20.12.2024
L’impôt, le citoyen et l’État
Presse
25 octobre 2017
Défini juridiquement comme un prélèvement obligatoire requis des particuliers (personnes physiques et morales), l’impôt revêt un statut formel et symbolique particulier dans la relation entre l’individu, la société et l’État. Son paiement est un devoir civique et une obligation constitutionnelle, définis comme une « contribution commune » proportionnée aux capacités de chacun (art. 13 de la Déclaration de 1789). Il a certes permis l’édification historique de l’État moderne et le fonctionnement des services publics. Il n’en reste pas moins confronté à une contestation lancinante. Preuve qu’au-delà des considérations techniques attachées à tout système fiscal, la question de l’impôt est avant tout d’ordre philosophique et idéologique. Emmanuel Macron l’a lui-même reconnu dans un texte signé pour la revue Esprit, en 2011.
PAS D’IMPÔT, PAS D’ÉTAT
La question de la fiscalité se pose dès l’origine de l’État moderne : c’est en disposant du monopole de la contrainte fiscale et militaire que le pouvoir s’incarne dans l’État. De même que la levée de l’impôt a permis l’État, « la guerre a fait l’État », selon l’expression de Charles Tilly. Le cas de la France est topique. Le règne de Saint Louis au XIIIe siècle voit l’accélération du processus de centralisation royale et de développement de l’appareil administratif. La levée de l’impôt est au cœur de ce processus : ce droit, qui fait partie des prérogatives de la puissance publique étatique, nécessite la mise en place d’une administration de gestion des finances publiques recouvrant l’ensemble du territoire national.
Le prélèvement autoritaire de l’impôt, par exemple, est généralisé entre la fin du XIIIe et le début du XIVe siècles, par le roi Philippe le Bel. À partir du XVe siècle, les rois de France qui incarnent l’État ont prélevé régulièrement un impôt sur le revenu pour financer l’armée : la fiscalité est donc née de la nécessité de défendre l’État monarchique.
TROP D’IMPÔT TUE-T-IL L’ÉTAT ?
Ressource essentielle de l’État, l’impôt s’est imposé comme un instrument incontournable du financement de son fonctionnement et de son action économique (en faveur de l’emploi via l’exonération pour certaines entreprises, en faveur de la consommation, de l’épargne, de l’investissement, etc.) et sociale (choix de la nature et de la « progressivité » de l’imposition, redistribution via le financement de dépenses en faveur de la lutte contre la pauvreté, financement des biens et services, etc.).
C’est avec le développement des activités et missions étatiques – et le passage de l’État gendarme à l’État providence – que la fiscalité en général et l’impôt en particulier se sont imposés comme des instruments de l’interventionnisme étatique. Les théories développées par Keynes justifient l’utilisation des différents canaux des finances publiques et admettent l’idée d’un déficit public destiné à la relance de la croissance économique.
L’interventionnisme fiscal de l’État ne va de soi. La critique de l’usage extensif de cet outil fiscal est l’un des piliers de la pensée libérale.
Le déficit public permet de réduire le chômage : augmentation des dépenses publiques et extension de leurs domaines d’intervention (Sécurité sociale, assurance chômage, etc.) ; rôle redistributif et incitatif de la politique fiscale (impôts progressifs par exemple) ; conséquences favorables du déficit et de l’emprunt public sur la croissance économique et le système financier. En période de crise, une hausse des dépenses publiques, même non financée par les ressources courantes, vient soutenir le pouvoir d’achat des consommateurs et la demande s’adressant aux entreprises.
Avec l’affirmation de l’État-providence au sortir de la Première Guerre mondiale, les États n’hésitent plus à recourir à l’instrument fiscal au-delà de sa fonction classique de couverture des dépenses publiques, pour mener les politiques publiques et atteindre les objectifs économiques, sociaux, culturels et environnementaux. La nature et le degré de cet interventionnisme fiscal – essentiellement au moyen de l’impôt – varient selon les États. Ainsi, le recours à l’instrument fiscal peut viser une finalité essentiellement économique (pays en voie de développement) ou plus diffuse (pays industrialisés).
CRITIQUE DE LA REDISTRIBUTION
Aussi emprunte-t-il diverses formes : les « dépenses fiscales » (variables suivant les systèmes d’imposition des États), telles que les exonérations, déductions ou abattements fiscaux ; mais aussi la pénalisation de certains produits ou activités. L’accroissement des missions de l’État induit mécaniquement l’accroissement des charges (outre le fonctionnement de l’État, s’ajoutent alors des catégories de dépenses nouvelles : les subventions et les investissements), le volume et la répartition des dépenses publiques devenant un élément constitutif de l’équilibre économique.
L’interventionnisme fiscal de l’État ne va de soi. Si les anarcho-capitalistes américains du XIXe siècle assimilaient l’impôt à un « vol », la critique de l’usage extensif de cet outil fiscal est l’un des piliers de la pensée libérale. Dans son dernier ouvrage, La Philosophie de l’impôt, paru en 2017, le philosophe Philippe Nemo questionne, à travers un prisme libéral, la nature et fonction de l’impôt, pour mieux en critiquer la vocation redistributive. C’est le principe même de l’impôt progressif (introduit en France au début du XXe siècle) qui est mis en cause, car il aurait dépassé un seuil raisonnable.
L’interventionnisme fiscal de l’État et les politiques fiscales consistant à augmenter les impôts au-delà d’un certain taux de prélèvement sont d’ailleurs au cœur des travaux de l’économiste Arthur Laffer. Résumée par la formule « Trop d’impôt tue l’impôt », la « courbe de Laffer » repose sur le paradoxe présumé de la fiscalité : dès lors qu’il dépasse un certain seuil, l’impôt saperait l’économie de marché et le système fiscal dans son entier… Ne pourrait-on pas formuler ce type de considération en des termes différents : à partir de quel seuil d’imposition la vie commune devient-elle… possible ?