ANALYSES

Premier porte-avions de fabrication entièrement chinoise, entre innovation nationale et retard international

Interview
28 avril 2017
Le point de vue de Jean-Vincent Brisset
Mercredi, la Chine a inauguré son premier porte-avions entièrement conçu et fabriqué par ses chantiers navals. L’analyse de Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’IRIS.

Ce porte-avion « 100% made in China » représente-il une révolution technologique pour le pays ?

D’un point de vue technique, ce porte-avions représente le plus gros bâtiment militaire qu’ait jamais lancé la Chine. D’un autre côté, ce bateau est très largement inspiré des porte-avions soviétiques, l’Amiral Kouznetsov et de son sister ship le Varyag devenu Liaoning ; ce dernier étant le premier porte-avions chinois acheté à l’Ukraine. Pour Pékin, ce nouveau bateau représente donc un bond en avant mais pour la construction de porte-avions en général, cela reste du matériel dont la conception date d’une quarantaine d’années.

Par ailleurs, ce porte-avions ne dispose pas de catapulte, ce qui signifie qu’il est limité d’un point de vue technique et opérationnel. De plus, le fait qu’il fonctionne au diesel le limite en termes de tenue à la mer, c’est-à-dire au regard du nombre de jours qu’il peut passer au large, car il va nécessiter d’être ravitaillé régulièrement. En revanche, le diesel permet une meilleure disponibilité : comme on le voit avec le Charles de Gaulle, les interruptions de fonctionnement d’un porte-avions nucléaire sont de l’ordre de 18 mois tous les 5-6 ans ; a contrario, un porte-avions à propulsion plus classique n’est interrompu que pour une durée de quelques mois tous les 2-3 ans.

Qu’illustre cette construction navale quant aux ambitions militaires de Pékin ? La Chine est-elle en voie de concurrencer la première puissance militaire mondiale que sont les États-Unis ?

Militairement, et plus particulièrement dans le domaine maritime, la Chine fait face à deux problèmes. Le premier est incarné par les États-Unis. Le second concerne la volonté de conserver un pré carré en adoptant une ligne stratégique de « déni d’accès ». Cela consiste pour Pékin à vouloir contrôler ou interdire toute présence hostile dans un certain périmètre (mer de Chine du Sud, mer de Chine de l’Est, voire une partie du Pacifique) ; raison pour laquelle la Chine possède des porte-avions. Le premier était fait pour apprendre, tandis que ce nouveau bâtiment est le premier porte-avions destiné à être réellement opérationnel. Cependant, des raisons techniques – notamment l’absence de catapulte évoquée – empêchent la Chine de mettre en œuvre des avions lourdement armés à vocation offensive. Pékin se retrouve limité à des capacités défensives.

Concernant les États-Unis, la Chine est très loin de les rattraper. Comme expliqué plus haut, ce nouveau porte-avions chinois affiche des décennies de différence dans sa conception (pas forcément en matériel électronique mais plutôt en termes de structure et de motorisation) par rapport aux bateaux américains. Les avions chinois sont également très datés comparés à ceux de Washington. Enfin, la capacité de génération de missions des porte-avions américains, c’est-à-dire le nombre de missions que l’on peut mener par 24 heures, est absolument incomparable avec celle des Chinois.

Le principal effort de défense de la Chine – certes moins visible mais important depuis plusieurs années – consiste à fabriquer des avions et des missiles qui permettent d’attaquer les porte-avions américains, considérés comme la principale menace par Pékin. Les porte-avions constituant toutefois un facteur de puissance indéniable, cela fait ainsi plusieurs années que la Chine semble avoir pour objectif d’en posséder quatre. Par comparaison, les États-Unis en disposent de dix. La Chine a donc non seulement pour but de défendre son pré carré dans ses mers proches mais également de se donner la possibilité de montrer sa force le long de la route de la soie maritime.

Face aux tensions nord-coréennes ou en mer de Chine du Sud, cette avancée militaire chinoise peut-elle modifier l’équilibre des forces régionales ?

Ce porte-avions participe effectivement à la modification de l’équilibre régional, dans la mesure où il permet à Pékin de protéger souplement les différents endroits où elle s’implante ou cherche à s’implanter, notamment en mer de Chine du Sud (malgré le jugement de la Cour internationale) et aussi en mer de Chine de l’Est. Ce porte-avions représente aussi une capacité de projeter des forces, ce qui reste l’une des grandes lacunes de la défense chinoise à l’heure actuelle.

En revanche, ce porte-avions chinois ne change pas la donne vis-à-vis de la Corée du Nord. Si quelque chose venait à se passer de la part de Washington, ce serait un mouvement offensif. Or, Pékin n’est pas en mesure de contrer de telles actions qui cibleraient Pyongyang. Vouloir à tout prix le faire démontrerait surtout une faiblesse qualitative, tout l’inverse d’un « show of force ».
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