13.12.2024
Emmanuel Macron : une normalisation décomplexée des relations entre l’Afrique et la France
Tribune
30 novembre 2017
Un grand oral réussi, pourtant à hauts risques
Devant un public de 800 étudiants réunis dans un amphithéâtre houleux de l’Université de Ouagadougou, séduisant, habile, sur un mode parfois didactique – mais le lieu et l’audience s’y prêtaient – Emmanuel Macron a abordé le 28 novembre tous les grands sujets africains : terrorisme, trafic d’êtres humains (« un crime contre l’humanité »), changement climatique (« l’Afrique est à l’avant-garde »), l’urbanisation (« l’Afrique sera dans quelques années le continent des mégalopoles »), l’obscurantisme religieux (« une menace bien plus redoutable parfois que le terrorisme, car elle est massive, diffuse, quotidienne, elle s’immisce dans les écoles, dans les foyers, dans les campus, dans la vie politique »), la démocratie « un combat que vous avez ici mené et gagné ») et enfin la démographie, (« avec 450 millions de jeunes à insérer sur le marché du travail en Afrique d’ici 2050 »).
Sur ce dernier sujet délicat, – celui de la démographie – Emmanuel Macron était particulièrement attendu après la déclaration malheureuse qu’il fit en juillet dernier en marge du Sommet du G20 sur la natalité africaine excessive. Il devait se corriger et il ôta donc l’adjectif de « civilisationnel », mais surtout, avec une certaine virtuosité, il en appela à la liberté des femmes à choisir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent. Il fut adroit et convaincant tout particulièrement en insistant sur l’importance indéniable de l’éducation des jeunes filles.
Le ton fut parfois lyrique, sur la francophonie par exemple, « un corps vivant dont le cœur bat quelque part pas loin d’ici ». Plus mesuré à d’autres instants, sauf lorsqu’il dénonça les trafiquants de migrants, « des Africains et non des Européens », des intermédiaires véreux comme du temps de l’esclavage. Ou pour mettre en garde, avec la même véhémence, contre les investisseurs étrangers qui n’ont pas les scrupules sociétaux et environnementaux des entreprises françaises, qui suscitent les troubles tout en pillant les ressources. Mais sans citer la Chine. « Ne vous trompez pas d’amis ! » a-t-il exhorté.
La revendication d’une connivence générationnelle
Avec un goût certain pour la franche mise en scène et l’envie irréfrénable de briser certains interdits, notamment lors de la séquence inédite pour un président français de questions-réponses avec les étudiants, Emmanuel Macron a cherché à instaurer une connivence générationnelle avec son auditoire. « Je vous parlerai avec sincérité mais aussi avec une profonde amitié. Je suis comme vous d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé». Les références furent de bon aloi : Nelson Mandela, Thomas Sankara, Ahmadou Kourouma, Joseph Ki Zerbo et même Felwine Sarr, le jeune économiste de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, l’auteur d’Afrotopia et qui inspira la conclusion du discours : « L’Afrique n’a personne à rattraper. Elle ne doit plus courir sur les sentiers qu’on lui indique, mais marcher prestement sur le chemin qu’elle se sera choisi ».
L’on craignait le dérapage verbal, une fâcheuse habitude des politiciens français, comme chez Nicolas Sarkozy. Il fut évité dans le discours écrit mais il est hélas advenu quand Emmanuel Macron fit une mauvaise plaisanterie sur Roch Kaboré, son homologue, sorti un moment de l’amphithéâtre, prétendument pour « réparer la climatisation ». Emmanuel Macron donna aussi la leçon aux étudiants quand il dénonça leur esprit paradoxal, même s’il avait matière à la faire devant l’indigence ou l’absurdité de certaines questions qu’ils posaient (comme sur l’or burkinabé confisqué par la France ou sur le dynamisme démographique de la Chine).
Une volonté de rupture et une relation décomplexée
Reprise plusieurs fois, devant un public qui n’a que 15 ans de moins que lui, la formule « Je suis de la génération… » a servi adroitement pour asseoir le propos d’Emmanuel Macron sur la rupture. « Je suis d’une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire. (…) Je suis d’une génération où on ne vient pas dire à l’Afrique ce qu’elle doit faire, quelles sont les règles de l’État de droit, mais [qui] encouragera celles et ceux qui en Afrique veulent prendre leurs responsabilités, veulent faire souffler le vent de la liberté ».
