ANALYSES

Reconstruction de l’Irak : quel horizon politique pour Bagdad ?

Interview
27 octobre 2017
Le point de vue de Didier Billion


Alors que des offensives sont lancées contre les dernières poches de résistance de l’organisation de l’Etat islamique, les défis de l’après-Daech sont imminents pour le gouvernement central irakien : renforcement des structures étatiques et rétablissement de la sécurité, préparation des futures échéances électorales, gestion du dossier kurde. Le point de vue de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Coopération sécuritaire bilatérale avec l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis, reprise des territoires occupés par les forces kurdes, élections législatives au printemps 2018… Quelle est la stratégie du gouvernement irakien dans la reconstruction politique du pays ? Quels sont les défis à venir ?

La sécurité constitue le principal défi pour le gouvernement irakien. Depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, le pays connaît une situation de déstabilisation permanente avec, depuis 2014, l’hypothèque de l’expansion de Daech sur son territoire. Celle-ci est néanmoins en train d’être levée puisque Mossoul, seconde ville d’Irak, a été libérée et que les poches territoriales résiduelles tenues par Daech sont en passe d’être reconquises. Pour autant, il serait illusoire de considérer que le phénomène djihadiste puisse être totalement éradiqué de façon exclusivement militaire, d’autant que de nouvelles modalités d’action vont être mises en œuvre par cette mouvance.

Pour que le gouvernement de Bagdad se donne les moyens d’un retour à la stabilité, l’action et les mesures politiques seront déterminantes. Ainsi l’équation politique des gouvernements auront à l’avenir l’obligation d’inclure les diverses composantes de la société, principalement les minorités sunnites et kurdes. La tentation hégémoniste des partis chiites explique une part du désastre sécuritaire de l’Irak depuis 2003. Si le gouvernement irakien s’oriente dans cette voie et fait preuve de volontarisme, cela facilitera la reconstitution graduelle d’un climat de sécurité, favorable aux investissements, ainsi qu’à l’élargissement des droits démocratiques.

De violents combats opposent toujours les milices Hachd al-Chaabi d’obédience chiite aux dernières positions de l’organisation de l’Etat islamique dans la région de Mossoul. Au-delà de la grille de lecture confessionnelle, quel est l’état actuel de l’influence de l’Iran dans la perspective future d’une reconstruction politique de l’Irak ?

L’influence de l’Iran est grande notamment à travers son soutien aux milices chiites. Ces dernières ont eu un rôle essentiel dans la lutte contre l’organisation de l’Etat islamique, notamment dans la reprise de Mossoul. Seul, l’Etat irakien aurait eu beaucoup plus de difficultés à mener un combat efficace. Cette assistance militaire de l’Iran n’est certainement pas philanthropique ; en retour, Téhéran mise sur une influence politique croissante en Irak.

Toutefois le sentiment d’appartenance nationale ne doit pas être sous-estimé dans les dynamiques politiques irakiennes. N’en déplaise à certains, l’Irak est un Etat qui n’acceptera pas de passer pas sous les fourches caudines de l’Iran. Ce n’est d’ailleurs probablement pas le but de l’Iran dont on ne peut considérer qu’il possède une volonté expansionniste. On assiste donc à un jeu contradictoire entre, d’une part, l’influence effective des Iraniens sur la politique intérieure et sécuritaire de Bagdad et, d’autre part, la volonté du gouvernement irakien de préserver sa souveraineté politique et militaire, cette dernière reposant sur la capacité de Bagdad d’inclure toutes les composantes de la société.

Report des élections législatives à huit mois, proposition d’un gel des résultats du référendum du 25 septembre dernier en échange d’un cessez-le-feu avec le pouvoir central de Bagdad et d’un retrait des forces gouvernementales des zones occupées. Le gouvernement kurde d’Irak fait-il marche arrière ?

Le référendum sur l’indépendance du Kurdistan d’Irak constitue une erreur stratégique majeure pour Erbil. Indépendamment des aspirations des Kurdes d’Irak et des résultats du référendum, le calendrier a été très mal choisi. Tous les Etats de la région s’étaient prononcés contre l’organisation de ce vote, à l’international, les Etats-Unis et la France avaient préconisé son report. Bagdad, quant à elle, avait condamné par avance cette initiative unilatérale refusant l’issue des résultats.

La détermination du gouvernement régional du Kurdistan d’Irak n’ayant pas fléchi, le « oui » l’a emporté très largement atteignant 93% des suffrages exprimés avec 72% de participation, mais il a totalement fait abstraction des réactions induites, ce qui s’est immédiatement retourné contre lui. Cet effet boomerang s’est matérialisé par la récente perte de Kirkouk, ville d’une forte importance symbolique (« la Jérusalem kurde » selon les nationalistes kurdes d’Irak), mais surtout économique par ses gisements pétroliers qui alimentaient les recettes du gouvernement régional kurde. La proposition d’un gel des résultats du référendum par Erbil témoigne d’une volonté d’un retour au dialogue politique avec Bagdad.

Pour aboutir à des avancées concrètes, des élections libres doivent être organisées dans les meilleurs délais dans le Kurdistan d’Irak. Cela pose, de facto, la question du rapport au pouvoir du clan de Massoud Barzani président du gouvernement kurde. Pour l’instant, celui-ci n’a pas fait preuve de sa volonté d’organiser des élections démocratiques, condition sine qua non pour que la relation entre Erbil et Bagdad soit à nouveau normalisée.
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