17.12.2024
Bras de fer sur tapis rouge : le monde selon Xi Jinping et Donald Trump
Presse
9 novembre 2017
Les rapports entre la Chine et les Etats-Unis ne se limitent pas au dossier Nord-Coréen et à la réduction des déséquilibres commerciaux.
Il est d’ailleurs intéressant de constater la profonde différence de nature entre ces deux dossiers, différence qui reflète de très belle manière les priorités des centres d’intérêt des deux pays et de leurs deux dirigeants. D’un côté, l’intérêt national direct et la légitimité comme chef de l’Etat. De l’autre, l’image donnée à l’international par chaque pays et, surtout pour le Président américain, le besoin d’engranger un succès diplomatique.
Il est très à la mode de tout analyser en partant de deux postulats. Xi est le maître incontesté dans son pays et Trump est un abruti imprévisible. Ces caricatures, largement répandues et très confortables, reflètent avant tout une volonté d’ignorer des réalités qui pourraient déranger.
La rencontre Xi/Trump du 8 novembre, qui peut être présentée comme une nouvelle étape des rapports entre Washington et Pékin, est en fait l’affirmation d’une nouvelle manière de considérer les rapports entre les deux Grands. Dès son entrée en fonction, la manière de fonctionner du nouveau Président américain a surpris, surtout ceux qui pensaient que son élection était impossible et qui avaient donc traité par le mépris sa candidature. Le tournant se situe donc plutôt lors de la rencontre entre les deux hommes, qui a eu lieu en avril 2017, dans la résidence privée de Trump . Cette rencontre, « d’homme à homme », n’a pas fait l’objet de comptes rendus exhaustifs. Mais elle a très vraisemblablement été la fondatrice d’un nouveau style de rapports entre les deux pays et entre les deux hommes. Purement bilatérale et strictement basée sur du donnant-donnant, sans que l’on sache exactement à quoi se sont engagés les deux protagonistes. Parmi les seuls résultats concrètement visibles, un tournant tout à fait inédit de l’attitude chinoise vis-à-vis de la Corée du Nord. Pékin est désormais clairement identifié comme une clé majeure et a accepté de prendre –enfin- de vraies sanctions. Ceci après 24 années d’une inefficacité à peu près totale de la politique américaine dans ce domaine. Les contreparties offertes par Trump apparaissent moins nettement, mais on peut imaginer qu’elles concernent –entre autres- les échanges commerciaux et –peut-être- le soutien à Taïwan.
D’autres éléments gouvernent aussi cette nouvelle manière de gérer la relation entre les deux pays. L’administration Obama a démontré une totale inefficacité dans la gestion du problème Nord-Coréen et permis à Pyongyang de développer tranquillement ses programmes nucléaires et balistiques pendant 8 ans. Quant au « pivot asiatique », il en est très largement resté à un effet d’annonce. Côté chinois, le grand problème est celui de la légitimité de Xi Jinping. Celui que l’on présente comme tout puissant dans son pays doit encore gérer une opposition.
La campagne menée au nom de la lutte contre la corruption a certes permis d’éliminer de nombreux adversaires, mais il semble que la position du leader chinois ne soit pas aussi assurée que l’on veut le dire. Vis-à-vis de sa propre population, il a besoin de réussites sur le plan de l’économie et de la lutte contre les inégalités et les méfaits du libéralisme sauvage.
Comment anticiper ce que deviendra un monde se basant sur cet équilibre des forces ? En quoi la méthode employée par Donald Trump tient elle compte de cette situation ? S’agit il d’une évolution, plus « pragmatique » par rapport à la doctrine Obama ? Comment en mesurer les résultats ?
Le terme « d’équilibre de forces » est certainement celui qui convient le mieux quand il s’agit de parler des rapports entre Chine et Etats-Unis. Il semble que, dans les pays Occidentaux surtout, on a encore du mal à admettre qu’il se pourrait que l’idée même de gestion de la planète en fonction de rapports diplomatiques « policés » entre gens issus de la même caste soit en train de disparaître. Trump, mais il n’est pas le seul, est le représentant, souvent caricatural, d’un monde où les rapports sont essentiellement bilatéraux, brutaux et basés avant tout sur des rapports de forces ou, pire encore, d’intimidation. Par rapport à la « doctrine Obama » qui a souvent consisté à baptiser du joli nom de « patience stratégique » ce qui n’était que la procrastination, le changement est en effet d’importance. On peut penser qu’il s’agit de simple pragmatisme. C’est sans doute vrai à court terme. Toutefois, une telle inflexion dans la gestion des relations internationales, qui apparaît à certains comme un retour aux fondamentaux est insupportable pour ceux qui au nom de la « science politique », se sont approprié ce domaine pendant des décennies.
Les premiers résultats à court et moyen terme de ces changements sont d’ores et déjà visibles. SI l’on en reste à la politique asiatique des Etats-Unis, les sanctions chinoises contre la Corée du Nord, les réaffirmations des alliances avec le Japon et la Corée du Sud, le renouveau (potentiel) des relations avec les Philippines en sont déjà des exemples. Des contrepoints virtuels demeurent. Un lâchage de Taïwan, un laisser-aller face à des manipulations chinoises en matière d’échanges commerciaux ou une acceptation des prétentions de Pékin en Mer de Chine du Sud seraient perçus par de nombreux observateurs comme un échec de la nouvelle politique de Washington. Côté chinois, la pérennité de la course vers la richesse et le progrès est loin d’être garantie. Etant donné le poids pris par l’Empire du Milieu dans nombre de domaines, toute secousse violente qui pourrait le frapper aurait des retentissements à l’échelle de la planète.