ANALYSES

« Les alliances des Kurdes se retournent toujours contre eux »

Presse
23 mars 2018
Interview de Didier Billion - La Croix
« Auprès des Kurdes de Syrie, les Américains, qui les ont soutenus, ont un jeu trouble, et les Européens sont inexistants. Certes, les Kurdes ont subi une défaite à Afrin. Les combats qui ont précédé la chute de la ville ont été meurtriers, mais celle-ci est tombée sans presque aucun coup de feu. Ce qui signifie qu’il y a eu un accord entre le Parti de l’union démocratique (PYD) et les Turcs pour qu’ils puissent exfiltrer leurs combattants et les civils.

Par ailleurs, il y a des liens troublants entre les Kurdes du PYD et Damas. Aux débuts de la guerre en Syrie, en 2012, les militaires syriens ont quitté la zone d’Afrin en quelques jours et le PYD s’est tout de suite imposé en structurant les villages et hameaux. Ces dernières semaines, des milices liées à Damas sont passées par des zones contrôlées par le régime de Bachar Al Assad, pour aller renforcer les Kurdes d’Afrin contre les Turcs. Car Bachar avait intérêt à s’opposer aux Turcs qui n’ont aucun mandat pour occuper Afrin. Les Kurdes ne sont pas totalement isolés. Les liens avec Damas n’ont jamais été rompus.

Mais il demeure que les Kurdes de Syrie, cadres politiques et militaires du PYD, sont tous du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ce qui s’explique par la longue histoire de celui-ci dans le canton d’Afrin qui était une de leur base. En 1998, au moment de vives tensions entre Syrie et Turquie – qui ont conduit au départ de la Syrie d’Öcalan (leader du PKK aujourd’hui emprisonné) qui y était réfugié –, des chars turcs s’étaient déployés à la frontière avec la Syrie parce qu’il y avait eu des escarmouches entre l’armée turque et le PKK. Et parmi les combattants du PKK tués, beaucoup avaient des papiers d’identité syriens.

Mais les dynamiques politiques portées par le PKK et par le PYD ne sont pas les mêmes. La question kurde en Syrie se pose en relation avec ce qui se passe dans le reste du pays et avec une hypothétique solution politique au conflit.

Les Kurdes de Syrie n’ont pas dit leur dernier mot car dans cette région, les Turcs sont perçus comme armée d’occupation, alors que les combattants du PYD sont comme des poissons dans l’eau. Après le début de la guerre en Syrie, en 2011, beaucoup de petits groupes politiques kurdes ont émergé, mais les opposants potentiels au PYD ont été éliminés par eux et par le PKK. Ce ne sont pas de grands démocrates.

Et même si certains Kurdes du PYD voulaient s’émanciper du PKK, ce dernier ne les laisserait pas faire. Sans le soutien politique, militaire et logistique du PKK, le PYD n’est rien. Ils n’ont pas le choix de s’autonomiser du PKK qui est totalement hégémonique. Mais ils n’ont pas le même agenda politique et il n’est pas impossible qu’à un moment donné, il y ait un accord entre le PYD et Damas. La tragédie du peuple kurde, c’est que toutes les alliances qu’ils passent se retournent contre eux à un moment donné. »

Propos recueillis par Agnès Rotivel
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