20.11.2024
L’Iran, pièce maîtresse de nombreux enjeux régionaux et internationaux
Interview
9 juin 2017
Trump, mise au ban du Qatar… Pourquoi la République islamique iranienne cristallise-t-elle beaucoup de tensions diplomatiques dans la région ?
Depuis plusieurs jours, beaucoup évoquent une crise diplomatique. Il s’agit, en réalité, bien plus d’une crise politique profonde, susceptible d’entraîner des conséquences économiques.
Contrairement à ce que l’on entend régulièrement, la véritable obsession que conçoit l’Arabie saoudite à l’égard de l’Iran ne s’explique pas essentiellement par des raisons confessionnelles, de rivalité sunnite-chiite, mais bien par des raisons politiques et géopolitiques. Si le paramètre religieux est bien sûr à prendre en compte, il s’agit d’un paramètre parmi d’autres. Riyad éprouve une véritable inquiétude, une peur même, à voir Téhéran s’imposer comme la force déterminante des équilibres régionaux dans les années à venir. Il s’agit donc d’une classique question de rapport de puissance.
L’inquiétude des Saoudiens est, en ce sens, compréhensible. L’Iran jouit d’une histoire multiséculaire et c’est probablement l’un des seuls pays de la région à posséder une tradition d’État, contrairement aux monarchies pétrolières arabes du Golfe. L’Iran compte par ailleurs 80 millions d’habitants, une main d’œuvre qualifiée, d’importantes richesses en hydrocarbures (gaz et pétrole), autant d’éléments objectifs de concurrence avec Riyad. Par ailleurs, si l’Iran est bien une république, islamique, une consultation électorale a eu lieu en moyenne tous les ans depuis la Révolution de 1979. S’il ne s’agit certes pas d’une démocratie à l’occidentale, le régime bénéficie d’une légitimité populaire, doublée d’une légitimité théocratique.
L’Iran va probablement s’imposer dans la région dans les 10-15 ans à venir, ce qui n’est évidemment pas du goût des Saoudiens. Raison pour laquelle ces derniers – avec les Israéliens et les néo-conservateurs américains, à l’époque opposés à Barack Obama – n’ont cessé de tenter d’empêcher, sans succès, la signature de l’accord sur le nucléaire en juillet 2015.
Depuis son arrivée au pouvoir, Donald Trump tente de détricoter méthodiquement ce qu’avait réalisé son prédécesseur. Dans cette veine, le président américain a prononcé un tissu de stupidités lors de sa visite officielle en Arabie saoudite, où il a notamment déclaré que l’Iran était le foyer du terrorisme. Depuis, des attentats, revendiqués par l’Etat islamique, ont frappé le Parlement iranien et le mausolée de l’imam Khomeini…
Trump a soutenu de façon inconsidérée la politique de Riyad, alors que nous savons parfaitement que des hommes d’affaires saoudiens – il ne s’agit pas d’accuser le gouvernement sans preuve – ont soutenu, notamment en Syrie, les groupes les plus extrémistes de la rébellion, des djihadistes. Le président américain ne devrait par ailleurs pas non plus oublier que lors des attentats du 11 septembre à New York, sur les 19 kamikazes qui sont allés s’écraser sur les Twin Towers 15 étaient d’origine saoudienne. Aussi, sans verser dans une comptabilité macabre, si des individus ou des groupes d’intérêt ont déjà directement soutenu des groupes terroristes, ils ne sont probablement pas iraniens mais plutôt issus de certaines monarchies arabes du Golfe.
Quelles peuvent être les conséquences de l’isolement de l’Iran entrepris par les États-Unis et par certains pays voisins ? Comment le régime peut-il réagir ?
Contrairement à ce que l’on entend fréquemment ces dernières semaines, l’Iran ne semble pas être un pays isolé, ce pour deux raisons. Premièrement, les tentatives de l’administration Trump, des Saoudiens et des Israéliens n’ont pas encore abouti. L’accord sur le nucléaire iranien en date du 14 juillet 2015 est encore en vigueur ; bien que Trump essaie de le vider de sa substance, cela s’annonce compliqué. Deuxièmement, dire que l’Iran est isolé traduit une vision américano-centrée ou occidentalo-centrée. Téhéran continue d’entretenir des relations importantes avec de grands pays tels que la Russie, la Chine, des pays d’Asie et d’Amérique du Sud. Quant à l’Union européenne, elle a eu un rôle positif – bien que tardif – dans la signature de l’accord du 14 juillet 2015 et elle devrait tenter d’approfondir la mise en œuvre de la réinsertion de l’Iran dans le jeu international. L’Iran est donc tout sauf isolé, même si de fortes pressions s’exercent à son encontre.
Non seulement l’Iran est un pays d’une importance géopolitique déterminante, c’est aussi une puissance potentiellement stabilisatrice. Aujourd’hui, les dirigeants iraniens ont tout intérêt à poursuivre leur réintégration dans le jeu régional et international.
Depuis près de deux ans, il y a eu beaucoup d’illusions côté iranien concernant les suites de l’accord sur le nucléaire, la population espérant que les investissements directs étrangers augmenteraient massivement en Iran. Mais la réalité est plus complexe, car nombre d’entreprises ou de banques françaises et européennes hésitent par exemple encore à investir en Iran par crainte de sanctions américaines. Les Européens devraient aujourd’hui faire preuve de plus de courage car il n’y a aucun intérêt à maintenir une politique d’ostracisme à l’égard de Téhéran, bien au contraire.
La réaction des Iraniens s’est déjà exprimée, le 19 mai dernier, lors des élections présidentielles puisque le président sortant, Hassan Rohani, a été réélu dès le premier tour. Or, sa ligne politique est celle d’une ouverture au reste du monde et d’une volonté de réinsérer le pays au sein de ladite communauté internationale, d’un point de vue économique, politique et diplomatique. Le peuple iranien a ainsi démocratiquement infligé une défaite à ceux qui restent en faveur d’une stratégie de la citadelle assiégée.
Quel rôle peut jouer l’Iran dans la lutte contre le terrorisme ?
L’Iran joue d’ores et déjà un rôle positif dans la lutte contre le terrorisme. En Syrie, Téhéran soutient certes Bachar al-Assad, ce qui marque une réelle divergence politique avec les Européens. Mais la question à poser consiste plutôt à se demander qui aujourd’hui en Syrie, voire en Irak, est notre ennemi principal ? Ce sont bien les groupes djihadistes, en particulier Daech, position qui a été défendue par François Hollande et désormais par Emmanuel Macron. Dès lors, nous sommes dans le même camp que l’Iran pour lutter contre cet ennemi commun ; cela n’exclut pas des divergences politiques concernant le régime d’Assad. En politique, il s’agit de faire preuve de réalisme et de hiérarchiser les défis et les objectifs. Les attentats ayant touché Téhéran indiquent également clairement que l’Iran est un ennemi de Daech, tout comme la France, le Royaume-Uni, etc.
Il est par ailleurs dans notre intérêt de raisonner politiquement avec l’Iran. Sur le dossier anti-terroriste, établir le maximum de contacts permettrait aux services de renseignements d’échanger des informations plus complètes, ce qui rendra la lutte contre le terrorisme plus efficace.
Notre intérêt n’est donc véritablement pas d’isoler l’Iran mais de tout faire pour le réintégrer pleinement sur tous les dossiers au sein de l’échiquier international et, par conséquent, de s’opposer à ceux qui s’opposent à cette vision. Dans le même mouvement il convient aussi, sans ultimatum ni condescendance, d’aider à l’élargissement des droits démocratiques individuels et collectifs dans ce pays.