06.11.2024
L’alternance démocratique au Nigeria
Tribune
1 avril 2015
Cette victoire est celle de la démocratie. Elle est la première alternance démocratique du Nigeria après une succession de régimes militaires et civils jusqu’en 1999 et la domination du Parti démocratique populaire (PDP) depuis la mise en place d’une constitution instaurant un régime présidentiel proche de celui des États-Unis. Il fallait organiser, dans un climat d’insécurité et un scrutin sous tension, le vote de cinquante-six millions d’électeurs sur soixante-neuf millions d’inscrits dans 153 000 bureaux de vote avec entre 1 et 1,5 millions de déplacés. La Commission électorale a montré son indépendance. La victoire a été rendue possible par la coalition de l’opposition au sein de l’All Progress Congress (APC) à la suite des primaires de 2014 et notamment du ralliement de l’ancien président Olusegun Obasanjo. Le vote électronique et biométrique a certes connu certains ratés techniques, mais il a évité globalement les fraudes massives qui avaient entachées les élections de 2011. Boko Haram a sévi dans des États du Nord – la secte avait conduit à la décision de la Commission électorale de reporter de six semaines la tenue des élections – mais il a échoué à les empêcher et à instaurer une terreur conduisant à une forte abstention au Nord. Le vote reflète, certes, en partie un clivage Nord/Sud mais la capitale économique Lagos a voté majoritairement pour le président Buhari originaire du Nord. Globalement, seul le Delta du Niger, lieu de production du pétrole, a massivement voté pour Goodluck Jonathan. Le vote a été largement transethnique et transreligieux.
Les raisons de la victoire de Muhammadu Buhari tiennent également à sa personnalité. Ancien putschiste militaire en 1983 ayant instauré un régime très autoritaire voire dictatorial, il apparait aux yeux des électeurs, notamment des jeunes générations, comme un homme fort qui a su lutter contre la corruption et les narco-trafiquants, qui a une légitimité au Nord pour lutter contre Boko Haram, et qui semble capable de réduire les fractures territoriales et sociales qui se sont fortement accentuées durant la présidence de Goodluck Jonathan. Le septuagénaire, Muhammadu Buhari, a changé et devra, de toute façon, tenir compte de la pression interne et extérieure interdisant des dérives dictatoriales.
Le vote signifie aussi le rejet du PDP et de son président. Les Nigérians ont majoritairement désavoué Goodluck Jonathan pour plusieurs raisons. Il est apparu comme un homme faible, se désintéressant du Nord et incapable, sauf très récemment, de s’attaquer à Boko Haram. Il a laissé se développer une corruption et des inégalités sociales et territoriales qui ont explosé. Le Nord a été largement délaissé sur le plan du développement économique avec notamment la montée du chômage des jeunes. Alors que le Nigeria est devenu la première puissance économique d’Afrique, plus de 70% de sa population se trouve en deçà du seuil de pauvreté (moins de deux dollars US par jour). L’armée nigériane très corrompue a été peu efficace pour lutter contre Boko Haram et a, par sa politique très répressive, plutôt renforcé cette secte devenue un groupe terroriste. La nécessité de faire appel à des armées des pays voisins pour progresser dans la lutte contre Boko Haram a été perçue comme une humiliation pour un pays très soucieux de sa souveraineté nationale.
Qu’en sera-t-il dans les jours prochains ? Même si Goodluck Jonathan a reconnu avec dignité sa défaite et si un accord de paix avait été signé entre les deux protagonistes à la veille des élections, une crise post-électorale est toujours possible. En 2011, il y avait eu près de 1000 morts suite à des violences post-électorales. Des milices sont armées. Certains barons refusent cette défaite au sein du PDP. Le Delta du Niger, où sévit le Mouvement d’Emancipation du Delta du Niger (MEND) et où sont concentrées les exploitations pétrolières, peut refuser de perdre le contrôle d’une partie de la rente pétrolière.
Le nouveau président du Nigeria, « géant aux pieds d’argile » est le chef d’une coalition et doit composer avec doigté la composition de son gouvernement pour faire face à de très nombreux défis. La lutte contre la corruption risque de remettre en cause des positions de certains responsables économiques et politiques. Le Nigeria a vu baisser de moitié le prix du pétrole et voit le « national cake » se réduire alors qu’il s’agit de mieux le répartir entre l’État fédéral, les États fédérés et les collectivités territoriales, et d’en réaffecter une partie vers le Nord. Une croissance économique plus inclusive et génératrice de réduction des inégalités ne peut être mise en place que dans le moyen et long terme.
Le Nigeria, première puissance économique et démographique de l’Afrique, malgré cette leçon de démocratie, reste un géant aux pieds d’argile et le nouveau pouvoir devra réaliser des travaux d’Hercule pour répondre aux aspirations de sa population.