19.12.2024
« Panama Papers » : l’arbre qui cache la forêt ?
Interview
6 avril 2016
Rappelons tout d’abord qu’il n’y a dans cette histoire aucune investigation, ni transparence. Aucune investigation, car c’est simplement un lanceur d’alerte qui a envoyé les documents aux journalistes allemands du Süddeutsche Zeitung, qui les ont à leur tour transmis à l’ensemble du Consortium (International Consortium of Investigative Journalists – ICIJ). Aucune transparence, car sans la médiatisation de l’affaire, le Panama resterait dans l’ombre et serait toujours hors liste noire, puisque le pays avait été sorti des territoires non coopératifs par la France en janvier 2012.
La finance offshore a de beaux jours devant elle et l’exemple de Jérôme Cahuzac est très parlant. On cherchait ses comptes en Suisse, alors qu’il était évident que comme beaucoup d’autres, il les avait fait transiter vers Singapour. Et de surcroît, c’est seulement aujourd’hui, alors qu’une enquête approfondie est censée être menée, que l’on apprend qu’il avait aussi une société créée par le cabinet panaméen Mossack Fonseca. Nous sommes donc face à une énième affaire, retentissante certes car de nombreuses personnalités et stars mondiales sont évoquées dans ce dossier, mais comme les précédentes, elle sera vite oubliée. C’est bien l’arbre, même si c’est plutôt un baobab, qui cache la forêt.
Les « Leaks » sur l’évasion fiscale ont généralement des conséquences financières, juridiques et politiques bien réelles, de la directive du Parlement européen sur le secret des affaires à la condamnation de HSBC. A quelles conséquences doit-on s’attendre suite à la publication de cette masse d’information ?
Il y aura bien évidemment des actions qui découleront de ces révélations. Il ne peut en être autrement face à une telle médiatisation. Le retour du Panama sur les listes noires, même s’il paraît ridicule, en est une parfaite illustration. Mais face à d’autres révélations, on nous avait promis en 2008 et 2009 la fin des paradis fiscaux. Et même chose en 2012, puis 2013. A chaque affaire une promesse. Or, il existe toujours autant de paradis fiscaux aujourd’hui qu’il y a 20 ans.
Les conséquences se traduiront certainement par quelques mesurettes supplémentaires. Ce qui n’est pas surprenant, car l’arsenal juridique est déjà très riche. Ce qui pêche, c’est l’application et l’effectivité de ces textes, parfois leur portée. La 4e directive européenne sur le blanchiment a été récemment publiée. La loi Sapin 2 propose des avancées. Je pense que les conséquences des Panama Papers seront plus individuelles et concerneront des redressements fiscaux, des négociations avec Bercy, des procès éventuellement. Car soyons sérieux, ces révélations n’apprennent rien sur la fraude fiscale. Les choses sont connues et les autorités n’ont pas besoin de ce genre d’affaires pour savoir que ça existe.
En France, le projet de loi sur la corruption et la transparence de Michel Sapin comprend des mesures innovantes, notamment sur la protection des lanceurs d’alertes. La France est-elle à l’avant-garde en matière de lutte contre la fraude fiscale ?
Comment lutter intelligemment contre l’évasion fiscale au niveau international ?
Ces mesures sont innovantes pour la France. Mais elles sont pour la plupart déjà en vigueur ailleurs. Elles arrivent tard, notamment en ce qui concerne les lanceurs d’alerte, qui finissent plus souvent en prison ou isolés, voire qui sont assassinés. Rappelons-nous des premiers lanceurs d’alerte en France, dans le monde du sport : affaire OM-VA dans le football, affaire Festina dans le cyclisme,… dans ces cas-là les lanceurs d’alerte ont vu leur carrière brisée. Denis Robert a dû financer seul des dizaines de procès contre le Luxembourg, contre Clearstram,…
La France lutte contre la fraude fiscale, plutôt bien et de mieux en mieux (18 milliards d’euros en 2013, plus de 21 milliards en 2015), mais toujours insuffisamment. La fraude à la TVA demeure conséquente, même à l’échelle de l’Europe avec la fraude dite du « carrousel de TVA », qui fait perdre à elle seule entre 2 et 4 milliards d’euros à la France chaque année. Les pertes fiscales et sociales annuelles françaises s’élèvent au total à 100 milliards d’euros par an. L’éradication de ces fraudes permettrait donc l’équilibre budgétaire de l’Etat et de la Sécurité Sociale réunis.
La seule possibilité pour supprimer l’évasion fiscale (ce qui n’empêcherait pas la fraude fiscale nationale) consiste en la suppression totale et définitive des paradis fiscaux. Or les Etats sont souverains. Ils peuvent donc fixer librement leurs taux d’imposition et leurs modes de taxation. Et rappelons pour conclure, que la France est un paradis fiscal pour certains non-résidents, entre autres en matière de plus-value immobilière.