17.12.2024
Corée du Nord, Chine et missiles nucléaires : les bonnes nouvelles qui pourraient se cacher derrière les mauvaises
Presse
30 novembre 2017
Jean-Vincent Brisset : Sur le plan technique, ce nouveau tir nord-coréen présente -entre autres- la particularité d’être à la fois plutôt court en portée et très élevé en apogée.
Si les chiffres annoncés sont confirmés, cela voudrait dire que cette expérimentation démontre que la Corée du Nord a réussi à développer un engin qui, tiré sous un autre angle, serait capable d’atteindre le territoire Nord-Américain. Autre nouveauté, cette « démonstration » a été réalisée sans survoler le territoire d’un autre pays. Outre la preuve d’une certaine maîtrise technologique, il s’agit d’un choix politique délibéré, qui permet de bien montrer que seuls les Etats-Unis sont considérés comme des cibles potentielles, et non les voisins sud-coréens et japonais.
Kim Jong Un a désormais prouvé qu’il disposait dorénavant d’un vecteur pour des armes nucléaires qui, même si il reste des doutes sur la miniaturisation et leur capacité à résister au retour dans l’atmosphère, sont elles aussi devenues crédibles après le dernier essai réalisé le 3 septembre 2017. Dans le cadre d’une stratégie de dissuasion du faible au fort, Pyongyang est donc maintenant en position d’accepter un moratoire qui mettrait fin à toute expérimentation balistique ou nucléaire. Les premières déclarations du leader nord-coréen, qui affirme que désormais son pays est devenu un état nucléaire à part entière, vont d’ailleurs dans ce sens. Il est tout aussi probable que Kim ne voudra pas accepter un moratoire unilatéral et qu’il est en position pour négocier des contreparties. La proposition chinoise peut paraître intéressante, mais elle avantage beaucoup plus Pékin que Pyongyang. D’autres compensations sont aussi envisageables, comme l’arrêt de toutes les sanctions et/ou des aides. On imagine mal Washington accepter de telles propositions. Cela serait une reculade et, surtout, serait perçu par certains comme un encouragement à se doter de l’arme nucléaire. C’est pourtant une telle attitude « d’acceptation honteuse » qui a été adoptée quand Israël, le Pakistan et l’Inde se sont dotés d’une force de dissuasion nucléaire. Par contre, la conclusion d’un traité de paix, réclamé depuis plus de vingt ans par Pyonyang, pourrait déboucher sur une solution.
Dans quelle mesure ce refus de Washington peut il également être perçu comme une volonté américaine de se « servir » du cas de Pyongyang pour se déployer militairement dans la région et ainsi endiguer les capacités militaires chinoises ?
Certains observateurs pensent effectivement que les Etats Unis pourraient utiliser le cas de Pyongyang pour justifier un déploiement militaire dirigé contre la Chine. Cette analyse aurait pu se justifier quand le Président Obama parlait de « pivot asiatique » et accompagnait son discours de promesses de renforcement dans la région. Mais on se souvient que le « redéploiement » annoncé est surtout resté au stade de l’annonce et que, vis-à-vis de la Corée du Nord, la position de « patience stratégique » adoptée à l’époque par Washington n’a eu qu’un seul effet, celui de permettre à Kim de finir de mettre au point en toute impunité ses bombes et ses missiles.
Dans les faits, il semble surtout que l’administration américaine pousse dorénavant ses alliés japonais et sud-coréens à dorénavant assumer eux même une plus grande part de leur protection, tant vis-à-vis de Pyongyang que vis-à-vis de Pékin. Le tout à la grande satisfaction du lobby militaro-industriel américain qui trouve là d’excellents clients.
Outre les considérations géopolitiques, il faut aussi relativiser la capacité opérationnelle réelle de dissuasion de la Corée du Nord vis-à-vis des Etats-Unis. Ceux-ci disposent de moyens qui leur permettraient, sinon d’empêcher complètement, au moins de compliquer considérablement la mise en œuvre des moyens dont dispose Pyongyang. D’autre part, on imagine bien que Kim ne peut pas construire un nombre important de missiles et de têtes nucléaires et que, tant qu’il n’y a pas d’attaque massive, les systèmes anti-missiles américains demeurent crédibles.
Au-delà des traditionnels appels à la négociation et de la enième réunion d’urgence du Conseil de Sécurité, il sera très important de suivre les réactions chinoises. C’est en effet Pékin, et non Washington, qui détient le plus de possibilités d’étranglement de Pyongyang, en coupant complètement les approvisionnements en pétrole.
Quelles seraient les conséquences d’une reconnaissance de fait de la nucléarisation nord coréenne ? Quels sont les états les plus à même de prétendre à un tel objectif ?
On est désormais dans un paysage géopolitique où la communauté internationale pourrait admettre que la Corée du Nord soit dotée d’une force de dissuasion nucléaire. Une page serait ainsi tournée et cela conduirait probablement à un apaisement régional. On a déjà accepté le programme clandestin d’Israël et celui, proclamé haut et fort, du Pakistan et de l’Inde. Dans le cas de ces deux derniers pays, une diplomatie frileuse avait même trouvé la jolie formule « d’états non nucléaires détenteurs de l’armement nucléaire ».
Une telle reconnaissance serait un camouflet pour Trump, mais elle ne réjouirait sans doute pas ses adversaires. Parce qu’elle aurait aussi -et surtout- comme conséquence de légitimer des programmes de cet ordre dans d’autres pays. On pense tout naturellement à l’Iran. Mais cela ne concerne pas que Téhéran. Le Japon pourrait développer une capacité très robuste et complète en peu de temps. Sur le plus long terme, on peut imaginer que des pays comme la Turquie, l’Arabie Saoudite, l’Indonésie, l’Ukraine, le Brésil, l’Afrique du Sud et quelques autres pourraient avoir envie de suivre le même chemin.