19.12.2024
« GAFA » ou les enjeux de l’optimisation fiscale des multinationales
Interview
25 février 2016
Premièrement, cette somme n’apparaît pas réellement surprenante. J’avançais depuis plusieurs années le chiffre d’un milliard d’euros de perte par an pour la France, si l’on prend les cinq-six plus grandes entreprises du net, surnommées GAFA (pour Google, Amazon, Facebook et Apple). Cette somme, qui comprend l’impôt et d’éventuelles amendes et autres pénalités de retard, signifie que Google n’a pas déclaré en France plusieurs milliards de revenus de chiffre d’affaires, qu’il s’agisse de la TVA ou de l’impôt sur les bénéfices. D’autres pays comme la Grande-Bretagne ont eu des réclamations qui concernaient de plus faibles sommes (environ 200 millions d’euros). Pour la Grande-Bretagne, il s’agit davantage de négociations, contrairement à la France qui réclame son dû sans négociations. L’impôt étant plus lourd en France pour les entreprises, cela explique en partie que la dette fiscale soit plus importante.
Quelles stratégies les grosses multinationales utilisent-elles pour échapper aux impôts ?
Les stratégies sont multiples. Il y a par exemple la stratégie du « double irlandais » ou du « sandwich hollandais », consistant à faire passer les ventes et les produits par des pays comme les Pays-Bas, l’Irlande et les îles Caïmans. Cela permet par des accords fiscaux entre les Etats de faire peser le chiffre d’affaires et le bénéfice là où il n’y a pas ou peu d’impôts. Par ces montages internationaux, en créant des sociétés qui sont parfois des sociétés écrans, on arrive à obtenir le maximum de bénéfices dans les paradis fiscaux, en réduisant ainsi très fortement l’impôt. L’impôt final pour certaines entreprises telles que Google a été calculé autour de 2,5-3% en moyenne, très loin des standards, même si en France la moyenne des grandes entreprises est assez faible (10% à 14% de taux d’imposition moyen). Ces stratégies, d’optimisation fiscale ou d’évasion fiscale, sont connues et avérées. On peut même parler dans certains cas de fraude fiscale. Il y avait une véritable nécessité que les Etats se mettent au travail et puissent agir, le manque à gagner représentant, comme je l’ai déjà évoqué, environ 1 milliard d’euros chaque année pour les grandes entreprises. Mais si l’on rajoute les stratégies de toutes les multinationales confondues, il s’agit de plusieurs milliards de pertes par pays de la taille de la France.
Les acteurs institutionnels ont-ils pris la mesure de l’enjeu de la lutte contre l’optimisation fiscale des multinationales et ont-ils commencé à prendre des mesures efficaces ?
Je pense que l’affaire Google est un signal très fort. Si l’on prend le cas de la France, on a l’impression, du moins dans les discours, qu’enfin un Etat décide d’attaquer. C’est également le cas de l’Allemagne, de l’Italie et de la Grande-Bretagne qui affichent une volonté d’agir. La France marque un gros coup et tape du poing sur la table. Ma théorie est que cela peut aussi être une réponse aux sanctions qu’ont fait peser les Etats-Unis sur les entreprises françaises, notamment les banques françaises – sanctions liées à des affaires d’embargo sur les armes avec paiement en dollars, et à des affaires de corruption et de blanchiment d’argent sale. Ceci étant dit, je pense qu’un changement radical est en train de s’opérer. S’il est pour le moment notable dans les discours, il faut espérer que cela se manifestera dans les actes. Maintenant que le ministre a ouvertement dénoncé les choses, Bercy a les mains libres pour aller au bout de l’affaire.
Toutefois, concernant la question de savoir si tout est fait pour que cela change, on s’aperçoit lorsque l’on analyse les derniers débats, notamment à l’Assemblée nationale, que l’on ne va pas nécessairement au bout de ce qu’il faudrait faire, notamment en matière de reporting. Du chemin reste à faire, bien qu’il y ait des avancées notables depuis quelques mois. Google est un peu le premier signal qui permet de devenir optimiste.