ANALYSES

La Russie, entre retour sur la scène internationale et troubles domestiques

Interview
30 mars 2017
Le point de vue de Jean de Gliniasty
Alors que la Russie semble s’imposer sur de nombreux dossiers sur la scène internationale, des milliers de personnes ont manifesté ce weekend dans le pays pour protester contre la corruption qui y sévit. Le point de vue de Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS.

Quel est l’état de l’opposition en Russie ? Assiste-t-on à un réveil de la société civile avec ces manifestations ?

Ces manifestations sont les premières significatives depuis celles de Bolotnaya en décembre 2011. Elles ont eu lieu dans de nombreuses villes de Russie, la police affirmant que 2 000 manifestants étaient présents mais il est plus probable que le chiffre s’élève à plus de 10 000 participants, ce qui est significatif pour une manifestation interdite. Non autorisées, à la différence de celles qui avaient eu lieu deux mois auparavant en la mémoire de Boris Nemtsov, ces protestations ont donc donné lieu à des interpellations et des mises en cause devant les tribunaux.

Ces manifestations étaient organisées par Alexeï Navalny, après la diffusion sur Internet d’un film mettant en cause l’enrichissement du Premier ministre, Dmitri Medvedev. Pour l’instant, le président Vladimir Poutine n’est pas touché et reste très populaire au sein de l’opinion russe. Certains témoins des protestations affirment toutefois que quelques pancartes mettaient en cause le président russe.

Alexeï Navalny est un nationaliste, dont le thème central est la lutte anti-corruption, thème extrêmement populaire puisque la corruption est considérée comme un fléau par l’ensemble de l’opinion russe. Alors qu’il vient d’écoper de quinze jours de détention pour l’organisation de ces protestations, il est un habitué des tribunaux ayant déjà été condamné début février à cinq ans de prison avec sursis pour détournement de fonds. Aujourd’hui, Alexeï Navalny représente le réel opposant actuel que le pouvoir prend en considération.

En effet, l’opposition libérale s’est divisée lors des élections à la Douma l’an dernier. Elle y a obtenu des résultats très inquiétants, du fait des disputes entre le Parti démocratique russe Iabloko de Grigori Yavlinsky et le parti PARNAS de Mikhaïl Kassianov, mais aussi du fait que Navalny, qui avait au départ cherché à se rallier à l’un des parti libéral, n’a finalement rejoint ni l’un, ni l’autre. L’opposition libérale n’a donc obtenu aucun député au Parlement. A la Douma, seuls les partis du système sont de fait représentés, à savoir des partis qui soutiennent le pouvoir.

Ces protestations montrent que Navalny représente actuellement le seul véritable opposant significatif au pouvoir. Manifestement, le Kremlin ne sait pas très bien comment traiter cette opposition, puisque son leader avait été autorisé à se présenter en 2013 aux élections municipales à Moscou, récoltant près de 27% des voix, ce qui est significatif compte-tenu des circonstances actuelles et de l’époque. Si le pouvoir russe souhaite un interlocuteur crédible, il ne veut pas pour autant lui faciliter trop les choses. On perçoit donc bien une certaine hésitation du Kremlin dans le traitement de la personnalité de Navalny.

Alors que le FBI mène une enquête sur le rôle potentiel joué par la Russie durant la campagne présidentielle états-unienne, Vladimir Poutine a aussi récemment rencontré Marine le Pen. Peut-on parler d’« ingérence » russe dans les élections occidentales ?

C’est une question spécialement taillée sur mesure pour la Russie. Il est évident que tous les pays ont leur candidat préféré dans les élections des États avec lesquels ils entretiennent des rapports. Il est par exemple manifeste que le gouvernement français et la majorité de l’opinion du pays étaient en faveur d’Hillary Clinton lors de la campagne présidentielle aux Etats-Unis, et n’ont d’ailleurs pas mesuré leur appui à son égard. Le pouvoir russe a donc, comme les autres gouvernements, ses candidats préférés, manifestement madame Le Pen et monsieur Fillon. De là à parler d’ingérence lorsque monsieur Poutine reçoit la dirigeante du Front national, cela semble excessif. Par exemple, madame Merkel a reçu pratiquement tous les candidats français, hormis l’extrême droite, mais on ne peut pas pour autant qualifier cela d’ingérence.

