ANALYSES

« You’re fired » : Donald Trump et le « business government »

Interview
14 mars 2018
Le point de vue de Jean-Éric Branaa, maître de conférences à l'université de Paris II Assas et chercheur associé à l’IRIS


La démission du secrétaire d’État Rex Tillerson, ce lundi 12 mars, au profit de Mike Pompeo, homme de confiance du président américain, ainsi que la nomination de Gina Haspel, figure controversée du renseignement à la tête de la CIA, vient allonger la liste des personnes ayant démissionné ou ayant été limogées. Cette pratique du pouvoir indissociable du passé d’homme d’affaires du président américain s’inscrit dans une forme de « business government », où ceux qui ne partagent pas la culture d’entreprise de l’administration Trump ou n’obtiennent pas les résultats escomptés sont priés de s’en aller. Néanmoins ces remaniements à la tête du département d’État et de la CIA sont un coup de force dans les luttes intestines qui opposent la Maison-Blanche aux services de renseignement et au Pentagone. Le point de vue de Jean-Éric Branaa, maître de conférences à l’université de Paris II Assas et chercheur associé à l’IRIS.

Le limogeage du secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, a surpris notamment de par sa spontanéité, même si son départ semblait acté depuis quelques semaines. Avec la récente démission du principal conseiller économique et de la directrice de la communication, sommes-nous dans la continuité d’une gestion plus erratique que jamais du pouvoir ?

Les limogeages – et qui plus est les limogeages surprises – font partie de la « méthode Trump » qui reste fidèle à son fonctionnement au sein de la « Trump organization Inc », ou lorsqu’il était à la tête de l’émission de télé-réalité « The Apprentice ». Il a érigé la phrase devenue culte « You’re fired » au rang de slogan, synonyme d’une bonne gestion, selon lui. Le 45e président est, en effet, persuadé que cette méthode est la bonne, et il n’a donc aucune raison d’en changer : il se comporte toujours comme un businessman, un PDG, qui demande des comptes à ses directeurs ou chefs de service, et les remplace lorsqu’ils ont failli. C’est effectivement une vraie rupture avec la pratique du pouvoir jusqu’à ce qu’il soit élu, mais c’est aussi ce qu’il avait annoncé : il se veut un perturbateur, car ses électeurs ne veulent plus d’un ronronnement au sommet du pouvoir, qu’ils assimilent à de l’incompétence et un détournement de la volonté qu’ils ont exprimé par leur vote. Mais peut-on parler pour autant de politique erratique ? Pas forcément, car on se rend compte maintenant que la cohérence est évidente dans l’esprit de ce président. Il n’est pas un homme politique et n’a aucune formation qui l’emmène à considérer les problèmes qui se posent à lui en termes politiques. Il applique donc sa vision « du monde des affaires », qui considère que le but à atteindre est plus important que tout, quels que soient les dégâts occasionnés. Cela ravit par ailleurs son électorat et cette satisfaction l’encourage à poursuivre dans la même voie.

Peut-on s’attendre à une réorientation stratégique de la politique étrangère américaine suite à la nomination de Mike Pompeo au secrétariat d’État, décrit comme un homme de confiance ayant une proximité idéologique avec Donald Trump ?

Mike Pompeo a un profil très différent de Rex Tillerson. D’abord parce qu’il a été élu et qu’il connaît bien les rouages du Congrès.  Il était en effet un des représentants du Kansas à la Chambre, avant que le président Donald Trump ne le nomme à la tête de la CIA. Il a gagné son élection sur une base dure, inspirée des idées du Tea Party et avec le soutien des frères Koch, ces richissimes donateurs du parti républicain qui « fabriquent » de potentiels dirigeants conservateurs à coup de millions. Mike Pompeo a été un très bon élève.  Le directeur de la CIA est vite devenu un très proche de Donald Trump, dont il a épousé toutes les vues, sur l’ensemble des sujets. Aujourd’hui, il est bien difficile de glisser ne serait-ce qu’un papier de cigarette entre les deux points de vue de ces deux hommes, tellement ils sont proches. Cela n’a pourtant pas toujours été le cas. Pendant la campagne, Mike Pompeo avait été très critique envers l’actuel président, mais c’était lorsqu’il soutenait Marco Rubio. C’est un vestige du passé qui semble totalement enterré.

L’ex-numéro 2 de la CIA, Gina Haspel, est désormais à la tête de la plus puissante agence de renseignement au monde. Au-delà de sa figure controversée, et de la nomination d’une figure féminine à ce poste, le président américain est-il en train de prendre l’avantage dans les luttes de pouvoir opposant les services de renseignement à l’Administration Trump ?

Assurément. Ce rôle était dévolu à Mike Pompeo lorsqu’il a été nommé à la tête de la CIA, et il a parfaitement rempli sa mission. Quelques heures avant l’annonce d’une rencontre entre le président des États-Unis et Kim Jong Un, Mike Pompeo a été aperçu dans le bureau ovale avec Donald Trump, lorsque celui-ci recevait une délégation sud-coréenne qui lui a transmis cette invitation. Mike Pompeo a donc figuré parmi les très rares personnes qui ont été immédiatement informées de cette décision. Cela n’est pas surprenant, car il est considéré comme un loyaliste de Donald Trump : il a prouvé ses compétences au sein de la CIA où il lui avait été demandé de ramener le calme et de mettre en place un équilibre qui est toujours très délicat à obtenir entre l’agence d’espionnage et ce président américain qui a comparé les services de renseignement américains aux nazis…
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