04.11.2024
Manuel Valls : « mort à l’intelligence » ?
Édito
17 novembre 2017
Il déclare, à mon égard : « Je considère, par exemple, que ce qu’écrit l’universitaire Pascal Boniface depuis des années pose un vrai problème. J’ai d’ailleurs saisi les ministres des Affaires étrangères et des Armées qui financent l’IRIS de ce sujet, même s’il ne parle pas au nom de l’Iris. »
Comme le numéro est titré La France malade de l’antisémitisme et l’interview en elle-même J’accuse, cela équivaut à me reprocher de participer à la montée de l’antisémitisme en France. L’affaire est loin d’être mineure. Mais, Manuel Valls ne cite pas un seul de mes propos qui pourrait justifier une telle charge[1]. S’il estime que le problème est grave, il devrait utiliser des citations précises et non pas de vagues accusations infondées.
Sur le conflit israélo-palestinien, j’ai toujours défendu la solution à deux États ; j’ai également toujours mis sur le même plan la lutte contre l’antisémitisme et le racisme antimusulman. Si j’ai tenu des propos antisémites, donc punissables par la loi, pourquoi n’ai-je jamais été judiciairement inquiété ? Ce qui est ici en cause ne peut donc être que mon analyse du conflit au Proche-Orient. Manuel Valls, reprenant le discours de Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), confond non seulement antisémitisme et antisionisme, mais également critique du gouvernement israélien et antisionisme. Il contribue ainsi à importer ce conflit en France, mais, en plus, met gravement en danger la liberté d’expression dont il se targue d’être l’un des défenseurs les plus ardents. Car s’il affirme qu’on a le droit de critiquer Israël, force est de constater que, du fait de la confusion qu’il entretient entre antisionisme, antisémitisme et critique du gouvernement israélien, le droit est pour lui purement théorique.
Au-delà de ma personne, il met également en cause les liens que les ministères des Armées et des Affaires étrangères auraient avec l’IRIS. Or, ce dernier ne reçoit aucune subvention de ces ministères, mais réalise pour eux des contrats, obtenus très souvent après avoir remporté un appel d’offres. L’IRIS reçoit cependant bien une subvention de Matignon depuis 1999, qui a continué à être versée lorsque M. Valls y occupait les lieux… Si mes propos posent un problème « depuis des années », il aurait pu le réaliser lorsqu’il était Premier ministre. Ce n’est pas la première fois qu’il est demandé aux instances gouvernementales de cesser toute relation avec l’IRIS pour punir son directeur et ses positions sur le conflit israélo-palestinien. En 2003, déjà, le président du CRIF l’avait fait. M. Valls prend donc le relais.
L’IRIS a non seulement obtenu un satisfecit pour sa gestion par la Cour des comptes, mais est également régulièrement classé parmi les meilleurs think tanks internationaux. Il contribue au rayonnement de la France
M. Valls propose donc qu’un institut, qui emploie trente personnes, soit mis au banc des services gouvernementaux, parce que le directeur du centre tient des positions qui lui déplaisent. Dans quel type de régime ce comportement est-il possible ? Réalise-t-il la portée de ses propos ? Réalise-t-il celle de ses actes ? Il a commencé à prendre contact avec des partenaires de l’IRIS pour leur demander de mettre fin aux relations qu’ils entretiennent avec ce dernier… C’est proprement hallucinant ! Il est de même inquiétant que de tels propos n’aient déclenché aucune tempête médiatique. Les journaux sont très largement aidés par des subventions gouvernementales. Comment réagiraient-ils si un ancien Premier ministre en concluait qu’ils doivent suivre une ligne définie par je ne sais quelle autorité ?
M. Valls a théorisé à plusieurs reprises qu’« expliquer c’est légitimer ». L’IRIS et moi-même avons au contraire une vocation pédagogique affirmée et reconnue. Sans le réaliser, il reprend à son compte le slogan franquiste de José Millán-Astray « Mort à l’intelligence, viva la muerte ! »
Pour quelles raisons M. Valls a-t-il opéré un tel virage politique ? Pourquoi, depuis longtemps, a-t-il établi une hiérarchie dans la lutte contre les différentes formes de racisme ? Je n’en sais rien, mais ce qui est certain c’est qu’il s’éloigne à grande vitesse de Michel Rocard – dont il se réclame -, qui a toujours défendu l’indépendance de l’IRIS et la mienne, pour s’inscrire dans les pas de Joseph McCarthy, qui n’est pas une référence recommandable en démocratie.
[1] Tout comme Marianne n’a pas pu publier une seule photo de moi en présence de Tariq Ramadan, alors que j’étais accusé dans le numéro précédent de faire partie de ceux qui lui ont « dressé un tapis rouge » en France.