19.11.2024
Le mythe des catastrophes naturelles et l’influence des changements climatiques
Tribune
1 septembre 2017
Des catastrophes « naturelles » ?
Il faut tout d’abord rappeler que l’expression « catastrophes naturelles » transcrit assez mal la réalité. Un ouragan, un tremblement de terre ou un tsunami ne sont que des manifestations météorologiques, tectoniques et donc des faits géologiques et climatiques. Ils peuvent chahuter des écosystèmes mais font partie intrinsèquement des cycles biologiques et géologiques. S’ils prennent le sens de catastrophes, ce n’est qu’en raison de leurs impacts sur les sociétés : en clair, si les aléas sont naturels, les catastrophes, elles, sont bien humaines parce qu’elles frappent avant tout les populations, l’habitat, les infrastructures, etc. Leur bilan n’a de sens que parce qu’il concerne des actifs humains et matériels.
Qui dit catastrophe dit gestion des risques qui sont le produit d’une probabilité d’occurrence et d’une vulnérabilité (qui a pour sa part de multiples composantes). Si l’on ne peut jouer sur la probabilité d’occurrence d’un aléa, qui ne dépend pas de paramètres anthropiques mais géophysiques, il faut agir sur la vulnérabilité. La question qui se pose est donc celle de l’attention portée à ce principe dans notre appréhension du risque. Comme l’expliquent très justement Alexandre Magnan et Virginie Duvat[1], les territoires sont structurés par la démographie (accroissement naturel et migrations), le découpage administratif, le développement économique, la culture, la mémoire collective qui constituent autant de facteurs interagissant ensemble pour former un système de risque qui ne dépend pas des seuls aléas. Ainsi, le fait que les dégâts soient plus importants ne témoigne pas obligatoirement de l’ampleur, de la force de l’aléa mais de l’exposition de la zone, soit sa propension à subir des dommages et des pertes. Si une catastrophe fait de nombreuses victimes, est-ce par ce le vent souffle plus fort et que la pluie redouble d’intensité ou parce que l’aire d’impact est densément peuplée ? Parce que les mécanismes de surveillance et d’évacuation sont inefficaces ? Parce que les règles d’urbanisme ne sont pas respectées ou insuffisamment prévenantes ? Il s’agit bien d’un ensemble de paramètres.
Quelle responsabilité du changement climatique ?
Ensuite, la relation entre aléas naturels et changement climatique est complexe et son traitement manque parfois de pondération et de retenue, dans un sens comme dans l’autre, certains affirmant que les deux n’ont strictement rien à voir quand d’autres y voient certes un témoignage supplémentaire flagrant des effets du réchauffement mais emploient des expressions peu adaptées telles « apartheid climatique »[2]. Ces deux positions sont excessives. Sur la relation elle-même, le GIEC reste très prudent. Valérie Masson-Delmotte et Jean Jouzel, deux chercheurs français qui en font partie l’ont rappelé récemment : la tendance des vingt dernières années indique un renforcement non pas du nombre mais de la puissance de certaines tempêtes (alors que la période 1970-1995 avait plutôt permis d’observer une diminution de leur occurrence dans l’Atlantique nord), phénomène auquel le changement climatique contribuerait partiellement à travers le réchauffement des eaux de surface[3]. Plus chaudes, elles provoquent une évaporation qui, en raison de la rotation de la terre peut conduire à la formation de cyclones.
Paolo Ruti, chef du programme mondial de recherche météorologique au sein de l’Organisation météorologique mondiale, précise qu’en raison de la hausse de la température moyenne de 1°C depuis la fin du XIXe siècle, la capacité de rétention d’eau de l’atmosphère a augmenté de près de 10 %, amplifiant ainsi les pluies déversées par les ouragans comme Harvey[4]. Le comportement stationnaire de ce dernier lié à sa faible vitesse de déplacement, qui a encore accentué les précipitations, reste par contre un mystère.
La communauté scientifique fait donc preuve de prudence.
Quels signes d’une augmentation des phénomènes extrêmes ?
Les assureurs, en première ligne et donc largement investis dans l’appréhension des risques climatiques, présentent souvent des graphes indiquant le montant des dégâts lors d’un sinistre[5]. Ce fait ne peut en aucun cas servir d’argument pour avancer que les changements climatiques en cours en sont responsables. Par exemple, nombre de tempêtes se produisent dans des zones non peuplées, au milieu des océans par exemple, sans que nous en parlions. Le nombre de victimes n’est pas non plus un indicateur fiable car il peut être le reflet de la seule densité de population d’une région. Le décompte précis des phénomènes se déclarant à la surface est l’unique donnée permettant de déterminer si oui ou non nous faisons actuellement face à une augmentation du nombre de phénomènes climatiques extrêmes.
Enfin, la perception des catastrophes naturelles est très largement influencée par le traitement médiatique (renforcé par internet) réservé aux différents sinistres, ce qui joue aussi sur le sentiment de forte augmentation des tempêtes. On peut à ce titre regretter l’attention disproportionnée accordée aux évènements frappant les pays dits occidentaux, même si leur bilan en termes de victimes est moins lourd, par rapport à ceux se produisant dans les pays en développement. Il n’y a qu’à constater l’important écart de couverture médiatique entre la tempête Harvey et les inondations en Asie du Sud-Est – pourtant les plus importantes depuis 100 ans selon les spécialistes, et dont le bilan a dépassé les 1 000 morts, contre une trentaine (pour l’instant) pour Harvey – pour s’en convaincre.
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Les évènements actuels nous démontrent certes, à nouveau, que les épisodes climatiques violents sont en mesure de causer d’énormes dommages humains et matériels. L’augmentation future de leur puissance – et de leur nombre dans certaines régions – en raison des changements climatiques est une hypothèse plausible voire probable. Si réduire nos émissions de gaz à effet de serre constitue un objectif essentiel, la première urgence reste de développer des systèmes d’alerte et d’évacuation plus performants et de les diffuser à l’ensemble des pays exposés à des risques importants. Et, surtout, de bien prendre la mesure des erreurs que nous avons faites en construisant massivement sur les littoraux et dans des zones fortement exposées aux aléas, en imperméabilisant les sols, négligeant ainsi les enseignements du passé au détriment de notre propre sécurité. L’étude de l’influence du changement climatique sur la formation des ouragans doit donc être impérativement approfondie mais sans négliger les mesures de bon sens en termes d’organisation des secours, de planification et d’aménagement du territoire.
[1] Des catastrophes… « naturelles » ?, éditions Le Pommier, 2014.
[2] Naomi Klein, “Harvey Didn’t Come Out Of The Blue. Now Is The Time To Talk About Climate Change”, TheIntercept, 28 août 2017. https://theintercept.com/2017/08/28/harvey-didnt-come-out-of-the-blue-now-is-the-time-to-talk-about-climate-change/
[3] Thomas Blachère, « Tempête Harvey : l’inquiétant effet du réchauffement climatique sur les cyclones », LeParisien.fr, 29 aout 2017. http://www.leparisien.fr/environnement/nature/tempete-harvey-l-inquietant-effet-du-rechauffement-climatique-sur-les-cyclones-29-08-2017-7220772.php
[4] Stéphane Bussard, « ‘Harvey’ et le changement climatique: un lien complexe », LeTemps.ch, 29 aout 2017. https://www.letemps.ch/monde/2017/08/29/harvey-changement-climatique-un-lien-complexe
[5] “Munich Re: 2016 Global Natural Catastrophe Losses Climb, Total $175B”, Claims Journal, 4 janvier 2017.