17.12.2024
Accord de cessez-le-feu : vers une paix définitive en Colombie ?
Tribune
22 juillet 2016
Le processus de paix en Colombie a débuté avec la « Rencontre Exploratoire » du 23 février au 26 août 2012 à Cuba, à l’initiative du président Juan M. Santos et des dirigeants des Forces Armées Révolutionnaires de la Colombie – Armée du Peuple (FARC-EP). Il aura parcouru un chemin ardu mais en constante progression, malgré de multiples et difficiles ralentissements. Des nombreux acteurs ont permis de donner une crédibilité et un soutien international à la volonté politique de mettre fin à ce conflit vieux de 52 ans : la Norvège et Cuba, en tant que « garants » et facilitateurs, les gouvernements du Venezuela et du Chili comme « accompagnateurs ». On retiendra des évènements de grande envergure comme la table des pourparlers initiaux, instaurée à Oslo, et le siège permanent des négociations à La Havane.
L’agenda des négociations prévoyait six thématiques nécessitant un accord[1] des parties : la politique du développement agraire intégral, la participation politique de l’opposition et des membres des FARC, la fin du conflit, la solution au problème de drogues illicites, la réparation aux victimes et sa mise en œuvre, ainsi que la vérification et la ratification de l’accord final de paix. Les thématiques choisies résument les intérêts et les compromis des deux parties prenantes du conflit, ainsi qu’un apprentissage certain des erreurs des tentatives précédentes.
Trois thématiques ont été rapidement acceptées : la réforme agraire, la participation à la vie politique avec des garanties de sécurité pour les FARC démobilisés et le trafic de drogues. Cependant, la réparation des victimes et le droit à la vérité a nécessité plus de temps (18 mois). Quant à un accord sur le traitement de la fin du conflit, en particulier le « cessez-le-feu » et le désarmement, il est bien difficile à trouver.
La méthode, qui consiste à aborder chaque thématique une par une, de façon successive, avec la signature d’un accord partiel permettant de passer à la suivante, s’est montré appropriée pour avancer dans la gestion du conflit. Cependant, le principe qui prévaut pour valider l’intégralité de l’accord reste celui de « rien n’est signé tant que tout n’est pas signé ». Autrement dit, pour mettre en œuvre les accords partiels, il faut nécessairement la signature et la ratification de l’accord final.
Quelle signification donner à l’accord signé le 23 juin dernier ?
Selon le communiqué conjoint[2] rédigé par la délégation du gouvernement colombien et les dirigeants des FARC-EP, l’accord partiel actuel reprend trois points essentiels de l’agenda initial :
– Le cessez-le-feu bilatéral de façon définitive et l’abandon des armes par les combattants des FARC[3]. Cela inclut la rédaction d’une « feuille de route » qui guidera l’abandon des armes utilisées par la guérilla, démarche envisagée sur une période de 180 jours à partir de la signature de l’accord final. La fin des hostilités entre les forces militaires et sécuritaires étatiques et les forces des FARC implique la récupération et la neutralisation de l’armement de ces derniers.
Un mécanisme de contrôle (CI-MMV) du désarmement sera composé de représentants civils non armés du gouvernement colombien, des FARC et d’observateurs des pays de la CELAC (Communauté d’États latino-américains et Caraïbes). C’est cette « composante internationale » qui présidera le mécanisme et tranchera en cas de désaccord sur la façon de procéder au désarmement.
– Les garanties de sécurité et la lutte contre les organisations criminelles par l’État[4].
Cet objectif cherche à assurer la protection et la sécurité de la population, en particulier pour les personnes appartenant à des groupes politiques de l’opposition, à des mouvements sociaux ou syndicaux, ou bien des personnes issues des anciennes unités de combat ou de soutien à la guérilla. Il souhaite également permettre l’éradication du phénomène des para-militaires et d’autres organisations criminelles.
– La ratification citoyenne de l’accord final de paix[5]. Pour éviter un blocage du processus, les FARC et le gouvernement ont décidé d’accepter la décision de la Cour constitutionnelle concernant la définition du mécanisme de participation citoyenne pour ratifier l’accord.
La décision des FARC-EP d’accepter le rôle de la Cour constitutionnelle était inattendue. C’est la première fois que les FARC acceptent la décision d’une entité étatique. Le référendum a été une promesse de campagne électorale du président Santos au moment de sa candidature présidentielle ; le manquement à cette promesse engendrerait un coût politique considérable pour lui et son parti. Dans ce contexte, la décision des FARC représente un signal positif.
Vers une paix définitive ?
Les signes sont définitivement positifs et prometteurs.
– Les avancées dans les discussions et la signature des accords partiels, malgré les positions antagonistes constatées au départ et plusieurs affrontements armés sur le terrain pendant les négociations, restent sans aucun doute un premier constat positif.
