle incarne parfaitement le gender washing, un procédé reproché aux organisations qui misent sur une communication promouvant les femmes et la diversité, mais qui perpétuent leurs pratiques inégalitaires. Principe, ici, appliqué à l’État…
… À LA LUTTE CONTRE L’AVORTEMENT
Le Planned Parenthood – équivalent de notre planning familial – s’est récemment insurgé contre une proposition que lui auraient faite Ivanka Trump et son mari, Jared Kushner, en 2017 : une sécurisation des subventions fédérales contre l’arrêt des mesures en faveur de l’accès à l’avortement. Or la grande majorité de l’activité du Planned Parenthood est l’information sur la santé sexuelle et l’accès aux soins. En tout état de cause, l’organisation ne peut légalement pas financer des avortements.
Cecile Richards, la présidente du Planned Parenthood, raconte dans son livre Make Trouble: Standing Up, Speaking Out, and Finding the Courage to Lead le cynisme des époux Trump-Kushner, déja décrit par Michael Wolff et Naomi Klein dans leurs récents ouvrages respectifs : « Jared et Ivanka n’étaient là que pour une raison », dit Cecile Richard : « assurer une victoire politique. Dans leur esprit, faire cesser les avortements au sein du Planning Familial assiérait leur réputation de négociateurs doués. » Cette proposition, estime Cecile Richards, qui l’a refusée, « avait l’air d’un pot-de-vin. »
On a, pendant la campagne de 2016, accusé Hillary Clinton d’incarner un féminisme « blanc » des classes supérieures. Mais on ne peut pas enlever à Clinton son féminisme, aussi imparfait soit-il. Son programme comportait des mesures en faveur de l’égalité et des droits des femmes. Avec Ivanka Trump se joue un anti-féminisme prenant la forme d’un mépris des femmes qui ne sont pas « bien nées » comme elle. Il s’agit de faire perdurer les inégalités.
LA MARQUE IVANKA
Son livre, Women Who Work, rédigé avant l’élection de 2016 et opportunément publié en 2017, est, selon le Washington Post, « une suite de 200 pages réaffirmant de manière banale que tout sera super. » Communiquez et partagez vos succès, ayez confiance, suivez votre passion… Et quand il s’agit de gérer un licenciement, Ivanka Trump conseille aux femmes de négocier la rupture, de consulter un avocat et de faire valoir toutes les clauses du contrat de travail. Conseil difficile à mettre en œuvre pour les employées et les ouvrières, souvent peu diplômées et percevant de faibles salaires. C’est d’autant plus le cas des femmes issues des minorités africaine-américaine ou latino, qui sont encore moins payées que les autres parce que souvent victimes de discriminations liées à l’origine. Naïveté, incompétence managériale, inculture ou stratégie marketing ?
Et que penser du fait qu’Ivanka Trump représente le président à l’étranger, par exemple en Corée du Sud pour les récents J.O. d’hiver – à la place de l’ambassadeur des États-Unis –, au G20 à Hambourg ou en Inde pour le Global Entrepreneurship Summit ? Ou lors de réunions diplomatiques à Washington avec le premier ministre canadien – rencontre « glamourisée » par la presse –, ou à Mar-a-Lago avec le président chinois, qui lui permettent d’accroître son business en Chine ?
Le népotisme de la famille Trump est parfaitement incarné par la fille aînée du président. La doctrine Jackson – dont l’une des caractéristiques est de gouverner avec son clan – se vérifie une fois encore avec le président en exercice. Présenté – négativement – comme le « camp des démocrates », des « New Yorkais » par leurs adversaires politiques, le tandem Jared-Ivanka – « Jarvanka », comme les surnomme Steve Bannon qui ne les apprécie pas –, n’est pas progressiste. Leur but est-il, outre celui de faire fructifier leurs affaires respectives, de profiter de la présidence de Donald Trump pour démarrer une carrière politique ? Ivanka Trump vise-t-elle, comme le prétend Michael Wolff, une future candidature à la Maison blanche ? L’alibi des femmes semble, en tout cas, bel et bien servir les intérêts particuliers d’une héritière qui pose sur les réseaux sociaux en femme d’affaires, mère et épouse riche-comblée-parfaite et qui, finalement, n’a pas d’autre ambition.