ANALYSES

Une loi de programmation militaire 2019-2025 aux objectifs contradictoires

Tribune
12 février 2018


Le projet de loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 a été adopté en conseil des ministres le 8 février, définissant ainsi le périmètre stratégique des armées pour les sept années à venir, les équipements nécessaires à sa réalisation et les moyens budgétaires qui y seront alloués. Cette nouvelle LPM se veut être la première pierre qui bâtira l’édifice « d’un modèle d’armée complet et équilibré » à l’horizon 2030, tel que préconisé dans la revue stratégique publiée, en octobre 2017. Toutefois, si l’inflexion budgétaire est notable, il est nécessaire d’analyser le projet de la prochaine LPM à la lumière des ambitions affichées par le président de la République en matière militaire, soit atteindre 2% du PIB affectés à la défense en 2025, mais également d’une autre ambition affichée, celle de restaurer les comptes de l’État et d’accroître la compétitivité économique de l’industrie et des services.

L’inflexion notable du budget de la défense, pour les 7 prochaines années, est-elle soutenable ?

Le président de la République a fixé le cap pour les armées françaises, celui d’une « Ambition 2030 ». Dans un monde en plein réarmement, la France s’exprime clairement en faveur d’un accroissement de son budget de défense qui se traduit dans la nouvelle LPM 2019-2025. Cela n’aura échappé à personne, les attentats qui ont touché le pays depuis 2015, la multiplication des opérations extérieures, ont fini de convaincre François Hollande d’abord, puis Emmanuel Macron depuis son élection, d’enrayer la diminution des effectifs militaires, et de revoir à la hausse un budget qui avait diminué, puis stagné, depuis la chute du mur de Berlin. Cette loi de programmation militaire traduit sans doute une inflexion stratégique majeure que l’on avait pu constater en Asie et que l’on voit depuis deux ans au sein de l’Union européenne : les budgets de défense repartent à la hausse. La lutte contre le terrorisme djihadiste, en France et dans le cadre des opérations extérieures, la crise ukrainienne – même si la Russie ne peut être considérée comme un ennemi -, la croissance forte et continue du budget de la défense de la Chine, la multiplication des cyberattaques et le redémarrage à la hausse du budget de la défense des États-Unis avec la présidence Trump, créent un climat propice à une croissance des dépenses militaires.

Sur le plan comptable, cette LPM prévoit un effort de 197,8 milliards d’euros entre 2019 et 2022, soit une augmentation de 1,7 milliard d’euros par an jusqu’en 2022, et de 3 milliards d’euros à partir de 2023. L’objectif affiché par Emmanuel Macron durant la campagne électorale aux élections présidentielles était d’atteindre des dépenses de défense à hauteur de 2% du PIB à horizon 2025, et c’est bien ce qui a été retenu dans la LPM 2019-2025.

Difficile à l’heure actuelle de dire si cet objectif financier sera tenu dans les délais impartis. L’évolution du contexte macroéconomique dans les années à venir, l’élection présidentielle de 2022, la fluctuation de l’environnement stratégique, incertain et instable, sont autant de facteurs qui pourraient avoir une influence sur le déroulé de la LPM. Tout se passe comme si la première partie de la programmation se traduisait par une progression raisonnable des dépenses militaires, qui s’accentuent dans les dernières années. C’est en effet à partir de cette date que le coût du renouvellement des deux composantes de la dissuasion nécessitera une augmentation sensible des dépenses militaires.

Une première étape, celle de la « régénérescence »

Les premières années de la programmation militaire seront consacrées au renouvellement de matériels militaires usés par le temps. L’effort portera sur les véhicules blindés avec le programme Scorpion, et de manière générale, sur tous les matériels nécessaires à la protection du soldat. Le programme Scorpion était certes prévu de longue date, mais la multiplication des opérations extérieures avait encore accéléré l’usure de matériels vieillissants comme le VAB. Cette régénérescence nécessaire aux « conditions d’exercice du métier des armes » passe également par la mise à disposition de petits équipements indispensables à l’entraînement du soldat, et aux besoins d’outils individuels exigés par le métier (munitions de petits calibres, habillements, gilets pare-balles modernisés, outils technologiques performants, tels que des moyens de communication améliorés). Cette régénérescence se traduit par l’accroissement de la disponibilité des équipements militaires et de nos matériels nécessaires aux opérations. Cela sous-entend la hausse des crédits dédiés au maintien en condition opérationnelle (MCO). Notre armée est aujourd’hui une armée en guerre. Or, notre soutien des matériels était configuré pour une armée en paix : il fallait donc changer la donne.

