12.11.2024
Déclin de la communication de Daech : résilience de la propagande djihadiste ?
Interview
16 janvier 2018
Un déclin du potentiel technique de la propagande de Daech semble s’opérer consécutivement à la perte de son emprise territoriale avec, en parallèle, une implication massive des acteurs des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Mais nombre d’organisations, au premier rang desquelles Al-Qaïda longtemps minorée après la mort de son chef en 2011, entendent profiter de ce contexte pour opérer un redéploiement de leur stratégie communicationnelle. Quant à l’éradication de ces organisations, cause prioritaire du Conseil de sécurité de l’ONU depuis 17 ans, elle fait face à des difficultés elle aussi en termes de communication mais plus largement d’ordre stratégique et politique. Pour nous éclairer, le point de vue de François-Bernard Huygue, directeur de recherche à l’IRIS
Les revers militaires majeurs subis par Daech affectent-ils la propagande de l’organisation terroriste ? Des mutations dans sa stratégie de communication ont-elles été opérées ?
À l’évidence oui et pour plusieurs raisons. Il y a tout d’abord eu une nette diminution des capacités techniques de diffusion ce qui a eu pour conséquence un quasi-arrêt de leur production audiovisuelle telle qu’on a pu la connaître il y a encore un an. Les vidéos montrant des exécutions par des moudjahidines triomphants ou des scènes d’une vie quotidienne heureuse sont désormais inexistantes. Quand on n’a plus de capitale ni de territoire et que l’on est sous les bombes, il est très difficile de faire des productions hollywoodiennes. Leur revue en ligne Rumiyah, publiée en 11 langues, ne paraît plus depuis le mois de novembre. L’Agence de l’organisation de l’État islamique continue à envoyer des communiqués, mais il y a une réduction notable de la production.
Un autre élément a également joué sur les capacités de propagande de Daech et concerne l’action des géants du web. Les GAFA ont en effet été très efficaces, et il est désormais beaucoup plus compliqué en tant que non-initié de trouver en ligne de la propagande djihadiste. Actuellement, les moteurs de recherche renvoient systématiquement à des pages web concernant la déradicalisation ; les hébergeurs comme YouTube suppriment tout contenu suspect. Le réseau social Twitter aurait, par exemple, procédé à la suspension de plus d’un million de comptes suspectés de contenu djihadiste. Cela ne veut évidemment pas dire que ces comptes sont rattachés à un million de personnes réellement radicalisées, mais cela illustre l’ampleur de la prise en compte de la problématique par les géants d’internet. Cela tranche avec la faiblesse de l’efficacité gouvernementale dans la lutte contre la propagande djihadiste. Un constat s’impose : les acteurs techniques des nouvelles technologies de l’information et de la communication ont été bien plus performants à la fois par conviction et intérêt que le politique.
Cependant, cette diminution des capacités techniques de propagande ne signifie en aucune manière la fin de celle-ci, elle va se reporter via des accès moins mainstream. Cela peut être par exemple la création d’une chaîne sur la messagerie Telegram qui est cryptée. Mais même sur ce type de support, des hackers présentés comme irakiens auraient réussi à s’y infiltrer et à saboter les contenus. Néanmoins, la propagande s’opère par des réseaux humains et durant les derniers mois de l’emprise territoriale de Daech, il y a eu une préparation des esprits avec comme pour message une ultime épreuve infligée par « Allah » à travers cette défaite militaire qui in fine divisera l’Occident et provoquera son effondrement. L’objectif étant de transformer une défaite militaire en victoire spirituelle.
Il est également à prendre en compte la contre-propagande comme celle fournie par les unités de protection du peuple kurde, le YPG, qui fonctionne particulièrement bien, car elle porte sur le discours des repentis.
Si la communication de Daech a reposé sur un storytelling éminemment triomphaliste – « Le Califat durera et s’étendra, nous triompherons et nous gagnerons » -, les événements de ces derniers mois l’ont rendu beaucoup moins audible.
Daech a eu tendance à éclipser Al-Qaïda, particulièrement sur le plan médiatique. Or, force est de constater que cette organisation a fait preuve d’une étonnante résilience et tend à se renforcer dans certaines régions. Comment l’expliquer ?
Oui, absolument. Cette résilience est à la fois sidérante et extraordinaire. Voilà une organisation que l’Occident a mise sur sa liste noire il y a environ 30 ans, et contre qui elle a déclenché la plus grande mobilisation militaire de l’après 45.
