17.12.2024
Trump et les femmes : et si le rapport de forces s’inversait?
Presse
16 février 2018
Dans un tweet posté le 10 février, qui évoque sans le nommer le cas de Rob Porter, Trump exprime son regret que « la vie des gens soit brisée et détruite par de simples accusations » et que ceux « qui sont faussement accusés ne puissent s’en remettre. Leur vie et leur carrière sont finies ». La veille, il avait déclaré que Porter « se dit innocent et je crois qu’il faudra s’en souvenir », ajoutant : « nous lui souhaitons bien sûr d’aller bien. Il a fait un très bon travail à la Maison blanche ».
En revanche, comme l’ont souligné plusieurs observateurs, le président n’a pas eu un mot pour les victimes présumées, alors que des photos d’une ex-conjointe de Porter, avec un œil au beurre noir, circulait dans la presse. C’est même la publication de cette photo qui aurait poussé Porter à la démission, alors qu’il avait l’entier soutien de la Maison blanche comme l’a rappelé la porte-parole, Sarah Huckabee Sanders, et notamment de son supérieur, le général Kelly, qui était au courant de l’affaire depuis longtemps.
De son côté, le vice-président Mike Pence, depuis la Corée du Sud où il a assisté à l’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver, s’est exprimé en ces termes : « Il n’y a pas de tolérance au sein de la Maison blanche, ni de place en Amérique pour les abus conjugaux ». Il s’est dit « atterré » par les accusations contre Porter et Sorensen.
La défense systématique des hommes – du camp républicain – dans le cadre de soupçons de violences, sexuelles ou autres, contre des femmes est un leitmotiv chez Trump. Il avait apporté son soutien à Roger Ailes, ex-patron de Fox News, et à Bill O’Reilly, l’un de ses animateurs vedettes, accusés par plusieurs femmes de harcèlement sexuel, ainsi, on s’en souvient, qu’à Roy Moore, le candidat républicain battu en Alabama lors d’une élection sénatoriale partielle. Le président est-même mis en cause dans de nombreuses affaires d’agressions sexuelles et de viols.
Mais lorsqu’il s’agit d’accusations visant des élus du parti démocrate, comme le sénateur Al Franken ou le représentant John Conyers, ou proches du parti, à l’instant d’Harvey Weinstein lui-même, les critiques fusent et il n’est alors plus question de « vie brisée » ou de « carrière terminée » : Trump se réjouit que la parole des femmes puisse se libérer.
Le 14 février, après la vague d’indignation qui a suivi les révélations sur Porter et Sorensen, il a dit condamner les violences conjugales, mais dans une formule ambiguë : « Je suis contre les violences conjugales, quelles qu’elles soient. Tout le monde sait cela. Et l’on ne devrait même pas avoir à le dire. Maintenant, je vous le dis, mais vous le savez tous ». Néanmoins, le poste de chef.fe de bureau chargé.e de la violence contre les femmes au ministère de la Justice est vacant depuis l’arrivée de Trump à la Maison Blanche, et le budget fédéral en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes a été diminué.
Personne ne croit alors un instant à sa sincérité. Trump est coutumier des propos misogynes, et notamment de moqueries sur le physique des femmes, y compris dans son propre camp. A propos de sa rivale républicaine Carly Fiorina, pendant les primaires en 2016, il avait déclaré : « vous avez vu sa tête ? Qui voterait pour ‘ça’ ? ». Elizabeth Warren s’est aussi entendu dire : « regardez ses pommettes ! vous les trouvez jolies ? Pas moi ». Hillary Clinton en a aussi été victime tout au long de la campagne.
Trump a usé du même procédé contre certaines journalistes, à l’instar de Megyn Kelly, laissant entendre qu’elle était une mauvaise intervieweuse parce qu’elle avait ses règles – « elle saigne de partout, c’est dégoûtant » – ou de Mika Brzezinski – « son lifting du visage saignait encore ». C’est surtout lorsqu’il est mis en difficulté par des femmes qu’il les dénigre. Ainsi, à Carmen Yulin Cruz, la maire d’une commune de Porto Rico, qui suppliait les États-Unis d’envoyer une aide humanitaire après l’ouragan Maria, il a rétorqué qu’elle avait un « poor leadership ». Pour Trump, en effet, les femmes doivent rester « à leur place », autrement dit à l’arrière-plan.
C’est pourquoi, dans le contexte actuel, l’attitude opportuniste, et pour le moins cynique de Trump sur le sujet des violences faites aux femmes ne passe plus, y compris chez les républicains. Elle pourrait, dès le scrutin intermédiaire de novembre prochain, s’avérer coûteuse sur le plan électoral. D’une part, la popularité de Trump diminue chez les électrices républicaines. Le taux d’approbation chez les femmes blanches – qui avaient voté Trump à 52%, en particulier les moins diplômées et dans les Etats de la Rust Belt – a perdu en moyenne 10 points en un an, alors que dans le même temps le taux de désapprobation en gagnait 12. Selon un récent sondage, près de 80% des femmes blanches non diplômées du supérieur estiment que le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est un problème. Le parti républicain, qui souhaiterait que le président s’en tienne à des éléments de langage sur la croissance économique et la baisse des impôts (porteurs en matière de popularité), déplore ses déclarations sur Porter ou Moore.
D’autre part, l’engagement des femmes dans le militantisme féministe incarné, notamment, par les Women’s March, ainsi qu’auprès du parti démocrate, ne faiblit pas. Après la forte abstention de novembre 2016, la mobilisation électorale pourrait en outre rebondir chez les démocrates, et en particulier chez les électrices, Roy Moore en ayant déjà fait les frais en Alabama. Si la mobilisation militante se concrétise dans les urnes, le Congrès pourrait basculer en novembre. « Ça vient, c’est pour de vrai » : même l’anti-féministe viscéral qu’est Steve Bannon admet que le mouvement des femmes est une menace politique pour Trump.
Car au-delà des « petites phrases », c’est plus globalement un projet ultra-conservateur que mène l’administration en place. Par ses choix politiques, Trump incarne, de manière tout à fait délibérée et revendiquée, la défense d’un patriarcat blanc et d’une idéologie masculiniste.
Ainsi, il supprime les subventions aux associations œuvrant pour l’information et l’accompagnement des femmes sur leur santé sexuelle (avortement, notamment) aux États-Unis et dans les pays du Sud ; il étend à toutes les entreprises la liberté de ne pas inclure la contraception dans l’assurance-santé de leurs employées ; il permet aux personnels soignants de ne pas prodiguer certains soins en raison de leurs convictions religieuses ; il coupe dans les budgets de la culture, de l’éducation, de la santé et de l’aide à la personne (où se concentrent les emplois dits féminins) ; il ne prévoit rien pour les plus démunis dans sa grande réforme fiscale, alors que les femmes sont particulièrement touchées par la pauvreté, surtout dans les familles monoparentales, etc.
Si la défense des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes est aujourd’hui un véritable mouvement d’opposition aux Etats-Unis, il lui faut, pour être le point de départ de la reconquête politique du pays, non seulement agréger les revendications d’autres militants anti-Trump – anti-racisme, défense de l’environnement, lutte contre les inégalités socio-économiques, éducatives, etc. -, mais aussi construire un contre-récit sur tous les sujets de l’agenda.
Articuler toutes les luttes, toutes les revendications d’émancipation est un projet de transformation en profondeur des rapports sociaux et des structures sociales, dont le féminisme peut être le fer de lance, comme le rappelait Raewyn Connell. Mais l’Amérique de Trump ne flanchera pas si facilement.