Il n’y a donc plus de politique africaine de la France. « Il y a une politique que nous pouvons conduire, il y a des amis, il y a des gens avec qui on est d’accord, d’autres non. Mais il y a surtout un continent que nous devons regarder en face». On entend clairement dans ce propos la fin de la Françafrique (la « France-à-fric », une mort déjà annoncée par Nicolas Sarkozy et François Hollande mais, cette fois, avec plus de conviction, probablement parce qu’elle est inspirée par un Conseil présidentiel pour l’Afrique composé pour moitié de jeunes Africains de la nouvelle génération. Rien ne fut oublié, et pour la première fois depuis Jacques Chirac on a trouvé un intérêt, manifestement sincère, pour la culture africaine, pour le patrimoine, la peinture, la musique, le cinéma et le sport, avec notamment l’annonce du lancement d’une saison culturelle africaine en 2018.
Certaines formules furent joliment tournées, destinées à faire date : « Aujourd’hui, nous sommes orphelins d’un imaginaire commun qui nous enferme dans nos conflits, parfois dans nos traumatismes. (…) L’Afrique est tout simplement le continent central, global, incontournable car c’est ici que se télescopent tous les défis contemporains. C’est en Afrique que se jouera une partie du basculement du monde. (…) C’est cela que je suis venu faire. Proposer d’inventer une amitié pour agir. Et le ciment de l’amitié, c’est de commencer par tout se dire ».
Un appel à la responsabilité des Africains
« Nous n’avons pas de leçons à donner ». Aux Africains donc de prendre leurs affaires en main. Comme de décider de rester dans la Zone franc ou de changer le nom du franc CFA. « C’est un non-sujet pour la France », a-t-il dit un peu rudement à ceux qui voient dans cet héritage colonial la poursuite d’un dessein pernicieux de la France et de ses entreprises. S’il défend une rupture dans la méthode, Emmanuel Macron n’est toutefois pas revenu sur les grandes lignes de la politique française au Sahel. La lutte contre le terrorisme djihadiste demeure, selon lui, « un impératif » et doit être menée à travers le nécessaire déploiement des forces du G5 Sahel. « Les solutions ne viendront pas de l’extérieur ». Et lorsqu’une étudiante l’interrogea sur le fait que Paris privilégie une approche sécuritaire, le chef de l’État lui rétorqua un peu sèchement : « J’aurais préféré vous envoyer nettement moins de soldats… Mais il faut les applaudir, les soldats français », eu égard à ceux tombés ou blessés au Mali.
Il reste à passer aux actes
Les engagements annoncés sont nombreux. Comme celui sur le patrimoine africain : « je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Comme celui du soutien à l’entrepreneuriat africain (« qui peut apporter les 450 millions d’emplois dont l’Afrique aura besoin d’ici 2050 »). La France consacrera plus de 1 milliard d’euros pour soutenir les PME africaines, avec l’Agence française de développement, la Banque publique d’investissement mais aussi les fonds d’investissements privés français. Comme celui de la création d’un fonds pour les infrastructures pour investir dans le numérique, les transports et l’agriculture.
L’engagement renouvelé lors du discours du chef de l’État sur l’aide publique est particulièrement contraignant puisque passer à 0,55 % du revenu national à l’horizon 2022 revient à augmenter l’aide de 6 milliards d’euros en cinq ans, soit pas moins de 1,2 milliard par an, une trajectoire mal engagée avec la loi de finances 2018 qui ne prévoit qu’une hausse de 100 millions. Les acteurs du développement attendent d’en savoir plus. Pour autant, Emmanuel Macron accompagne cette hausse de critères explicites d’efficacité et de proximité, avec une nécessaire « culture de l’évaluation », ce qui devrait donner une bien meilleure place qu’actuellement dans le dispositif de l’aide française aux associations, aux ONG et aux collectivités locales, les acteurs proches du terrain et connaissant le mieux les réalités. Les Africains seront vigilants sur d’autres dossiers, comme celui des visas de circulation de longue durée pour les étudiants ou la déclassification de l’ensemble des documents produits par les administrations françaises et couverts par le secret-défense sur les conditions de l’assassinat en 1987 de Thomas Sankara.