21.11.2024
Référendum en Équateur : un scrutin national à portée régionale
Interview
6 février 2018
Une liste de sept questions portant sur des sujets aussi divers que la reconduction de mandat, la législation sur l’environnement, ou encore la criminalité, a été posée aux Équatoriens lors d’un scrutin référendaire ce 4 février. Dans un contexte de rivalité entre l’ancien président Rafael Correa et l’actuel Lenin Moreno, la possibilité ou non de se porter candidat de manière indéfinie pour un mandat politique aura été l’enjeu majeur de ce scrutin référendaire. En toile de fond, l’Équateur dessine également ses orientations nationales face à des voisins régionaux dont les gouvernements de gauche ont été balayés par une vague conservatrice. Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS, sur la situation.
Quels étaient les enjeux de ce scrutin référendaire qui s’est déroulé ce dimanche en Équateur ? Avec 64% de voix en faveur du « oui », comment analyser cette victoire des partisans de l’actuel président Lenin Moreno ?
L’analyse que l’on peut faire de ces résultats est plus complexe que celle rapportée dans la presse au lendemain de ce scrutin. Sept questions étaient posées aux électeurs. La plus importante, effectivement, concernait la réélection éventuelle du président de la République, mais d’autres portaient sur la condamnation de crimes contre les mineurs, d’infractions liées à la législation environnementale, ou encore l’élection des membres du conseil participatif, la lutte contre la corruption. Sur l’ensemble des sept questions, le résultat n’est pas homogène. Un « oui » ultra-majoritaire (73%) l’emporte sur la nécessité d’appliquer des peines maximales aux crimes commis contre des mineurs. En revanche, le score a été plus faible concernant l’abrogation d’un impôt sur les plus-values avec 63%.
La question de la réélection qui était la seconde question posée aux électeurs se trouve dans la fourchette basse avec 64% contre 35% de non. C’était la question la plus importante posée aux électeurs. L’intérêt de cette consultation a donc été réduit par les observateurs à cette unique question. Il est vrai qu’il s’agissait de la question aux incidences politiques les plus lourdes de conséquences et qui a, à juste titre, mobilisé électeurs et partis politiques.
La presse évoque l’avènement d’une « ère post-Correa » avec l’impossibilité pour l’ancien président de se représenter. Au-delà de la suppression du mandat illimité, quelles autres mesures déclinées lors de ce référendum tendent vers une évolution significative du système politique équatorien ?
Au-delà de la question donnant la possibilité pour d’anciens présidents de se représenter, il y avait d’autres sujets sur lesquels les citoyens équatoriens étaient interrogés, comme celui des limitations apportées à l’extraction de matières premières, notamment de pétrole dans les parcs nationaux protégés, et en particulier celui de Yasouni. Cette question était très importante pour l’Équateur et le « Oui » l’a emporté à 67%.
Mais la question centrale était effectivement celle de l’interdiction pour un président de se représenter de manière indéfinie. La victoire du « oui », et donc l’interdiction de la réélection présidentielle indéfinie, interdit la candidature de l’ex-président Rafael Correa aux prochaines présidentielles. Ce qui interpelle sur son futur politique. Le jeu politique équatorien sera donc redistribué. On va s’en apercevoir dans les prochaines semaines, puisque le Parlement sera saisi des résultats de ces questions référendaires pour les intégrer à la loi fondamentale.
À ce moment-là, il sera pertinent d’observer le comportement des députés issus du parti Alianza País, qui initialement rassemblait les partisans du président Correa et ceux de l’actuel chef de l’Etat Lenin Moreno. Les uns et les autres se sont divisés, et sont donc membres de formations différentes. Mais, jusqu’à présent, les uns et les autres votaient de manière relativement cohérente. La redistribution du jeu politique est incontournable, conséquence du référendum, chacun ayant pris des positions différentes. La fracture va donc se concrétiser entre les partisans de Rafael Correa et ceux de Lenin Moreno. La cohabitation sera de facto impossible pour les deux groupes au sein d’une même formation et/ou coalition. Lenin Moreno sera sans doute contraint de « fabriquer » une majorité avec ses adversaires de droite – en tout ou partie -, de la présidentielle de 2016. Ils ont, en effet, appelé à voter « oui » au référendum du 4 février[1].
Lenin Moreno, ancien allié et ex-vice-président de Rafael Correa et actuel chef de l’Etat, a célébré cette victoire, déclarant, entre autres, que « maintenant, les partis et mouvements politiques sont face au grand défi de se renouveler ». L’Équateur entre-t-il également dans une période de règlements de comptes politiques à l’instar du Brésil et d’autre pays de la région ?
Oui, assurément, mais sur des dynamiques politiques internes propres à l’Équateur. Il y a une rivalité personnelle entre l’ancien et l’actuel dirigeant équatorien, et celle-ci a pesé dans cette division et répartition des rôles qui sont apparues à l’occasion de la consultation de ce dimanche. Cela dit, cette reconfiguration a également pour enjeux les orientations du pays, y compris sur le plan régional. L’ex-Président Correa considère qu’il faut approfondir l’orientation qu’il avait dessinée jusqu’ici, quitte à aller vers la confrontation avec ses voisins de la région – Chili, Pérou, Brésil -, gouvernés par des équipes conservatrices.
Pour Lenin Moreno, il faut a contrario composer avec un environnement hostile afin de préserver l’essentiel des acquis sociaux de ces dernières années, l’héritage du parti Alianza País. Cela passe par la négociation de compromis avec le patronat local, les associations écologiques et indigènes, qui étaient en conflit avec l’ex-chef de l’État, ainsi que l’élargissement de négociations engagées avec les grands blocs commerciaux, avec l’Union européenne, ouvertes par son prédécesseur, et aujourd’hui les États-Unis, premier partenaire commercial de l’Équateur.
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[1] Les partis « Creo » de Guillermo Lasso et Parti social-chrétien de Jaime Nebot