Par ailleurs, existe la question des interférences sur Internet via les hackers. En réalité, il est probable que tous les États se livrent à ce jeu. Peut-être que les Russes ont été plus maladroits ou plus visibles que d’autres mais on peut imaginer que cela fasse partie des règles du jeu.

Le troisième élément, ce sont plusieurs candidats qui voudraient imputer leur propre défaite à l’action souterraine des hackers russes dirigée par le gouvernement. Il peut donc s’agir d’un moyen de détourner l’attention des erreurs de campagne, de tactique et des mauvais positionnements.

Ainsi, deux conclusions s’imposent. Tout d’abord, nous sommes effectivement face une interférence généralisée, sous des formes plus ou moins habiles et visibles. Tout pays qui a une politique étrangère a évidemment ses candidats préférés et cherche donc à les favoriser. Ensuite, ce phénomène a pris une nouvelle ampleur tout simplement parce que nous vivons dans un monde globalisé ; les élections aux États-Unis, en France, en Russie ou en Allemagne ont donc des conséquences sur le monde entier. Aujourd’hui, si un pays peut effectivement influencer des élections étrangères par divers moyens, il ne s’en prive pas. Il est donc intéressant de voir que les rendez-vous électoraux de plusieurs puissances moyennes ou de superpuissances concernent le monde entier et que, par conséquent, davantage d’acteurs vont essayer d’y intervenir.

Syrie, Libye, Afghanistan… Moscou semble devenir un acteur central dans plusieurs dossiers internationaux majeurs. Quel est le jeu de la Russie sur la scène mondiale ? Comment pourrait-on définir sa stratégie en termes de politique étrangère ?

En réalité, ce qui était anormal, c’était la période antérieure durant laquelle la Russie était relativement absente de la scène internationale. Aujourd’hui, Moscou renoue à la fois avec sa période tsariste, lorsqu’elle intervenait largement dans le bassin méditerranéen, ainsi qu’avec sa période soviétique, quand l’URSS intervenait partout dans le monde. Nous revenons donc à une situation antérieure lorsque la Russie était une puissance mondiale, ce que beaucoup d’autres pays avaient un peu oublié du fait du relatif effacement de Moscou.

On aurait pu imaginer qu’avec un PIB inférieur à celui de l’Italie et des difficultés économiques internes dues à la baisse du prix de pétrole, la Russie serait plus discrète sur la scène internationale. Il n’en est rien car la Russie a l’habitude d’exercer sa puissance sans commune mesure avec sa réelle capacité économique : il s’agit de la notion de « puissance pauvre ». Moscou reprend donc son rôle normal de puissance internationale et elle le fait avec une certaine habilité, comme en Syrie, ou de manière moins fine en Ukraine. Mais, manifestement, la Russie reprend son rôle mondial et elle le fait globalement avec un certain succès.

Cela étant, la plupart de ces retours sont en fait sujets à beaucoup d’interrogations car il existe un risque d’enlisement en Syrie, de même qu’en Ukraine avec la poursuite d’un conflit gelé qui porte en lui beaucoup d’étincelles de disputes futures. Si la Russie revient sur la scène internationale, elle a manifestement intérêt à capitaliser assez rapidement sur ses succès actuels, soit par des conférences de paix, soit par des accords avec les États-Unis ou sous l’égide de l’ONU. Nous nous dirigeons vers une période – et nous le voyons avec les conférences d’Astana qui préparent celles de Genève -, où la Russie va chercher à négocier son retour sur la scène internationale par des accords avec les principales puissances.
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