17.12.2024
Syrie : Faut-il avoir peur? (Déambulation dans la tête de Donald Trump…)
Presse
12 avril 2018
On se perd en conjoncture et il convient de reposer l’ensemble des données connues pour tenter de distinguer quelque chose de cohérent, et suivre à peu près quelle sera la marche vers une décision : le premier tweet qui est tombé en provenance du téléphone privé de Donald Trump a surpris tout le monde : le président des Etats-Unis semblait défier les Russes, avec sa rhétorique habituelle, lorsqu’il parlait de missiles « beaux », « tout neufs » et « intelligents ». On aurait volontiers rit si l’affaire n’avait pas été aussi grave.
Pire que durant le guerre froide?
Du côté des Russes on a eu beaucoup moins envie de rire. L’ambassadeur russe au Liban a violemment réagi, promettant la destruction des bases de lancement. Comprenez : les navires d’où serait hypothétiquement tirés ces beaux missiles. La porte-parole de la diplomatie russe s’est exprimée assez vite dans à peu près les mêmes termes ; cela suffisait pour inquiéter le monde et s’interroger sur notre avenir à tous. Donald Trump a fini de nous faire peur en ajoutant que les relations entre les deux pays sont exécrables, et même pires que durant la guerre froide !
Mais on sait aussi que Donald Trump ne souhaite pas froisser son homologue russe et Vladimir Poutine semble dans les mêmes dispositions d’esprit. Quelles que soient les crises, les sanctions décidées, les deux hommes ne cessent jamais de se parler et d’envoyer des signes qui, au contraire, nous rassurent. D’ailleurs, un nouveau tweet présidentiel américain venait confirmer qu’il en serait encore une fois ainsi puisque Donald Trump tendait à nouveau la main à Vladimir Poutine, et expliquait qu’ils avaient bien plus intérêt à s’entendre qu’à se déchirer. On retrouvait là le businessman, celui qui ne veut pas faire la guerre mais préfère faire du commerce. Du côté russe, même son de cloche, qui a été un peu inaudible dans une ambiance surchauffée, avec Vladimir Poutine qui a invité tout le monde à rester calme.
Les débats médiatiques, diplomatiques et politiques ont donc tourné toute la journée autour de ces questions existentielles d’une possibilité de tirs américains –ou avec une coalition de pays–, ainsi que des rapports entre les Américains et les Russes.
Et si on changeait de point de vue ?
Arrêtons-nous là quelques instants : n’est-on pas dans une discussion très « classique » sur le plan de la diplomatie ou du militaire ? Et comme il nous faut obligatoirement répondre par l’affirmative, comment ne pas s’interroger sur cette chose si étrange ? Car, en effet, depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump on n’a JAMAIS parlé de diplomatie avec les mots d’autrefois, ceux d’avant sa présidence. Cette constatation n’est pas indigne d’intérêt. Creusons donc cette idée, quitte à changer notre point de vue, pour regarder toute cette scène avec un œil neuf…
On a compris depuis très longtemps que Donald Trump ne veut pas froisser Vladimir Poutine : avec ses appels répétés à collaborer avec lui, il s’est mis à dos pendant sa campagne l’ensemble des élus républicains, qui ne veulent pas en entendre parler. Même s’il a été élu et qu’il a fait plier le parti, ceux-ci lui ont tout de même imposé fin juillet 2017 des sanctions contre les Russes, avec une loi qu’il n’est même pas autoriser à amender ou interpréter. Un véritable camouflet voté à la quasi-unanimité du congrès !
Sur le plan diplomatique, de façon plus générale, Donald Trump n’aime pas subir les évènements : c’est donc lui qui créé sans cesse les actions et oblige toutes les places diplomatiques du monde à s’adapter à sa volonté, après les avoir mise à chaque fois en émoi profond. Pourquoi y aurait-il soudain une mutation aussi nette de sa part ? Est-ce dû à son entourage, qui a changé récemment ? Va-t-on encore une fois nous expliquer qu’il n’est qu’une marionnette aux mains de quelques conseillers qui font de lui ce qu’ils veulent, avant de se faire renvoyer manu-militari ? Ou bien, le président Trump est-il tellement englué dans des affaires intérieures qu’il n’a trouvé que ce moyen pour obliger tout le monde à regarder ailleurs ? Certains commentateurs voient en effet là une énième conséquence de l’enquête russe (la collusion entre la campagne Trump et la Russie).