L’exécution de Ben Laden a été célébrée comme le grand triomphe d’Obama pour la démocratie. Or cette organisation se pérennise, les branches arabique (AQPA) et sahélienne (AQMI) se renforcent, avec les talibans alliés à l’organisation, la guérilla et les attentats se poursuivent. Leur sens de la communication, s’il a pu paraître « vintage » avec la montée en puissance de Daech, n’a en réalité jamais été érodé.
La pensée stratégique de l’organisation s’est toujours située dans le long terme : combattre l’ennemi lointain et faire triompher l’Oumma dans un siècle ou plus. Sa structure hypersouple n’a jamais dépendu d’un commandement unique, mais fonctionne avec un système de franchises régionales ou locales très décentralisées. Malgré l’apparition de Daech en 2006 qui résulte d’une querelle interne à Al-Qaïda, cette dernière a survécu. Sa force est d’avoir pu se reconfigurer au fil des contextes géopolitiques notamment au niveau du discours qui s’est constamment adapté à la demande.
L’interrogation actuelle sur cette organisation est de savoir si les défaites militaires de Daech vont provoquer un effet de vase communicant. Cela conforterait les partisans d’Al-Qaïda pour qui la création d’un califat territorial était initialement vouée à l’échec.
On a assisté à l’émergence d’opérations et de coalitions militaires : opération Barkhane, force conjointe du G5 Sahel, alliance militaire islamique pour combattre le terrorisme, avec souvent une haute dimension communicationnelle. Cela fait-il partie de la stratégie des États dans la lutte contre les organisations terroristes ?
C’est à partir des attentats du 11 septembre 2001 que la lutte contre les organisations terroristes a été mise à l’agenda politique de l’ONU via le Conseil de sécurité. À partir de là s’est opéré un cycle long d’opérations sur le terrain. Cet interventionnisme a été tout d’abord présenté comme altruiste au nom du genre humain face à des criminels et afin de libérer des populations. À ce titre, « l’envoi des petites filles à l’école » a été un argument largement utilisé par le politique au début des années 2000 pour justifier l’entrée en guerre en Afghanistan.
Or, après l’Afghanistan, ça a été l’Irak en 2003, puis le Mali en 2013, puis la Syrie, et de nouveau l’Irak. Le problème est qu’aucune de ces opérations n’a été gagnée en dehors du cadre purement militaire. Par « gagner », il faut se référer au philosophe de la guerre Clausewitz pour qui la guerre est faite pour obtenir la victoire. Cette victoire suppose au préalable la capacité à soumettre sa volonté politique à son adversaire et, en théorie, qu’il accepte de se désarmer. Concernant les organisations terroristes cette victoire n’a été enregistrée nulle part.
Bien entendu, on a mis les armées de Saddam Hussein en déroute, la ville de Raqqa a fini par être libéré et pas uniquement grâce aux Occidentaux. Mais on fait face à ce problème de fond qu’un général américain avait soulevé : « Quand je tue un terroriste le matin, je ne veux pas avoir affaire à de nouvelles recrues le soir ». Or, les opérations extérieures ont constitué un important vivier de recrutement : en occupant des territoires sur le long terme, même avec une victoire militaire et un appui d’une majorité des populations, la présence militaire étrangère est ressentie tôt ou tard avec pesanteur, voire hostilité. L’art d’intervenir doit s’accompagner pour nos gouvernements de celui de se retirer de manière adéquate.
Aussi, si succès militaires il y a eu, nous avons été et nous sommes toujours confrontés à un problème d’ordre communicationnel. Les opinions nationales ont pu à un moment donné être enthousiastes à l’idée d’aller punir Ben Laden et chasser les Talibans au lendemain du 11 septembre, mais 17 ans après on n’en est plus du tout là. Les dossiers sont beaucoup plus compliqués que prévu et c’est bien l’usure qui guette les opinions.
Prenons le cas de l’Afghanistan actuel : Talibans, insurgés, Al-Qaïda, Daech, on en arrive à ne même plus pouvoir désigner l’ennemi premier. De même que pour nos objectifs : on ne défend pas ses frontières et le principe d’une intervention au nom du droit international interroge de plus en plus le citoyen.
Si l’on sait mettre en déroute des armées conventionnelles ou des colonnes de pick-up de djihadistes, on est toujours incapable d’élaborer des accords ou traités dans les pays où nous sommes intervenus.