13.11.2024
Abandon du Clean Power Plan aux Etats-Unis : quelles conséquences ?
Interview
11 octobre 2017
« La guerre contre le charbon est finie ». Cette déclaration du Chef de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) semble être la résultante d’une administration ayant confirmé sa trajectoire doctrinaire quant aux questions environnementales et d’une présidence dont l’opportunisme et l’électoralisme constituent la philosophie politique. A quelques semaines de la 23ème conférence sur le climat qui se tiendra à Bonn, Bastien Alex, chercheur à l’IRIS, en charge du programme Climat, énergie et sécurité, nous donne son point de vue sur l’impact des décisions américaines sur la lutte contre le changement climatique.
Le climat semble être un des rares domaines de la politique américaine où Donald Trump dispose d’un soutien du Parti républicain car les enjeux électoraux en termes d’emplois sont considérables : le paradigme de la Maison-Blanche qui voudrait que les énergies fossiles constituent l’unique carburant de la croissance et du plein-emploi des États-Unis n’est-il pas à contre-courant du multilatéralisme climatique et des initiatives du secteur privé ?
Il est surtout à contre-courant de la réalité. Le secteur charbonnier n’est plus le vivier d’emploi qu’il a pu être par le passé. La mécanisation, avec des excavatrices toujours plus grandes, a grandement mis à mal les emplois dans le secteur, tout comme le boom des gaz de schiste qui a vu cette énergie monter en puissance dans le mix énergétique. Cette posture de Trump est opportuniste : il fait mine de sauver un secteur en s’érigeant en rempart contre des réglementations inspirées d’objectifs déterminés dans le cadre des négociations climatiques internationales. Mais ces secteurs sont en recul en ce qui concerne le nombre d’emplois pour des raisons qui n’ont pour l’heure que peu à voir avec les décisions prises lors des COP. Et quand bien même ce serait le cas, il faut simplement envisager que certaines politiques ont des impacts négatifs et que leur remise en question peut s’avérer pertinente. Lorsqu’un traitement est inefficace ou dangereux, la logique veut qu’on l’abandonne. Peut-on vraiment imaginer que l’effort fourni par la Chine dans le secteur des renouvelables soit guidé par la volonté de préserver la planète du réchauffement ? Évidemment, non. C’est un ensemble de facteurs mais les biais idéologiques empêchent les discussions de fond.
Les arguments manquent d’ailleurs à l’Administration Trump. Il n’y a qu’à constater les déclarations de Scott Pruitt qui argue que « La précédente administration utilisait tout son pouvoir et son autorité pour faire en sorte que l’EPA désigne les vainqueurs et les perdants, et la façon dont on fabrique de l’énergie dans ce pays. C’est mal ». C’est un jugement de valeur, pas un argument fondé en raison.
Par contre, ce qui est certain, c’est que le détricotage des mesures prises sous Obama et la remise en cause des Accords de Paris est pour l’instant l’une des seules lignes directrices de Donald Trump dans un océan de contradictions.
Le Clean Power Act signé par Obama en août 2015 a été abrogé ce mardi 10 octobre par Donald Trump : au regard des catastrophes naturelles que subissent les États-Unis depuis plusieurs semaines et ses conséquences sur le plan humain et financier, comment analyser ce jusqu’au-boutisme ? Quel impact concret cette décision aura-t-elle ?
Trump justifie sa démarche en invoquant l’emploi car c’est la seule raison présentable, bien qu’elle soit en grande partie fausse. Comme nous l’évoquions précédemment, la baisse des prix du gaz liée à l’exploitation de gisements non conventionnels a contribué à un déclin du charbon, comme les progrès techniques. Il s’agit de donner des gages à son électorat, montrer qu’il est capable de tenir certaines de ses promesses et d’être cohérent. Ce « jusqu’au-boutisme » était donc prévisible et annoncé depuis la signature en mars du décret sur l’indépendance énergétique. Il est aussi lié au combat de Scott Pruitt contre le Clean Power Act. En tant qu’Attorney General de l’Oklahoma, il s’était opposé avec vigueur à l’application du texte en prenant la tête de la contestation regroupant plus d’une vingtaine d’États, portant le texte devant la Cour suprême. Enfin, il découle aussi de l’organisation des compétences entre les différents échelons américains car le Clean Power Plan était accusé par ses détracteurs d’outrepasser le mandat confié à Washington en matière de politique énergétique. Parmi les impacts concrets, la non-atteinte, prévue, des objectifs désormais caducs de la COP21 et la difficulté à mettre en place une transition énergétique. Le signal que constituait le texte est maintenant gommé et va sans doute conduire certains investisseurs à revoir leurs intentions dans ce secteur. En quelque sorte, cela retardera la décarbonation du mix énergétique américain. Toutefois, cela n’empêchera pas les États qui le souhaitent (comme la Californie par exemple) de poursuivre leur politique de développement des énergies renouvelables.
En ce qui concerne les catastrophes naturelles qui ont frappé le pays, il faut rappeler que leur survenance ne peut être directement reliée avec certitude au changement climatique : le discours des scientifiques reste prudent car pour l’instant, on sait simplement que le changement climatique peut favoriser l’apparition d’ouragans comme Harvey et qu’il peut renforcer leur puissance. Pour les incendies, le risque est là encore accru en raison de l’allongement de la période de sécheresse et de l’expansion des zones à risque (les feux sont majoritairement d’origine criminelle). En clair, si nous avons une certitude, c’est que le changement climatique ne peut certes être reconnu à 100 % responsable mais que, à l’avenir, ses impacts vont considérablement amplifier tous ces risques. Lorsque l’on constate les dégâts causés, cela devrait faire davantage réfléchir.
La décision de retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat avait dans l’immédiat fait planer une vive inquiétude sur les perspectives liées aux négociations notamment lors de la COP 22 à Marrakech. Or, l’appel d’air qu’aurait pu provoquer ce revirement dans un contexte international d’incertitude ne semble pas avoir eu lieu. Est-ce à dire que la COP 23 prévue à Bonn en novembre prochain est appréhendée sereinement par les décideurs ?
Effectivement, et c’est une importante satisfaction, l’effet domino que l’on craignait après la décision américaine n’a pas eu lieu. Au contraire, cela a permis de resserrer les rangs, de réaffirmer les volontés et les engagements des États mais aussi du secteur privé car, rarement depuis la décision d’envahir l’Irak, une prise de position américaine avait suscité une telle opposition unanime. De là à dire que cela suffit pour aborder la COP23 dans un climat serein, il y a tout de même un pas à franchir. Paradoxalement, la sortie des États-Unis des Accords de Paris, bien qu’encore non effective, a montré que ces instruments internationaux ne règlent pas tout et qu’il existe bien des manières de lutter contre le changement climatique à l’extérieur.
L’enjeu de la COP23 reste de donner un cadre d’application aux accords de Paris, et peu a pour l’instant été fait de ce point de vue (la COP22 était restée timide dans ses avancées). C’est sur cela que les parties à la CCNUCC seront jugées pour donner une dynamique, un signal, créer et consolider un élan. Le principal enjeu reste tout de même de poursuivre le décloisonnement du changement climatique qui ne doit plus être perçu comme une problématique écologique ou environnementale mais multidimensionnelle, à la fois énergétique, économique, sanitaire, sociale et bien sûr politique.