ANALYSES

L’Afrique, entre retour des migrants et des djihadistes

Tribune
13 décembre 2017


Alors que l’Union européenne et certains Etats du Sud comme l’Italie se protègent contre les migrants en ayant des relations avec les réseaux mafieux des passeurs ou des vendeurs d’esclaves, l’Afrique doit gérer le retour de 20.000 migrants et 6000 combattants de l’Etat islamique venant d’Irak et de Syrie. Tel Sisyphe, elle doit sans fin gérer de nouveaux défis alors que ses moyens sont limités.

Des pays comme la France dont on estime le nombre de djihadistes potentiellement de retour à un peu plus de 600 semblent désarmés pour gérer ces djihadistes de retour de Syrie et d’Irak alors qu’ils disposent de cellules de déradicalisation, d’un Etat de droit, d’infrastructures, etc. Les combattants africains de l’EI sont quant à eux estimés à 6000 sur 30000 étrangers alors que les frontières sont poreuses, les infrastructures d’accueil limitées et les forces de police et militaires faibles en nombre et en efficacité.

Le repli des djihadistes en Afrique concerne prioritairement la Libye en proie au chaos, la Somalie et la zone saharo-sahélienne (d’une superficie voisine de celle de l’Europe occidentale). Il peut passer par des réseaux ayant officiellement fait allégeance à l’Etat islamique comme Boko Haram mais également des mouvances terroristes liées à Al-Qaïda. L’Organisation de l’Etat islamique a défini trois califats en Afrique : la zone Egypte, Tchad, Soudan (califat Alkinaana), la zone Erythrée, Ethiopie, Somalie, Kenya, Ouganda (califat Habasha) (et la zone nord-africaine (Maghreb plus Niger, Nigeria, Mauritanie). Au-delà de ces référents, la stratégie de dissémination prédomine. Malgré l’importance de la force Barkhane, les casques bleus, des coopérations régionales entre pays africains, les actions terroristes se sont accrues au Mali (surtout au centre), au Burkina Faso et au Niger. Les dépenses nationales de sécurité augmentent mais aux dépens des actions de développement économique et social. Le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) a du mal à être financé et à devenir opérationnel. Les réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux.

A ces actions s’ajoute la gestion de 20.000 migrants dont l’Union africaine dit qu’elle doit favoriser le retour dans les pays d’origine. Les drames des « damnés de la mer » (cf. Benjamin Stora) se sont réduits mais au profit d’une réactualisation de l’esclavage en Libye et des connivences entre les réseaux mafieux, terroristes et esclavagistes. Là encore, les politiques d’urgence de la part de décideurs débordés l’emportent sur une vision stratégique capable d’anticiper. La montée des populismes en Europe et une certaine « lepénisation des esprits » conduisent à des représentations de l’autre en termes d’assignations identitaires raciales ou religieuses, de fermeture des frontières ou du chacun chez soi alors que les sociétés du Nord et du Sud ont à gérer des interdépendances et que les frontières sont débordées.

Plus que jamais la gestion des flux de mobilité des hommes doit être assurée par des politiques régionales favorisant les mouvements des zones africaines pauvres et surpeuplées vers les zones sous-peuplées et à fort potentiel. L’appui à des politiques régionales est la seule alternative pour les pays européens à une pression migratoire qui ne peut que croître avec le temps. Ceci implique des partenariats multi acteurs qui dégagent des financements à la hauteur des enjeux avec en parallèle des projets de développement à diverses échelles territoriales. Plus que jamais, le devenir de l’Europe dépend largement de la manière dont les défis seront relevés en Afrique, comment ses potentialités se transformeront en opportunités et comment les fermetures et les murs feront place aux ouvertures et projets communs euro-africains.
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