18.11.2024
Pékin face à la menace du terrorisme islamiste : quelle réalité ?
Interview
3 mars 2017
Les autorités chinoises doivent prendre ces menaces au sérieux pour deux raisons essentielles. Tout d’abord parce que Daech est capable de frapper dans une multitude de lieux. Il s’agit de régions, notamment au Moyen-Orient, dans lesquelles la Chine est de plus en plus présente sous la forme d’investissements ou d’expatriés qui y travaillent. A partir du moment où Daech cible la Chine, en plus du ciblage traditionnel des démocraties occidentales, on peut effectivement s’attendre à ce que ces menaces soient mises à exécution par des groupuscules locaux.
L’autre raison est évidemment liée au territoire chinois et à la question des Ouïghours, essentiellement situés dans la province du Xinjiang (ouest de la Chine). Cette minorité peut être tentée, en tous cas pour les plus activistes d’entre eux, par un rapprochement avec Daech. D’ailleurs, il a déjà été observé à plusieurs reprises des revendications ouïghoures qui annonçaient, de manière exagérée ou réelle difficile à déterminer, une allégeance à Daech. Bien évidemment, ce lien attire l’attention des autorités chinoises, le plus grand risque étant lié à une recrudescence de la violence dans la province du Xinjiang. De plus, la violence exercée par certains groupuscules ouïghours ne se limite pas forcément à cette province mais pourrait se généraliser à l’ensemble du territoire chinois.
Quelle expérience le gouvernement chinois a-t-il avec le terrorisme, et plus particulièrement avec le terrorisme djihadiste ?
C’est justement parce qu’il existe une expérience douloureuse en la matière que les autorités chinoises doivent prendre au sérieux ce type d’annonce de la part de Daech. Au cours des dernières années, plusieurs attentats ont été perpétrés par les mouvements ouïghours les plus radicaux. On se souvient notamment de l’attentat très meurtrier en 2014 de la gare de Kunming dans la province du Yunnan (sud de la Chine). L’impact psychologique fut très fort et profond sur la population. On assiste depuis à des renforcements de la sécurité dans les lieux publics. Des capteurs de métaux sont ainsi installés dans la plupart des lieux publics chinois, y compris le métro. Le pays vit donc sous le risque terroriste islamiste, puisque ces mouvements ouïghours se revendiquent de cette mouvance islamiste.
La Chine est déjà engagée depuis plusieurs années dans des actions de lutte anti-terroriste, à la fois à l’intérieur de son territoire, notamment dans la province du Xinjiang, mais aussi à l’international. De multiples initiatives sécuritaires existent entre la Chine et les pays d’Asie centrale au travers de l’Organisation de coopération de Shanghai. Le volet sécuritaire et de lutte contre les radicalismes islamistes sont intégrés dans ces efforts, et il existe à la fois une coordination des services de renseignement ainsi que des forces de police visant à lutter contre ce type de mouvements. Du côté chinois, il y a donc une vraie prise de conscience, qui ne date pas d’hier, des risques liés au radicalisme islamiste.
Daech jouit-il d’une influence développée en Asie orientale ? Quels enjeux cette région représente-t-elle pour le terrorisme islamiste ?
Il serait exagéré de considérer que Daech a un impact important en Asie orientale. La population Hui est de confession musulmane mais elle n’est pas ethniquement attachée à un territoire particulier, comme c’est le cas des Ouïghours. Auprès des Hui, ce type de mouvance islamiste n’a pas d’impact significatif. Il existe davantage auprès des Ouïghours. Ces derniers se servent de Daech pour mettre en avant un projet qui n’est pas tant religieux, que territorial. Les Ouïghours recherchent en effet une reconnaissance territoriale et une forme d’autonomie, voire même d’indépendance pour les plus radicaux d’entre eux. Ils se servent donc d’un terrorisme transnational pour se nourrir d’un certain nombre d’idées et de méthodes, que l’on retrouve dans les différents attentats actuellement perpétrés en Chine. Il s’agit plus d’une volonté de reproduire des types d’attaque et des schémas de pensée au départ véhiculés par Daech. On ne peut donc pas à proprement parler établir un lien étroit entre les Ouïghours et Daech. Ce lien reste discutable et n’est pas avéré à l’heure actuelle. Il s’agit plutôt d’une forme d’allégeance, que l’on retrouve d’ailleurs en Asie du Sud-Est, notamment au sein de mouvements au sud des Philippines et en Indonésie. Il s’agit de prêter allégeance à Daech mais sans nécessairement faire la démonstration d’un lien réel entre ces différentes organisations.