Dans le domaine aérien, l’entrée en service des ravitailleurs A-330 MRTT permettra de prendre le relai des KC-135 qui avaient été acquis dans les années 60 pour ravitailler les Mirage IV, porteurs de notre première arme atomique. Dans toutes les opérations extérieures récentes, nous étions dépendants des capacités américaines dans ce domaine, ce qui n’était pas souhaitable en termes d’autonomie stratégique. L’avion de transport A 400 M vient, quant à lui, remplacer les Transall qui étaient entrés en service dans les années 60.

La quête sans fin du modèle d’armée complet

Mais les défis futurs s’annoncent déjà, et le comblement des lacunes capacitaires d’aujourd’hui ne fait que mettre en lumière les lacunes capacitaires qui s’annoncent pour demain. La rénovation des avions de patrouille maritime Atlantique 2 sera poursuivie, mais il faudra bien développer un nouveau système, peut-être avec les Allemands, afin de remplacer des avions entrés en service au début des années 80. Il faudra également se doter enfin de drones – en coopération avec les Allemands, les Italiens et les Espagnols -, 20 ans après que les Américains et les Israéliens se soient dotés de ce type de matériel. Il sera également nécessaire d’avancer dans la définition du système de combat aérien futur (SCAF), là aussi en coopération avec les Allemands, et sans doute avec d’autres pays, qui pourront s’agréger ultérieurement à ce projet.

Enfin, il faut préparer et développer les technologies du futur. Depuis plus de quinze ans, le budget de recherche et technologie (R&T) est en baisse. Il sera désormais porté à 1 milliard d’euros contre 730 millions d’euros aujourd’hui. Le défi technologique prendra d’ailleurs sans doute une autre forme que par le passé. Les nouvelles technologies, dans lesquelles investissent massivement Américains et Chinois, ont pour nom l’intelligence artificielle, le big data ou l’information quantique, et elles sont développées essentiellement dans le secteur civil.

Protéger l’autonomie stratégique nationale et favoriser l’autonomie stratégique européenne

Le terme est réutilisé à de nombreuses reprises tout au long de la nouvelle LPM. L’autonomie stratégique de l’outil de défense français est une priorité inconditionnelle, et elle éclipserait presque la recherche d’une autonomie stratégique européenne, pourtant elle aussi valorisée dans le projet de la prochaine loi de programmation militaire. L’argument retenu par celle-ci est subtil, la première – nationale – doit être en mesure de conditionner la seconde – européenne -, et ce pour parvenir à ce que la France appelle le développement d’une « culture stratégique commune ».

Cela passe par la réalisation des ambitions politiques en matière de défense européenne à travers la mise en œuvre du Fonds européen de défense, le développement d’une coopération en matière industrielle, et la coopération intensifiée, ou renouvelée, avec des partenaires européens sur des théâtres d’opérations. Par ailleurs, la nouvelle LPM annonce que les programmes d’équipements qui seront lancés entre 2019 et 2025 seront conçus dans une perspective de coopération européenne, hors programmes de souveraineté nationale, et sans parler des programmes européens d’ores et déjà en cours. Il faut ici y voir des opportunités dans le secteur des drones (programme de drone MALE), des avions de patrouille maritime (programme PATMAR Futur), du programme de démineurs SLAMF avec le Royaume-Uni, ou encore des réflexions conduites en commun avec l’Allemagne liées au remplacement du Char Leclerc.

Au final, la question principale porte sur la capacité de la France à maintenir un modèle d’armée complet avec une croissance des dépenses militaires que l’on peut considérer comme raisonnable, tout au moins sur les quatre premières années, au regard de la contrainte économique. Pour le moment, le sentiment est que deux discours sont tenus de concert avec deux objectifs contradictoires : augmenter les dépenses militaires et restaurer les comptes publics. Il n’est pas certain que cette stratégie soit tenable dans le temps, et il faudra peut-être se résoudre, soit à privilégier le premier objectif, mais cela nécessite sans doute une croissance plus forte des dépenses militaires, soit à privilégier le deuxième objectif, auquel cas cela nécessite que le modèle d’armée complet soit élaboré dans un cadre plus large que le cadre national, c’est-à-dire dans le cadre de l’Union européenne avec les 27 autres États membres, ou avec quelques partenaires européens uniquement.
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