ANALYSES

Attentat à Saint-Pétersbourg : la Russie face au terrorisme

Interview
7 avril 2017
Le point de vue de Samuel Carcanague
Lundi 3 avril, un attentat terroriste a frappé le métro de Saint-Pétersbourg, faisant 14 morts. Il a été commis par un jeune homme russo-kirghiz, né au Kirghizistan et issu de la minorité ouzbèke. Alors que l’enquête est en cours, retour sur quelques éléments de contexte avec Samuel Carcanague, chercheur à l’IRIS.


À quel type de terrorisme la Russie fait-elle face ?

De manière très schématique, le terrorisme islamiste qui frappe la Russie peut relever de trois origines principales, qui sont en réalité liées entre elles, mais qu’il s’agit de distinguer car elles appellent des réponses de la part du pouvoir sensiblement différentes.

La première forme de terrorisme islamiste prend ses origines dans les régions russes du Nord-Caucase, où certains groupes djihadistes continuent d’agir, notamment au Daghestan, république voisine de la Tchétchénie. Malgré la stabilisation par la force menée dans les années 2000 et le pouvoir brutal de Ramzan Kadyrov, la Tchétchénie et le Daghestan continuent d’être le théâtre d’actions et de recrutement de divers groupes islamistes, parfois en concurrence. Daech s’y est implanté à travers des groupes affiliés qui perpétuent des actions terroristes au niveau local. Il faut souligner que la plupart des attentats de ces quinze dernières années en Russie (Volgograd en 2013, Domodedovo en 2011, métro de Moscou en 2010 pour les plus récents) sont associés à ces groupes nord-caucasiens.

La deuxième forme de terrorisme islamiste provient de Daech en Syrie et en Irak. L’EI avait directement touché la Russie en détruisant le 31 octobre 2015 un avion de ligne reliant Sharm el Sheikh à St-Petersbourg (faisant 224 victimes), quelques semaines après le début de l’intervention militaire russe en Syrie. Depuis lors, Daech a explicitement désigné la Russie comme une cible, accusée notamment de soutenir Bachar El Assad et les forces chiites (l’Iran et le Hezbollah). Cette deuxième forme est par ailleurs liée au Nord-Caucase. Depuis 2012, plusieurs milliers de Nord-Caucasiens sont partis se battre en Syrie et en Irak, dans les rangs de l’Etat islamique. Le retour de ces combattants aguerris sur le sol russe constitue pour la Russie, comme pour certains pays d’Europe occidentale, une réelle menace et un sujet de préoccupation des autorités. L’EI a toutefois toujours revendiqué ses attaques. Hors, pour le moment, et c’est pour cela qu’il faut rester très prudent, aucune revendication n’a été émise.

La troisième piste est évidemment liée au profil du kamikaze : un jeune homme né dans le Sud du Kirghizstan, d’origine ouzbèke. Plusieurs hypothèses sont possibles : le jeune homme a agi seul (mais au vu des premiers éléments de l’enquête, c’est assez peu probable) ; il a agi au nom d’un groupe djihadiste d’Asie centrale qui n’est pas forcément affiliés à Daech ou qui s’en inspire sans y être officiellement relié ; ou bien il a pu, comme c’est évoqué dans plusieurs journaux, être recruté par l’EI lorsqu’il travaillait en Russie, partir en Syrie puis revenir perpétrer cet attentat.

On peut donc noter que ces différentes origines du terrorisme islamiste en Russie sont en réalité reliées les unes aux autres, notamment par la dynamique qu’a insufflé Daech au djihad international et par leur stratégie de recrutement.

Peut-on s’inquiéter d’un développement du terrorisme islamiste en provenance d’Asie centrale ?

Depuis la chute de l’URSS en 1991, on a pu observer un renouveau de la pratique religieuse en Asie centrale. Ce renouveau était au départ une manière de construire ou reconstruire des identités nationales, en se détachant du leg soviétique. L’Islam a donc été plutôt encouragé par les Etats, qui ont favorisé la constitution d’un islam officiel, très contrôlé par les autorités qui ne souhaitait pas la constitution d’un islam politique.

