17.12.2024
« Les Etats-Unis restent un acteur stratégique et économique majeur en Asie, mais ils ne sont plus seuls désormais »
Interview
14 novembre 2017
La tournée de douze jours du président des Etats-Unis en Asie est considérée comme historique depuis celle du président Nixon 43 ans plus tôt. Pour autant l’environnement international qui entoure cette visite est radicalement différent. L’isolationnisme de Donald Trump a notamment changé la donne des relations entre Washington et ses alliés régionaux traditionnels qui considèrent cette inflexion comme une érosion de la confiance envers leur allié américain tandis que d’autres pays ont choisi de tourner leur regard vers Pékin. Pour nous éclairer sur les enjeux et perspectives de cette tournée américaine, le point de vue de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.
La longue visite de Donald Trump en Asie vient de s’achever. Que doit-on en retenir ? Comment a-t-elle été accueillie par les pays visités ?
Cette visite, la première du président américain en Asie, était très attendue en raison des décisions importantes prises par Donald Trump depuis son entrée en fonction, comme le retrait du traité trans-Pacifique (TPP), et de la crise nord-coréenne dans laquelle il s’est engagé avec force peu après son entrée à la Maison-Blanche, mais sans doute sans en avoir mesuré les effets.
Les enjeux de cette tournée étaient multiples, entre la nécessité de rassurer les alliés traditionnels sur la fiabilité de Washington, fortement ébranlée dans des pays comme la Corée du Sud, l’impératif de se repositionner en Asie du Sud-Est après le retrait du TPP, ou encore le test grandeur nature face à la Chine juste après le 19ème Congrès du PCC. Autoproclamé fin négociateur, Donald Trump devait revenir de Pékin avec des éléments concrets confortant l’idée selon laquelle sa stratégie serait meilleure que celle de ses prédécesseurs.
Dans tous les pays qu’il visita, l’accueil fut assez froid au final, à l’exception du Japon. Passage éclair en Corée du Sud, visite très consensuelle en Chine, et surtout des mouvements de protestation en marge de son passage aux Philippines, où le crédit accordé aux Américains est sérieusement ébranlé. Au final et de manière prévisible, rien de spectaculaire, mais un sentiment qui n’est que renforcé que les Etats-Unis sont en net retrait sur la scène asiatique, et que Trump ne pourra enrayer cette dynamique.
Lors de la rencontre Trump/Xi, le président américain a prôné une Amérique souhaitant mettre un terme à de « grands accords multilatéraux qui lient les mains, obligent à renoncer à notre souveraineté et rendent toute application efficace quasiment impossible », tandis que le président chinois a lui évoqué une Chine prônant des échanges « plus ouverts, plus équilibrés, plus équitables et bénéfiques pour tous ». N’assistons-nous pas à une polarisation inédite du discours sur la mondialisation ?
C’est surtout une sorte de révolution copernicienne à laquelle nous assistons depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, avec une remise en cause par ce dernier des règles qui garantissent une mondialisation des échanges et la promotion du libre-échange, et la position opportuniste de la Chine qui s’est muée en championne du libre-échange, comme pour mieux prendre la place laissée vacante. Certains observateurs vont jusqu’à considérer que l’élection de Trump était en ce sens la meilleure chose qui pouvait arriver à Pékin.
Le problème fondamental vient du rapport de force qui s’est inversé. La Chine dispose de capitaux importants et elle est en mesure de les investir dans ses projets pharaoniques dans le monde entier, là où les Etats-Unis ne sont pas en capacité de suivre. C’est donc plus par défaut que par choix que Trump semble souhaiter d’autres règles du jeu commercial, tandis que son Secrétaire d’Etat Rex Tillerson prône de son côté la mise en place de structures alternatives à l’initiative chinoise de la ceinture et de la route. Mais avec quels financements? Là est la question.
La stratégie du « pivot » asiatique prônée par Barack Obama avait été bloquée, dès son début de mandat, par Donald Trump. Après cette visite, comment pourrait-on qualifier la politique des Etats-Unis vis-à-vis de ses partenaires asiatiques tant au niveau économique que sécuritaire avec notamment la menace nord-coréenne ? Avec quelles consequences ?
Donald Trump a porté pendant sa campagne électorale un regard très critique sur la stratégie du pivot d’Obama, mais son diagnostic était plutôt juste. Si l’objectif de cette stratégie était de contenir la montée en puissance chinoise, alors c’est un échec. Si son objectif était de regrouper autour de Washington de nouveaux partenaires, alors c’est un échec aussi. Rappelons que des pays comme les Philippines, et dans une moindre mesure la Malaisie, n’ont pas attendu l’élection de Trump pour faire un véritable bras d’honneur à Washington et se rapprocher de Pékin en critiquant vivement, comme l’a fait Rodrigo Duterte, Obama, et non Trump.
Le problème du président américain est qu’il n’a pas, au-delà de ce diagnostic, d’antidote à sa disposition. Pis encore, les mesures qu’il a engagées semblent conforter ce déclin relatif mais réel des Etats-Unis dans la région, comme une sorte d’aveu d’échec. La conséquence est grave, puisqu’elle affecte non seulement la force du discours américain face à des pays ennemis comme la Corée du Nord ou compétiteurs comme la Chine, mais aussi et surtout la crédibilité des Etats-Unis auprès de ses alliés traditionnels. La majorité des Sud-Coréens ne fait plus aujourd’hui confiance à Washington face à la Corée du Nord et, en dépit de sa réélection, le Premier ministre japonais Shinzo Abe reste isolé dans la confiance aveugle qu’il continue d’accorder à son allié américain.
Dans ce contexte, les Etats-Unis restent un acteur stratégique et économique majeur en Asie, mais ils ne sont plus seuls désormais.