20.11.2024
Tirs balistiques en Iran : montée des tensions avec les Etats-Unis ?
Interview
13 mars 2017
Au vu de ces tirs, comment interprétez-vous les intentions du régime iranien ? Doit-on les considérer comme un acte de défiance vis-à-vis de la communauté internationale ?
Il ne faut pas sur-interpréter ces essais de missiles iraniens comme étant toujours des marques de provocation envers la communauté internationale. Non pas que la provocation n’existe pas en certaines périodes mais, dans ce cas précis, il s’agit plutôt de regarder le budget militaire iranien rapporté au PIB du pays : l’Iran, un pays grand comme trois fois la France, ne fait absolument pas partie des Etats qui dépensent le plus dans leur armée. Des pays comme Israël ou l’Arabie saoudite affichent des dépenses militaires beaucoup plus importantes. En revanche, Téhéran a axé sa politique de défense sur une stratégie de dissuasion depuis le milieu des années 1980. Elle est ainsi basée sur des essais réguliers de missiles et il est compréhensible que, dans une région pour le moins instable, l’Iran entretienne sa politique de défense. Alors que les récentes déclarations du gouvernement américain annoncent une augmentation de budget militaire, il est difficile de critiquer l’Iran d’effectuer des essais de missiles pour maintenir sa politique de dissuasion à visée défensive, sans forcément de volonté de provoquer les Etats-Unis.
En revanche, ces essais mettent-ils l’Iran en situation d’illégalité par rapport au droit international ? L’accord sur le nucléaire de 2015 impliquait que l’Iran ne teste pas de missiles qui puissent porter des charges nucléaires. Or, Téhéran affirme que les missiles testés ne sont pas destinés à porter des charges nucléaires. De ce point de vue-là, on ne peut donc pas affirmer, comme le fait le gouvernement américain, que l’Iran ne respecte pas l’accord de juillet 2015.
Depuis l’élection de Donald Trump, comment ont évolué les relations entre Téhéran et Washington ?
Dès sa campagne électorale, la tonalité de la rhétorique de Donald Trump était très agressive contre l’Iran. Depuis qu’il est au pouvoir, il a prononcé plusieurs déclarations qui dépeignent Téhéran comme l’un des ennemis des Etats-Unis. L’interdiction de visas concerne notamment les Iraniens, qui sont décrits comme des terroristes potentiels. La tonalité prise par Trump est donc violemment anti-iranienne et illustre un réel changement par rapport à la politique de Barack Obama. Alors que l’accord sur le nucléaire avait résulté de longues négociations entre ces deux pays, les déclarations de Trump introduisent une rupture dans cette « normalisation » de la relation irano-américaine.
La position du gouvernement Trump vis-à-vis de l’Iran semble liée à un populisme qui présente l’Islam comme un « danger ». République islamique, l’Iran est donc en prise aux amalgames, consistant à présenter les membres du gouvernement iranien comme des représentants de l’islam radical et à les mettre quasiment au même niveau que Daech. Cela étant, des conseillers au sein même du gouvernement américain essaient de modérer la position étatsunienne, tâchant d’expliquer que l’Iran n’est pas forcément le danger suprême dans la région pour les Etats-Unis et reconnaissant le pays comme un acteur central avec qui il est nécessaire de s’entendre : en Syrie, Téhéran soutient les forces de Bachar al-Assad ; en Irak, l’Iran se bat contre Daech.
Côté iranien, les radicaux, dont le guide Ali Khamenei, sont assez « contents » de l’arrivée de Trump car il représente tout ce qu’ils critiquent chez les Etats-Unis, à savoir un pays anti-iranien et corrompu. Les radicaux sont donc assez satisfaits d’une telle posture car ils peuvent ainsi reprocher à Hassan Rohani d’avoir été trop modéré vis-à-vis de Washington, et ainsi l’affaiblir. Rohani se retrouve donc en difficulté car d’un côté, il doit défendre des acquis dont il a besoin et qui sont importants pour l’Iran comme l’accord sur le nucléaire, afin d’éviter que ces tensions n’accroissent l’instabilité dans la région. De l’autre côté, compte-tenu des attaques de Trump et des accusations des radicaux, Rohani est aussi obligé de répondre en adoptant un discours plus dur envers les Etats-Unis.
Dans trois mois, en mai 2017, auront lieu les élections présidentielles iraniennes. Avec le bilan de Hassan Rohani, qui des radicaux ou des modérés semblent favoris ? Quelles pourraient être les répercussions internationales de ce scrutin ?
Il est toujours compliqué de faire des prévisions d’élections présidentielles mais Rohani est toujours considéré comme favori, malgré un mécontentement du pays par rapport à la situation économique qui ne s’est pas améliorée aussi rapidement que prévu. La force de Rohani réside en fait dans l’absence d’alternative à sa candidature. Si les adversaires radicaux sont opposés à l’accord sur le nucléaire, les Iraniens n’ont pour autant pas oublié la situation économique catastrophique dans laquelle se trouvait le pays avant l’accord lorsqu’il subissait de plein fouet les sanctions. Ainsi, même si Rohani est critiqué pour la situation économique ou aussi parce qu’il n’est pas allé assez loin concernant la question des droits de l’Homme, provoquant le mécontentement des jeunes en particulier, les gens ont conscience qu’il n’existe pas d’autre voie ni d’autre politique possible.
De plus, les radicaux n’arrivent pas à trouver un candidat qui soit suffisamment populaire et qui puisse menacer Rohani. Le seul candidat qui avait une certaine base populaire était Mahmoud Ahmadinejad qui, s’il s’était représenté, aurait pu être une certaine menace pour Rohani. Seulement, le guide lui a déconseillé de le faire.
Même si le président iranien n’a pas tous les pouvoirs, puisqu’il les partage avec le guide, cette élection est importante sur le plan international et sur le plan économique. Beaucoup d’entreprises, notamment européennes et françaises, veulent travailler avec l’Iran. La réélection de Rohani les conforterait dans la vision d’un Iran stable politiquement. Malgré les tensions avec les Etats-Unis, Rohani représente un gouvernement qui croit en la diplomatie, notamment par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. Si Rohani était réélu, le gouvernement iranien serait capable de passer des accords avec les pays occidentaux, comme celui sur le nucléaire. Cela représenterait donc une bonne nouvelle pour les pays souhaitant parvenir à des résultats qui puissent permettre la stabilité dans la région, notamment en Syrie, en Irak, voire en Afghanistan.