Cela étant, un islam fondamentaliste, prônant une vision non-violente mais rigoriste de l’islam a pu s’implanter dans certaines régions, notamment dans le Sud du Kirghizstan et la vallée de la Ferghana (dont est originaire le kamikaze de Saint-Pétersbourg) où cohabitent des Ouzbeks, des Tadjiks et des Kirghizs puisque ces trois pays y possèdent des frontières communes. Cet islam fondamentaliste est sous l’influence du mouvement salafiste, avec notamment certains imams formés en Arabie saoudite. Les États de la région ont sévèrement réprimé cet islam fondamentaliste. Or, cette répression qui s’est étendue au-delà des seuls mouvements fondamentalistes en touchant également la simple opposition politique, a participé, dans une certaine mesure, à radicaliser certains groupes ou individus.

Un islam radical, prônant le djihad, a également vu le jour après les indépendances. Divers groupes ont été formés, dont le plus célèbre est le Mouvement islamique d’Ouzbékistan, rebaptisé Mouvement islamique du Turkestan en 2010. Ils ont principalement mené des opérations en Afghanistan, puis, certains de leurs membres ont rejoint l’EI en Syrie. On estime ainsi qu’entre 6 000 et 7 000 personnes de l’espace post-soviétique sont partis se battre en Syrie dans les rangs de Daech, dont parmi eux entre 2 000 et 2 500 Nord-Caucasiens. L’exemple le plus frappant de ralliement avait été celui du commandant des forces spéciales de la police tadjik Goulmourod Khalimov qui avait fait défection en 2015, en prêtant allégeance à Daech dans une vidéo. Cette dernière révélait également une autre problématique : ce commandant tadjik y appelait les millions de migrants centre-asiatiques qui travaillent en Russie à rejoindre Daech.

Ces travailleurs migrants sont en effet une cible des recrutements de Daech dans l’espace post-soviétique. Et une partie des combattants originaires d’Asie centrale présent en Syrie ont en réalité été recrutés en Russie, dans les grandes métropoles. Leurs conditions de vie difficiles, la stigmatisation et la xénophobie dont ils peuvent faire l’objet, participent à ce que les discours radicaux de l’EI trouvent chez certains d’entre eux, une oreille attentive. Il s’agit toutefois de nuancer, car les profils de travailleurs migrants sont extrêmement variés, ainsi que les raisons personnelles qui poussent certains individus à choisir le djihad.


Après cette attaque, comment va réagir Vladimir Poutine ?

Il est difficile de tirer toutes les conséquences de cet attentat, sans que l’on ait davantage d’éléments sur l’organisation qui l’a commandité.

Ce que l’on peut penser à ce stade, c’est qu’il est peu probable que le gouvernement russe modifie sa politique étrangère à cause de cet attentat. Il faut se rappeler que le pays a déjà été frappé à de nombreuses reprises ces dernières années en 2013, 2011 2010 et 2009. Or, ces attaques ont eu lieu avant même que Daech ne prenne une telle ampleur en Syrie et en Irak et bien avant l’intervention de Moscou dans ce conflit. C’est pourquoi lier directement l’attentat de Saint-Pétersbourg à l’intervention russe en Syrie est très réducteur. Cela étant, cette attaque fragilise dans une certaine mesure l’argumentaire de Vladimir Poutine qui promettait, par l’intervention en Syrie, d’assurer la sécurité des citoyens face au terrorisme.

Ce qui pourrait évoluer à la suite de cet attentat, c’est la position de la population russe envers les travailleurs migrants originaires d’Asie centrale. Ils sont déjà l’objet d’une xénophobie assez répandue au sein de l’opinion publique et la question migratoire reste une problématique un peu taboue en Russie. Vladimir Poutine a lui toujours prôné une politique migratoire assez ouverte et aujourd’hui, environ 3 à 4 millions de travailleurs migrants en Russie viennent combler les lacunes sur le marché du travail. Cette politique migratoire du président russe est contestée par les milieux nationalistes, et notamment par l’opposant Alexeï Navalny, qui souhaiterait réduire le nombre des travailleurs migrants centre-asiatiques en Russie. La population russe est relativement réceptive à ce genre de discours. Dans le contexte des élections présidentielles russes de septembre 2018, ce sujet migratoire pourrait donc revenir sur le tapis, en particulier si d’autres attentats venaient à se produire.
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