25.11.2024
Nouvelles guerres d’Amérique latine
Tribune
6 septembre 2017
La Colombie est pourtant, depuis quelques mois, citée en exemple par la « communauté internationale ». La Colombie met laborieusement en 2017 un point final au cycle de violences politiques armées qui a secoué l’Amérique latine des années 1960. Les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont, en effet, négocié de 2011 à 2016 avec le président Santos leur conversion en FARC, Forces alternatives révolutionnaires communes. C’est depuis le 1er septembre 2017 chose faite. Sur le papier s’entend et après bien d’autres. D’Argentine au Salvador, la page des guérillas avait été tournée dés la fin les années 1990. Le changement de cycle avait été accompagné d’excellentes analyses, « Révolution adieu », « Utopies désarmées »[1]. Ces ouvrages ont excellemment décrypté les conséquences positives pour la paix civile latino-américaine de la fin des guerres régionales entre « Est » et « Ouest ».
Les nostalgiques des deux antipodes cardinaux tentent de réactiver en ces temps de crise et de doute politique et moral aux Etats-Unis et en Europe les grincements démocratiques vénézuéliens. « Communistes » et « impérialistes », sont des qualificatifs valises bien commodes ressuscités en ces temps de communication sauvagement réductrice. 120 morts en effet. Que se renvoient et annexent les deux camps et leurs amis. Mais le récit reste un récit parmi d’autres. Donald Trump et Vladimir Poutine ne sont manifestement pas prêts à rejouer la crise de Cuba à Caracas. Il y a malgré tout du grain à moudre en politiques intérieures. Et selon les enjeux internes, de l’Espagne à la France, les responsables présidentiels en quête de « tweets » assassinant leurs adversaires locaux passent par la case Venezuela.
Sans doute 120 morts au Venezuela fin août 2017, ce sont 120 morts de trop. Sans doute serait-il utile d’aider l’ex-président de gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, qui s’efforce de convaincre le président élu en 2013, Nicolas Maduro, et le parlement élu en 2015 qu’en démocratie la légitimité n’est jamais exclusive. La cohabitation est permanente et impose compromis et dialogue, respect de l’adversaire. L’ALBA, l’OEA et l’UE ont malheureusement pour les Vénézuéliens privilégié l’esprit de « croisade » et d’ingérence qui caractérise l’après-guerre froide.
Derrière le fracas médiatique vénézuélien, relatif cela dit, des milliers d’anonymes tombent et meurent victimes d’homicides, sans motivation politique affichée, au Venezuela, au Brésil, en Colombie, au Mexique, au Guatemala, au Honduras et au Salvador. Les statistiques sont publiques, établies par les administrations nationales respectives et répercutées vers les institutions spécialisées des Nations unies. Elles révèlent un paysage tout aussi dévastateur, que ceux du Proche-Orient. Le Mexique a signalé plus de 12155 morts violentes depuis le 1er janvier 2017[2]. Le Brésil a rendu public les chiffres de 2016 : 57 000 homicides recensés. Et 28 000 pour les six premiers mois de 2017[3]. Tandis que Guatemala, Honduras et Salvador ont le taux de morts violentes le plus élevés au monde. A cela il faut ajouter les enlèvements crapuleux et les disparitions de personnes[4]. Ainsi que le trafic d’individus où l’Amérique latine, ici encore, est aux premiers rangs.
Il ne s’agit pas de morts et de disparus victimes d’une guerre classique, avec déploiement de chars, et bombardements aériens. Le pouvoir n’est pas disputé par des factions antagonistes. Mais les forces armées sont mobilisées. Elles sont utilisées de façon récurrente au Brésil à Rio de Janeiro. 10 000 soldats ont été ainsi déployés dans les favelas de Rio en août 2017. Les autorités mexicaines depuis 2006 ont affecté leurs forces armées, et plus spécialement la marine, au maintien de l’ordre. Une fête inédite a célébré sur la base de Santa Lucia, près de Mexico, le 26 août 2017 le rôle des armées mexicaines[5]. L’insécurité chronique a généré un urbanisme et une vie sociale de pays en guerre. L’équivalent de « la zone verte » de Bagdad est palpable de Bogota à Caracas, et de Mexico à Sao Paulo. Les « quartiers fermés », hautement sécurisés se multiplient et constituent un point fort de l’immobilier local. Des rues entières ne sont plus que des couloirs bardés de chaque côté de hauts murs, couverts de verre brisé ou de fils électrifiés. Lima est divisée par un « mur » dit de la honte, séparant les modes de résidence des riches de ceux des pauvres[6].
Les morts sont le plus souvent les plus démunis. Au Brésil, les noirs jeunes et pauvres constituent le gros des victimes. Les motivations de ces crimes sont d’ordre alimentaires. Les violentes inégalités sociales réactivées par la crise alimentent la corruption des esprits[7]. Chacun essaie de s’en sortir avec les moyens du bord. Les plus prudents, et ceux qui disposent d’un capital minimal, alimentent des mouvements migratoires puissants. Plusieurs centaines de milliers de Vénézuéliens, chassés par les pénuries, ont quitté leur pays. Les Haïtiens arrivent par centaines au Brésil, au Chili, et au Mexique. Les Centraméricains en dépit des difficultés tentent de passer aux Etats-Unis en traversant le Mexique. Beaucoup ont choisi de rester et de basculer dans le crime. Ces délinquants peuvent être des gens pauvres comme des fonctionnaires de tout rang, civils, militaires et policiers. Loin de chercher à prendre le pouvoir, ils ambitionnent de canaliser à leur avantage l’action des responsables publics.
Cette guerre sans identité politique ou religieuse est hautement meurtrière. Révélatrice de dérives portées par la société consumériste, elle est passée sous silence. Elle annonce peut-être les failles qui demain bousculeront les pays de l’OCDE.
[1] De Donato di Santo, Giancarlo Suma et Jorge Castaneda
[2] In « La Jornada », 26 juillet 2017
[3] In « A Tarde », 21 août 2017
[4] 27 887 disparus au Mexique dénombrés en décembre 2015, in « Milenio », 31 juillet 2017
[5] Voir « El Universal », 27 août 2017
[6] Voir « La Folha de Sao Paulo », 21 août 2017, « Un mur de la honte entre indigènes et blancs ».
[7] De 2012 à 2017 la perte de pouvoir d’achat auraité ét de 13,3% au Mexique. Source : UNAM, Centro de Analisis Multidisciplinario, in « La Jornada », 5 août 2017