18.12.2024
Oman : une autre géopolitique dans le monde arabe
Tribune
4 octobre 2016
Depuis la prise de pouvoir du sultan Qabous Ben Saïd en juillet 1970, suite à la déposition de son père, le pays présente un taux de développement plus important et sa stabilité est souvent saluée.[i] Comment le sultanat a-t-il pu autant changer en à peine 40 ans ? Quel est le réel poids de ce pays de 4 millions d’habitants ? Qui est donc ce sultan à vocation diplomatique ? Un éclairage sur ce pays du Golfe qui force autant d’incompréhension que d’admiration.
Une monarchie pétrolière tournée vers la diversification économique
Souvent connus pour leur richesse pétrolière, les pays du Golfe sont au centre de toutes les attentions géopolitiques en raison de cette matière première précieuse. Oman a également su profiter de cet avantage tout en investissant dans d’autres domaines, faisant ainsi figure d’exception dans la région.
En effet, contrairement à d’autres pays avantagés par des ressources pétrolières plus importantes, Le Sultanat d’Oman n’a commencé à exploiter les siennes que vers 1967. Ne jouissant que d’une réserve limitée, le sultan Qabous a rapidement désiré investir dans d’autres secteurs économiques[ii], afin d’assurer une économie plus compétitive, permettant l’amélioration des infrastructures du Sultanat et son bon développement.
Oman s’est rapidement diversifié pour pallier au futur manque. La littoralisation a, de ce fait été un élément clé dans l’industrialisation et dans l’ « intégration des échanges mondiaux ».[iii] En construisant des raffineries sur ses littoraux, Oman a ainsi assuré l’exportation du pétrole et du gaz vers l’international, tout en prévoyant la pénurie. Effectivement, depuis 2008, le Sultanat a créé un hub aéroportuaire à Doqum, assurant une ouverture internationale en devenant un passage transitoire. Ses bonnes relations diplomatiques avec l’Occident, l’Asie et les pays arabes lui permettent donc d’avoir un statut privilégié, notamment sur le plan économique.[iv]
Un autre domaine d’investissement par le Sultanat a été la désalinisation de l’eau de mer. Une technologie de dessalement a ainsi permis un « développement industriel privilégié »,[v] débouchant sur des partenariats avec des entreprises françaises telles que GDF Suez ou Veolia.[vi]
Sa diversification économique et son dynamisme vers l’international ont permis à Oman de sortir du carcan pétrolier. Jouissant d’une rente liée à ce profit, partiellement reversée à sa population, comment ce pays arrive-t-il à se gérer à l’interne ?
Un pays de paix sociale dans une région empreinte à l’instabilité
Avec une forte expansion économique, le pays est en mesure d’aider sa population. En effet, le but d’Oman est aussi d’obtenir une paix sociale, générant ainsi une stabilité au sein du Sultanat.
Devenant rentier grâce au pétrole, le sultan a donc décidé de redistribuer une partie de cette richesse afin d’aider les personnes les plus vulnérables, dans un pays où le chômage est à presque 12%.[vii] Si cette mesure est à cheval entre l’Etat-providence et le paternalisme, des chercheurs ont démontré que les étrangers travaillant dans le pays ne bénéficient pas de cette rente et vivent dans des conditions souvent précaires, à l’instar des expatriés bangladais. Ils méritent plus d’attention.[viii] Par ailleurs, des contestations à cet effet ont émergé en mars 2011, pendant le Printemps arabe. Si le mouvement n’a été que marginal à Oman, le sultan a répondu rapidement par des réformes politiques qui n’ont pas convaincu. Les activistes ont continué à pointer les inégalités jusqu’en automne 2012, malgré les restrictions imposées par le ministère de l’Intérieur. Force est de constater que le sultan a anticipé des réformes politiques audacieuses
Si les questions sur les étrangers et la liberté d’expression sont controversées, le sultan œuvre pour développer l’égalité des chances pour ses citoyens. L’éducation a donc été au centre de sa politique. Grâce à son projet de formation en faveur des jeunes, il a encouragé la scolarisation pour tous les enfants, ce qui a permis un taux d’alphabétisation de 91% en 2015[ix] contre 35% en 1970.[x] Le Sultanat encourage ses jeunes étudiants à postuler pour des études à l’étranger et dans toutes les disciplines.
Le paradigme de paix se retrouve-t-il dans leur religion ? L’ibadisme, une autre branche de l’Islam, repose sur la cohabitation entre ses différents courants. Sa pratique est plutôt harmonieuse dans le pays, mêmes si les autorités se méfient de la radicalisation. Les lieux de culte font l’objet d’un contrôle sans relâche exercé par le ministère des affaires religieuses. C’est pourquoi, le sultan Qabous attache une importance de taille à ce secteur. Il a nommé un homme de savoir, doté d’une grande connaissance théologique et scientifique. Abdullah Ben Mohammed Al Salmi est un homme à poigne, c’est lui qui dicte aux milliers d’imams du pays le texte de la prière du vendredi. Sans détour, il se défend en disant qu’il suffit de quelques heures pour galvaniser les foules, mais il faut, en revanche, plusieurs années pour les former et les armer contre les dérives.
