17.12.2024
Stratégie de la superpuissance : la Chine en voie de dépasser les Etats-Unis comme premier donateur mondial d’aide au développement
Presse
24 octobre 2017
C’est surtout la rencontre de ces deux tendances. D’un côté, les Etats-Unis ont fortement réduit les montants alloués à l’aide internationale depuis le début des années 2000. La période des grands projets d’aide au développement, qui a suivi la fin de la Guerre froide, notamment visible en Afrique, s’est progressivement réduite devant les importantes dépenses consacrées à la sécurité et aux guerres depuis 2001, et la force de frappe économique des Etats-Unis s’est considérablement réduite, la crise de 2008 n’en étant que la face la plus visible.
En comparaison avec les années 1990, Washington a vu ses moyens se réduire, et son intérêt pour le développement à l’international se réduire tout autant. C’est d’ailleurs peut-être sur ce point, et non sur l’engagement politique, qu’il est possible de faire mention d’une forme d’isolationnisme, même si cela reste à élaborer.
De l’autre côté, les moyens de la Chine ont connu une montée en puissance exceptionnelle depuis la fin de la Guerre froide, dans ce qui est sans doute la croissance économique et financière la plus spectaculaire de toute l’histoire. Et comme cette croissance à été rendue possible par la connection étroite de la Chine à l’économie-Monde, les dirigeants chinois ont parfaitement compris la nécessité, pour qu’elle se maintienne, de soutenir le développement du reste du monde. La Chine consacré ainsi aujourd’hui des sommes considérables dans toutes les régions de la planète, l’aide au développement n’en étant d’ailleurs qu’une des facettes, puisqu’elle s’accompagne d’investissements directs en forte hausse, d’investissements privés, et de multiples initiatives qui marque une présence de plus en plus forte, et qui est souvent résumée par l’initiative de la ceinture et de la route. Derrière ce slogan, c’est un nouveau rapport de la Chine au reste du monde qui est proposé, et ne fait qu’accélérer la transition de puissance avec les Etats-Unis. Si on reste sur l’exemple de l’Afrique, on note ainsi que les sommets Chine-Afrique, initiés en 2000, sont une vitrine de ce que la Chine peut apporter en termes d’aide et d’investissement sur ce continent, là où les Etats-Unis, très présents il y a vingt ans, sont en retrait.
En termes de soft power, ce genre de bouleversement hiérarchique montre-t-il que la Chine est en position pour menacer la domination américaine ?
Tout dépend en fait de la définition que l’on donne au soft power, concept initié par Joseph Nye, mais dont les contours restent parfois flous, et qui fut surtout l’objet de diverses interprétations. S’il s’agit de la capacité d’une société à influencer une autre, sur la base de sa culture et du modèle qu’elle incarne, les Etats-Unis conservent un avantage sur la Chine, même si cette dernière est très clairement montée en puissance depuis les années 2000. La culture populaire américaine, les modes de pensée issu de la société de consommation et même, dans certaines régions plus que d’autres, l’American Way of Life qui continue d’exercer un pouvoir d’attraction, sont des outils de soft power que la Chine, malgré ses efforts et ses progrès, n’a pas encore en sa possession. Si on se projette sur au moins une génération, ces perceptions pourraient changer, et évolueront très probablement, mais dans l’état actuel, Le décalage reste important.
Si on voit cependant dans le soft power plutôt la capacité d’un état à mobiliser ses forces dans un but précis, alors la Chine est en position de force, et il s’agit en effet d’un bouleversement hiérarchique. Le soft power américain ne sert pas tant un projet politico-économique qu’il ne reflète une liberté de ton, d’expression, et de positionnement politique ou social. Par exemple, Hollywood n’est pas toujours au service de Washington, et peut même en certains cas être identifié comme un instrument de contre-pouvoir, comme ce fut notamment le cas pendant la guerre du Vietnam ou, plus près de nous, en marge de la guerre en Irak.
En Chine, les autorités sont parvenues à mobiliser les différentes facettes du soft power de ce pays à la culture immensément riche au service de la promotion de la Chine et de sa culture. Ce qui semble être un handicap politique, la nature du régime, dans l’affirmation d’un soft power s’avère ainsi, et presque paradoxalement, un avantage pour Pékin, ce qui invite d’ailleurs Nye à considérer que la Chine ne pratique pas tout à fait un soft power, mais une version modifiée de celui-ci. Reste à savoir si cette tendance se confirmera dans les prochaines années.
Quels sont les autres concurrents qui peuvent perturber ce duel aujourd’hui ?
Ce sont surtout les puissances asiatiques qui, dans le sillage de Pékin, cherchent à se positionner sur les aides au développement. Et ces stratégies sont d’ailleurs des réponses à ce que fait la Chine, souvent par crainte de voir cette dernière occuper le terrain de manière irréversible. Le Japon, pourtant confronté à de grands défis économiques, cherche à conforter sa présence à l’international par le biais de ses aides, en visant notamment les pays d’Asie du Sud-Est, région dans laquelle Tokyo a été très présent dès les années 1960. On trouve dans cette région des pays qui ont besoin d’une aide importante, et qui parallèlement, pour certains d’entre-eux, voient avec méfiance la montée en puissance chinoise. Dans d’autres pays aux immenses ressources et aux potentiels importants, comme l’Indonésie, la Chine et le Japon se livrent à une véritable guerre de séduction. De son côté, l’Inde cherche également à renforcer sa présence dans les pays en développement, en s’appuyant sur la dynamique de son économie. Dans ce décor, les puissances occidentales semblent vouées à jouer les seconds rôles.