18.11.2024
Nouveau président en Corée du Sud : vers une redéfinition de la diplomatie dans la péninsule ?
Interview
10 mai 2017
Comment interpréter cette large victoire après dix ans d’un régime conservateur à Séoul ?
Il convient d’abord de rappeler que le nouveau président Moon Jae-in était déjà candidat en 2012 et a échoué de peu face à Park Geun-hye. Il n’est donc pas inconnu du grand public sud-coréen et incarne depuis quelques années l’opposition de centre-gauche face au parti conservateur, au pouvoir depuis 2007.
Les facteurs expliquant sa victoire sont nombreux mais trois ont joué un rôle particulièrement notable. D’une part, la croissance économique sud-coréenne est au ralenti, après des décennies de « miracle ». Les présidences conservatrices de Lee Myung-bak et de Park Geun-hye, qui misaient sur l’économie, ont à ce titre échoué. En toute logique, l’alternance semblait presque inévitable. Les scandales entourant Park Geun-hye, qui a été destituée il y a quelques mois, ont par ailleurs plombé le parti conservateur et mis en relief un style de gouvernance opaque, accumulant les conflits d’intérêts et les arrangements avec les Chaebols (les conglomérats). Depuis des années déjà, de nombreux économistes sud-coréens tirent la sonnette l’alarme sur le fait que ce système est voué à terme à l’échec. Les événements récents n’ont fait que leur donner raison.
Enfin, il serait incomplet d’analyser ce résultat sans tenir compte du contexte sécuritaire et stratégique actuel. La relation avec la Corée du Nord est tendue comme rarement ; tandis que les États-Unis ont multiplié les signes d’ingérence depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et la population ne souhaite pas faire les frais d’un durcissement de la relation Pyongyang-Washington.
Moon semble en faveur de la politique de la main tendue envers la Corée du Nord. Son élection ouvre-t-elle une nouvelle phase dans la péninsule coréenne, marquée par le dialogue avec Pyongyang ?
Elle est indiscutablement porteuse d’espoir sur ce sujet très sensible et marque une rupture avec l’intransigeance affichée par les conservateurs depuis 2007. En 2012, Park avait déjà promis d’adoucir le ton mais elle fut rapidement rattrapée par les éléments les plus conservateurs de sa majorité. La Corée du Nord a su jouer habilement sur cette intransigeance et Kim Jong-un a même pu s’affirmer comme un dirigeant fort en réaction au refus de Séoul de rouvrir le dialogue.
Moon a promis de repenser la relation intercoréenne et même de rencontrer le dirigeant nord-coréen. Les premiers signes de sa présidence seront importants et nous saurons alors si la « sunshine policy » du début des années 2000, marquée par un dégel important de la relation entre les deux entités rivales, sera remis au goût du jour ; ou si le nouveau président proposera une nouvelle donne. Il devra en tout cas agir très vite sur ce dossier.
Moon semble aussi vouloir une relation plus équilibrée avec les États-Unis. S’agit-il d’un tournant diplomatique majeur entre les deux alliés ?
Tout dépendra surtout de l’attitude de Washington suite à cette élection, qui n’est en rien une surprise et a donc a priori été anticipée par l’administration Trump. La question sensible actuellement concerne le déploiement du système de défense antimissile THAAD, que les États-Unis installent dans la péninsule, officiellement pour défendre la Corée du Sud d’une attaque du nord. Pékin réclame l’abandon de ce programme, qui par ailleurs ne reçoit pas une forte adhésion de l’opinion publique sud-coréenne. Moon devra trancher très rapidement. S’il parvient à maintenir THAAD tout en approfondissant le dialogue avec Pyongyang et rassurant Pékin, il ne remettra pas en cause l’alliance avec les États-Unis. S’il décide d’abandonner THAAD, on peut aisément imaginer à l’inverse que les réactions américaines ne tarderont pas. Derrière cette élection, la question géopolitique est clairement de voir si les États-Unis ne sont pas en train de « perdre » l’allié sud-coréen, Moon étant visiblement favorable à une forme d’émancipation et d’affirmation de son indépendance, comme il l’a notamment indiqué dans un récent entretien au Washington Post.