Oman a développé une tolérance, qu’il met à profit d’une « diplomatie religieuse »[xi] afin « d’insister sur ce qui rassemble, ce qui [nous] unit, à travers le dialogue ».[xii]
Cette façon de vivre la religion s’est adaptée à la gestion des politiques internationales. Oman a donc appliqué ces principes diplomatiques religieux à la résolution de conflits, en devenant médiateur. Dans quelles mesures l’intervention du Sultanat a eu un impact dans les relations internationales ?
Le sultan Qabous Ben Saïd, un médiateur clé pour la pacification des relations internationales
D’un point de vue international, le sultan Qabous fait preuve d’exemplarité. En effet, ce personnage charismatique est souvent intervenu dans différents conflits régionaux et internationaux, permettant ainsi la résolution de certaines tensions. Grâce à des relations pacifiées par l’entente économique et par la diplomatie religieuse, son rôle de médiateur est donc assuré.
D’un point de vue régional, Oman a souvent œuvré pour la paix et la discussion. Ses décisions politiques ont souvent été le reflet de cette ligne de conduite. Dans le conflit syrien par exemple, le sultan a conservé des relations diplomatiques avec Bachar Al-Assad. Son expérience le pousse à résoudre les conflits dans les Etats arabes, sans intervenir militairement.[xiii] Il use de cette même stratégie pour les crises yéménite et irakienne. Son influence sur les Houtis au Yémen a joué un rôle crucial dans la tenue des négociations de Genève.
Le sultan est également intervenu dans certaines discussions opposant des pays occidentaux à des pays arabes. En effet, en 2013, Oman a accueilli secrètement les délégations américaines et iraniennes pour les rapprocher diplomatiquement afin d’arriver à un accord sur le nucléaire et apaiser les tensions. Le sultan a souvent tenté cette approche mais l’arrivée de Barack Obama à la fonction de président a permis la réalisation de ce processus.[xiv]
Par ailleurs, le Yémen a souvent pris en otage des touristes étrangers et l’influence du sultan a été cruciale pour leur libération. En 2015, François Hollande avait ainsi remercié le sultan Qabous pour son intervention dans la mise en liberté d’Isabelle Prime.[xv]
Ce rôle privilégié et important est néanmoins sujet à l’instabilité qui marque la région. Des coalitions étrangères ont parfois tenté d’exercer des pressions sur le sultan qui, selon elles, outrepassait ses prérogatives. La figure patriarcale et charismatique légitimant l’union omanaise et son ambition régionale, a réussi à rassurer ses détracteurs et réduire leur capacité de nuisances. Ainsi l’après Qabous est désormais une préoccupation, en l’interne comme en externe, pour préserver cette stabilité que le sultan a réussi à créer ces 40 dernières années et surtout son rôle de facilitateur dans un monde de plus en plus complexe.
[i] Samy GHORBAL (22 septembre 2015), « Oman : un îlot de stabilité, loin des passions sunnite et chiite», Jeune Afrique. Repéré à : http://www.jeuneafrique.com/mag/250309/societe/oman-un-ilot-de-stabilite-loin-des-passions-sunnite-et-chiite/
[ii] Alain GRESH (21 avril 2016), « La diplomatie tranquille d’Oman dans un Golfe en ébullition », Orient XXI. Repéré à : http://orientxxi.info/magazine/la-diplomatie-tranquille-d-oman-dans-un-golfe-en-ebullition,1295,1295
[iii] Alexandre MOUTHON (5 mars 2016), « Géopolitique d’Oman, les choix d’une pétromonarchie discrète », Diploweb.com La revue géopolitique, 27 pages, Repéré à : http://www.diploweb.com/spip.php?article1504, p. 12
[iv] Ibid, p. 6
[v] Ibid, p. 13
[vi] Ibid
[vii] France diplomatie (1er juillet 2016), « Présentation d’Oman ». Repéré à : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/oman/presentation-d-oman/
[viii] Alexandre MOUTHON, op. cit., p. 19
[ix] Ibid
[x] Alexandre MOUTHON, op. cit., p. 19
[xi] Samy GHORBAL (22 septembre 2015), « Oman : un îlot de stabilité, loin des passions sunnite et chiite», Jeune Afrique. Repéré à : http://www.jeuneafrique.com/mag/250309/societe/oman-un-ilot-de-stabilite-loin-des-passions-sunnite-et-chiite/
[xii] Ibid
[xiii] Mohammed ABOUD (16 août 2015), « Le sultanat d’Oman peut-il devenir un acteur clé de la crise syrienne ? », Middle east eye. Repéré à : http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/le-sultanat-doman-peut-il-devenir-un-acteur-cl-de-la-crise-syrienne-285229865
[xiv] Benjamin BARTHE (22 décembre 2013), « Le rôle d’intermédiaire discret joué par Oman », Le Temps. Repéré à : http://www.letemps.ch/monde/2013/12/22/role-intermediaire-discret-joue-oman
[xv]AFP Agence (7 août 2015), « Le rôle clé du sultanat d’Oman dans la libération de l’otage », Le Figaro. Repéré à : http://www.lefigaro.fr/international/2015/08/07/01003-20150807ARTFIG00278-le-sultanat-d-oman-mediateur-diplomatique-majeur-du-moyen-orient.php