– La présence des six présidents, le Secrétaire général des Nations unies, le ministre des Affaires étrangères de la Norvège, le président du Conseil de sécurité, le président de la CELAC et quelques représentants des États-Unis et européens, au moment de la communication conjointe sur « le cessez-le-feu et l’abandon des armes », donnent un cadre de confiance et continuent à montrer un esprit d’engagement réel sur la finalisation du processus de paix entre les deux parties.
– Le rôle technique demandé aux Nations unies dans la gestion du désarmement des guérilleros et l’engagement formellement accepté par le Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, montrent que le processus est fortement engagé. La situation est similaire pour le rôle de vérification de la mise en œuvre des dispositions accordées demandé à l’UNASUR.
Cependant, le succès est encore conditionné à la volonté de certaines entités et forces du pays, soit :
– Les forces politiques conservatrices de droite, dirigées par l’ancien président Alvaro Uribe, un opposant farouche au processus de paix par la voie de la négociation et partisan de la victoire militaire. M. Uribe a émis un communiqué de presse le jour même du communiqué conjoint (23 juin) exprimant son désaccord aux avancées.
– La continuité ou la destitution de M. Alejandro Ordoñez Maldonado comme Procureur général de la Nation[6]. La relation de proximité qu’entretient M. Ordoñez avec M. Uribe et sa partialité dans l’exercice de sa fonction, dans la mesure où il favorise ceux qui partagent avec lui une position conservatrice et religieuse, pourraient être un frein juridique à l’initiative
– La sélection et l’orientation du nouveau Procureur général de l’État (au moment de l’écriture de cet article, c’est M. Néstor Humberto Martínez qui a été choisi par la Cour Suprême de Justice). Le responsable de la fiscalité est principalement chargé, parmi d’autres fonctions judiciaires, de la lutte contre le crime organisé. Il devra accompagner aussi la création du Tribunal Especial para la Paz (Tribunal Spécial pour la Paix). Une attitude de fermeté pour résoudre le problème concernant les groupes criminels armés sera un facteur d’affirmation ou d’affaiblissement de la « mise en œuvre » effective de la paix.
– La décision de la Cour Constitutionnelle d’accepter un référendum comme mécanisme de ratification de l’accord de paix définitif. L’aspect politique du communiqué ci-joint et le sentiment partagé dans le milieu judiciaire envoient des signes favorables pour un référendum, sachant qu’un verdict négatif engendrera la création d’un autre mécanisme, complexifiant un peu plus la dernière ligne droite du processus. Cette décision reste strictement dans les mains de la Cour constitutionnelle, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elle échappera à la volonté politique du gouvernement.
– Le rôle des médias dans la communication des événements, des débats et des positionnements des acteurs les plus importants. Ceux-ci influeront sur la perception positive du processus en soulignant la construction d’un futur meilleur, ou bien en mettant en lumière les expériences négatives du passé et l’affirmation du statu quo.
Pour finir,
– L’acceptation générale des citoyens concernant la participation politique des anciens rebelles, un sentiment qui n’est pas gagné d’avance sauf si un processus de pardon et de réconciliation nationale est mis en œuvre de façon rapide et consistante.
L’action directe et le soutien de nombreuses organisations civiles, actuellement actives et engagées, sera un élément important à prendre en considération puisqu’il jouera en faveur de la signature de l’accord. C’est ce tissu social qui participera fortement à l’endiguement des « forces anti-paix ». Le soutien des institutions internationales et des gouvernements apportent également un appui non négligeable, le pouvoir décisionnel et d’influence directe restant néanmoins dans les mains des acteurs nationaux.
Nous pouvons donc avancer que les conditions qui permettraient d’arriver à la signature de l’accord final sont réunies malgré les éléments de blocage ou d’opposition. La signature de l’accord final est envisagée pour cette fin juillet, voire au mois d’août. Ce jour-là, la Colombie tournera une page douloureuse de son histoire et commencera l’écriture d’un nouveau chapitre prometteur longtemps réclamé et attendu par sa population.
[1] Acuerdo General para la Terminación del Conflicto y la construcción de una paz duradera (Accord Général pour la finalisation du conflit). 26-août-2012, La Havane
[2] Communiqué conjoint « Acuerdo sobre Cese al Fuego y Hostilidades bilateral y definitivo, Dejación de Armas, Garantías de Seguridad y Refrendación ». 23-juin-2016, La Havane
[3] Incise 3.1 3.2 de l’Accord Général pour la finalisation du conflit. 26-août-2012, La Havane
[4] Incise 3.4 de l’Accord Général pour la finalisation du conflit. 26-août-2012, La Havane
[5] Incise 6.1, 6.2, 6.3 de l‘Accord Général pour la finalisation du conflit. 26-août-2012, La Havane
[6] Le rôle du « Procureur » est d’assurer les droits collectifs en représentation des citoyens et contre les abus ou irrégularités commis par les fonctionnaires publiques.