21.11.2024
Donald Trump et l’Amérique latine, un effet migratoire déstabilisateur
Tribune
9 mars 2018
Donald Trump a résumé son programme électoral et gouvernemental en deux mots : America First. Ce programme se décline en plusieurs volets : commerce extérieur, sécurité des frontières, contrôle des entrées et sorties du territoire, identité et priorité nationales. « Étranger » est devenu un gros mot, et migrant une situation à risque.
Haïtiens et Salvadoriens ont été traités de ressortissants de « pays de merde ». 700 000 mineurs sans-papiers attendent depuis plus d’un an une hypothétique régularisation[1]. Ils ont manifesté leur désarroi le 5 mars 2018 dans plusieurs villes des États-Unis. La construction d’un mur sur la frontière avec le Mexique, payée par les Mexicains, leur est rappelée à tout bout de champ par Donald Trump.
Une liste noire de pays dont les ressortissants sont quasiment interdits d’entrée a été établie le 27 janvier 2017. Les rafles de sans-papiers sont plus nombreuses. Le statut de résident privilégié des Centraméricains (ou TPS) a été remis en cause. Les économies des pays latino-américains ont été parallèlement affaiblies par une série de mesures déstabilisatrices : dénonciation de l’Accord de libre-échange d’Amérique du Nord (ALENA), annonce d’une taxation douanière sur l’acier et l’aluminium exportés aussi par le Mexique, révision à la baisse des accords signés par l’administration Obama avec Cuba, sanctions financières contre le Venezuela, baisse de l’aide au développement accordée aux Latino-Américains les plus démunis.
Les conséquences de ces discours et décisions agressives ont été doubles. Elles ont ajouté de l’incertitude à une instabilité économique et politique assez largement partagée. Les gouvernements, de gauche encore au pouvoir en Équateur et au Venezuela, et de droite toujours aux affaires en Colombie, au Honduras et au Mexique, ou ayant accédé au pouvoir ces derniers mois, au Brésil, au Chili, au Pérou, ont été pris à contre-pied. Débordés par une décroissance non maitrisée, ils sont aujourd’hui bousculés par l’offensive commerciale et migratoire de Donald Trump.
Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Mexique, voire Pérou et Uruguay sont dépassés par des flux humains inattendus. Les collectivités locales frontalières, les aéroports craquent sous la pression migratoire. Déficit policier, législation inadaptée, absence de personnels d’accueil, ont pris à revers des autorités non préparées. Les États-Unis se fermant aux produits comme aux ressortissants latino-américains, une vague montante d’exclus prise dans des courants « browniens » menace de faire sauter bien des digues frontalières.
Le Mexique doit gérer le retour forcé de ses sans-papiers et l’expansion indéfinie des migrants clandestins centraméricains. Les Haïtiens les plus pauvres passent la frontière dominicaine. Les autres tentent leur chance en nombre vers le Brésil et le Chili. Le Chili a accueilli 104 782 Haïtiens en 2017. La faillite économique du régime vénézuélien, accentuée par les sanctions nord-américaines, a déversé des dizaines de milliers de personnes dans toute l’Amérique du Sud.
La République dominicaine a répondu avec deux fers au feu. L’expulsion manu militari de clandestins haïtiens, plus de 124 000 en 2017s’accompagnant d’une tentative de médiation entre partis politiques vénézuéliens afin de permettre une relance de l’économie, de l’emploi et de la consommation. Brésil et Colombie s’efforcent de trouver ensemble des réponses pour ralentir le flux des réfugiés économiques vénézuéliens[2]. Ils seraient plus de 550 000 en Colombie. Mais aussi plusieurs dizaines de milliers en Argentine, au Brésil, au Chili, en Équateur, à Panama et quelques milliers au Costa Rica, au Mexique et en Uruguay. Un appel a été adressé à la solidarité de l’Amérique latine. Couplé sur un soutien aux pressions internationales sur le gouvernement vénézuélien.
Ces mesures prises dans l’urgence, et le désordre, reflètent l’état d’une Amérique latine bousculée depuis quelques années par la fin des « vaches grasses » commerciales, et crochetée depuis un an par le nouveau président des États-Unis, Donald Trump. Après l’Argentine et le Chili, l’Europe et ses excroissances américaines (les DFA – Départements français des Amériques, les Antilles néerlandaises), et le Canada, pourraient être l’ultime sortie de secours pour ces milliers de Latino-Américains et de Caribéens en mal de vivre. D’autant plus qu’au Chili, les premiers ferments xénophobes et racistes, ciblant les Haïtiens, ont fait leur apparition[3].
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[1] Le programma DACA (programme d’action différée pour les migrants mineurs)
[2] Les deux pays se sont concertés à Brasilia le 22 février 2018.
[3] La première campagne anti-haïtienne a été diffusée le 25 février 2018 et massivement reprise sur internet la première semaine de mars.