Manifestations en Tunisie : « La population a atteint un point de rupture »
LCI : Les manifestations de ces derniers jours sont-elles une réaction au récent budget d’austérité ou le symptôme d’une crise plus profonde ?
Béligh Nabli : Elles révèlent en effet une crise, dans la mesure où, depuis la chute de Ben Ali et la période de transition démocratique qui a suivi, la Tunisie vit au rythme de mobilisations sociales et de grèves. C’est l’une des caractéristiques de sa transition démocratique. Mais il faut reconnaître que ces jours-ci, nous assistons à un mouvement d’une intensité plus importante. Comme si la population avait atteint un point de rupture, qui s’est manifesté lors du débat autour de la loi de finance, puis de sa récente adoption. Celle-ci confirme une politique d’austérité dans laquelle s’est engagé le gouvernement. En outre, il prévoit une augmentation de la TVA et donc du coût de la vie, ainsi que de nouvelles taxes. Cette loi de finances n’a fait que confirmer l’idée selon laquelle il n’y avait pas de perspective d’amélioration pour les Tunisiens concernant le coût de la vie.
LCI : Dans quelle mesure le quotidien pâtit de cette politique d’austérité ?
Béligh Nabli : Derrière les chiffres macroéconomiques, il y a une vraie réalité. Nous avons noté une inflation de 6.5% en décembre 2017, cela se vérifie notamment sur des produits de première nécessité, l’alimentation. La Tunisie doit importer une part importante de sa nourriture. Or, la monnaie nationale a été dévalorisée de près de 30% en moins de 2 ans, synonyme d’augmentations dans les achats du quotidien.
LCI : Il y a eu plusieurs vagues de contestation ces derniers mois dans le pays ; quelle est la particularité de ce mouvement?
Béligh Nabli : Il vise la stratégie politique du gouvernement. Jusqu’à présent, les réalités locales étaient à l’origine de grèves sporadiques. Là, ce sont les choix du gouvernement en place et l’absence d’offre politique alternative qui est à l’origine des troubles. Les Tunisiens se disent qu’ils n’ont pas le choix, qu’ils doivent manifester leur ras-le-bol, afficher aux yeux des dirigeants qu’un point de non-retour a été atteint.
LCI : Ces mouvements sont-ils de nature à remettre en cause la transition démocratique observée depuis 2011 ?
Béligh Nabli : Il faut avant tout savoir que la Tunisie mérite son titre d’exception concernant son processus de démocratisation, celui-ci s’inscrit dans un long processus. Mais en même temps, derrière cette réussite, il n’y a pas de fluidité. Ce processus est heurté, il est laborieux, et la donnée sociale pèse comme une épée de Damoclès sur la transition. Il y a environ deux ans, c’était la question sécuritaire qui était prioritaire, là on assiste à un retour en force de la question sociale.
LCI : L’opposition politique a-t-elle une carte à jouer ?
Béligh Nabli : Le problème est en effet également de nature politique, puisque les citoyens ne voient pas d’alternative dans l’offre qui leur est proposée. Tant au niveau de la coalition gouvernementale, qui est divisée, qu’au sein du parti majoritaire. Ce dernier n’affiche d’ailleurs pas de soutien ferme et enthousiaste au gouvernement et se met en retrait. Du côté de l’opposition, il n’y a aucune dynamique, aucune mobilisation qui jouerait en leur faveur car il n’y a pas en leur sein d’offre claire et alternative.
Propos recueillis par Thomas Guien