Regardons l’entourage
Un nouveau tweet est tombé deux heure après le premier, celui qui est signalé plus haut : le président Américain a étrangement associé les difficultés que les Américains rencontrent avec les Russes à l’enquête menée par le procureur Mueller. On était là bien loin de la guerre froide. L’incompréhension est devenue grande. A vrai dire, c’est un peu comme à chaque fois. Certains commentateurs se sont donc concentrés sur la crise en Syrie, avec les manœuvres militaires et diplomatiques, car c’était déjà assez compliqué à expliquer. D’autres, au contraire, se sont à nouveau précipités sur cette enquête russe, un feuilleton digne de « Dallas », la série fleuve des années 1980, où on se savait plus qui était méchant ou gentil mais que tout le monde regardait, car il y avait un côté addictif avec de multiples rebondissements qui se contredisaient les uns les autres.
Bien évidemment, comme à chaque fois, d’autres encore se sont inquiétés d’un possible renvoi de ce procureur, ou de son supérieur direct, Rod Rosenstein, et il y a même eu un projet de loi déposé illico par une groupe de sénateurs très motivés pour permettre à Mueller de faire appel de son renvoi si celui-ci devait intervenir dans les prochains jours.
Le fou montre la lune et tout le monde regarde son doigt
L’agitation qui règne à Washington n’émeut plus les foules américaines depuis très longtemps. Chacun vaque à ses occupations et attend de voir ce qui va en sortir, autrement dit pas grand-chose, d’habitude. Sauf si l’enjeu est ailleurs.
Car on a aussi appris à suivre cette présidence avec un décodeur qui nous a été fourni par Donald Trump lui-même : son livre « l’Art du Deal ». Il a répété à toutes les pages que lorsqu’on veut quelque chose il faut surtout le cacher à son adversaire et lui faire croire que, justement, l’enjeu est ailleurs. Pour cela, explique-t-il très bien, il faut avoir recours au chaos, dans lequel on cache ses intentions et sa progression. Malin ! Il reste à faire une hypothèse sur ce qui motive si fortement Donald Trump en ce moment. A vrai dire, je ne vois qu’une chose qui pourrait prodigieusement l’ennuyer : ce serait que son poulain, Mike Pompeo, qu’il vient de nommer au ministère des Affaires Étrangères en remplacement de Rex Tillerson, ne soit pas confirmé par le sénat.
Un tel événement serait un coup de tonnerre politique sans précédent, qui affaiblirait prodigieusement sa présidence puisqu’elle détruirait son autorité et le rangerait dans le camp des « perdants » aux yeux de ses supporters. Cette chose-là ne doit évidemment pas arriver aux yeux de Donald Trump, alors que tout est objectivement réuni pour que ce soit inévitable : Pompéo n’est pas apprécié des élus. Son passage à la tête de CIA lui a surtout collé la réputation d’un homme intransigeant, dur, favorable à la torture. Pour cette raison-là, Rand Paul a déjà indiqué qu’il votera contre cette nomination. Or les républicains n’ont plus qu’une seule petite voix de majorité d’avance au sénat. L’aubaine est trop belle pour les démocrates, qui considèrent déjà tous que cet homme ne peut pas occuper ce poste car il est ouvertement islamophobe. Ils resserreront donc les rangs pour infliger à ce président insaisissable une défaite majeure, à quelques mois des élections de mi-mandat.
Du moins, tout cela aurait été possible dans un climat plutôt apaisé. Ça ne l’est plus dans un climat de guerre potentielle ou de crise internationale majeure. Les démocrates s’exposeraient en effet à une critique sévère des électeurs qui ne plaisantent jamais avec l’intérêt national. La donne a donc changé et tout est devenu très compliqué.
Les auditions de Mike Pompéo en vue de sa confirmation commencent aujourd’hui. En se levant ce matin, il devait être un peu plus serein qu’il ne l’aurait été voici quelques jours à peine. Cela ne nous épargnera pas les frappes, ou peut-être que oui. Donald Trump décidera de l’intérêt de poursuivre sur cette voie, ou pas. Mike Pompéo devrait être confirmé. Très peu aurait parié là-dessus voici quelques jours encore.