ANALYSES

Le Format « 16+1 » : la nouvelle coopération entre seize pays d’Europe centrale et orientale et la Chine

Tribune
8 février 2016
Par Dorota Richard, Docteur en sciences politiques et relations internationales, spécialiste de l’Europe centrale et orientale
Le quatrième sommet du Format « 16+1 » s’est tenu le 24 novembre 2015 à Suzhou, en Chine, avec la participation du premier-ministre chinois Li Keqiang et des chefs d’Etat et de gouvernement de seize pays d’Europe centrale et orientale. Lors du sommet, les participants ont formulé les « Directives de Suzhou », grandes lignes de la coopération entre la Chine et les pays d’Europe centrale et orientale.
Le partenariat entre 16 pays d’Europe centrale et orientale et la Chine, connu sous le nom du Format « 16+1 » a débuté en 2012 à Varsovie, lors de la visite en Pologne du premier ministre chinois de l’époque, Wen Jiabao. Le Format « 16+1 » est composé de la Chine et de 16 pays d’Europe centrale et orientale : Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Croatie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Albanie et Macédoine. Depuis 4 ans, le partenariat, dans le cadre du Format « 16+1 », se développe en particulier autour de l’initiative chinoise de la « Nouvelle route de la soie ».


Depuis 2012, la Chine intensifie ses relations avec les pays d’Europe centrale et orientale. Cette nouvelle coopération est réalisée dans le « Format 16 +1 ». Plusieurs raisons expliquent ce rapprochement récent :
– L’importance croissante de l’Europe centrale et orientale suite à l’intégration de 11 pays de cette zone dans l’Union Européenne ;
– La prise de conscience à Pékin de l’importance croissante dans l’UE de ces nouveaux pays membres ;
– L’Europe centrale et orientale est le nouveau point d’orientation de la stratégie going out, c’est-à-dire de l’expansion des entreprises chinoises à l’étranger ;
– Cette région est au centre de la « Nouvelle route de la soie », englobant deux initiatives proposées en 2013 par le président chinois Xi Jinping : « la Ceinture économique de la Route de la Soie » et « la Route de la Soie maritime du XXI siècle ». Ces deux initiatives sont souvent appelées également « la Ceinture et la Route », concept clé de la politique étrangère chinoise. Il s’agit de développer de nouvelles infrastructures de transport ainsi que des réseaux de commerce, des échanges économiques et d’investissements reliant la Chine et l’Europe, le long de l’ancienne « Route de la Soie ». Les « seize » sont particulièrement concernés par cette « Nouvelle route de la Soie » car un quart des pays situés le long de son tracé se trouvent en Europe centrale et orientale.
– L’Europe centrale et orientale est perçue par la Chine comme une zone favorisant l’expansion des investissements financiers chinois vers l’Ouest de l’Europe ;
– Le Format « 16+1 » devrait faciliter les relations Chine – UE ;
– La Chine veut intensifier les échanges avec cette zone, y compris augmenter ses importations, notamment dans le secteur agro-alimentaire, investir, mais aussi obtenir le contrôle de centres de production et de distributions ;
– Cette nouvelle coopération devrait contribuer à une perception positive de la Chine en Europe.
En outre, cette forme de coopération offre à la Chine la possibilité de rencontres simultanées régulières au plus haut niveau avec les représentants de 16 pays. Par ailleurs, cette formule permet de coordonner les projets et les potentiels des seize pays d’Europe centrale et orientale dans le dialogue politique et économique avec la Chine, mais également d’acquérir une meilleure connaissance du marché chinois et en conséquence d’en faciliter l’accès [1].
Les 16 pays de l’Europe centrale et orientale sont donc directement intéressés à la réalisation de ces objectifs, car ils sont conformes à leurs propres intérêts. Les « seize », qui ont un important déficit commercial avec la Chine, veulent augmenter leurs exportations, attirer les investissements et créer des centres logistiques multimodaux, ainsi que des centres de distribution autour des réseaux de transport avec la Chine.
La coopération dans le Format « 16 + 1 » a été inaugurée en avril 2012 à Varsovie à l’occasion de la visite en Pologne du Premier ministre chinois, Wen Jiabao, lors du sommet Europe Centrale – Chine – Pologne. Le siège de l’organisation est à Varsovie. Cette nouvelle forme de coopération au plus haut niveau – avec le premier ministre de la Chine et les dirigeants de 16 pays d’Europe centrale et orientale – comprend également des réunions de niveau subalterne selon le même format.
A Varsovie en 2012, Wen Jiabao a exposé la stratégie de la Chine pour l’Europe centrale et orientale en « 12 étapes » [2] – liste d’initiatives visant à renforcer la coopération bilatérale. Parmi les plus importantes, figurent une ligne de crédit de 10 milliards de dollars, un fonds d’investissement d’un capital initial de 500 millions de dollars ainsi que l’envoi de missions économiques dans le but d’accroitre les importations et les investissements chinois.
Toutefois, la stratégie des « 12 étapes » a suscité l’inquiétude de l’Union Européenne. Bruxelles a exprimé sa préoccupation concernant la participation de pays non membres de l’UE au Format 16+1, craignant que cela puisse interférer dans sa politique vis-à-vis de la Chine. En réponse à ces préoccupations, Pékin a pris soin de consulter la Commission européenne sur ses propositions avant le deuxième sommet du Format à Bucarest en novembre 2013. En conséquence, les « Directives de Bucarest » contenaient des dispositions selon lesquelles la coopération dans le Format « 16+1 » devait être conforme au droit de l’Union européenne et devait s’inscrire dans le cadre du partenariat stratégique Chine-UE. Le but était d’éviter les propositions incompatibles avec le droit de l’UE.
Les « Directives de Bucarest » [3], programme de coopération adopté par les 17 pays du Format à l’issu du sommet, étaient plus riches que les « 12 étapes ». Le document décrit les initiatives à entreprendre en 2014 et dans les années suivantes dans des domaine clés de la coopération : le commerce, l’investissement, le transport, les infrastructures, l’agriculture et la coopération financière, culturelle, scientifique et interpersonnelle ainsi qu’un plan visant à mettre en place des mécanismes communs de coopération.
La mise en œuvre des « Directives de Bucarest » tout au long de l’année 2014 a été marquée par un nombre important de rencontres officielles accompagnées d’initiatives commerciales.
Par exemple, en Juin 2014 à Ningbo, la rencontre des ministres de l’économie était accompagnée d’une foire présentant l’offre à l’exportation des pays d’Europe centrale et orientale.

Le troisième sommet du Format s’est tenu le 16 décembre 2014 à Belgrade en présence du premier ministre chinois et Li Keqiang, des représentants des gouvernements des 16 pays d’Europe centrale et orientaleEurope centrale et orientale et des représentants de l’Union européenne. En même temps, se sont déroulés un forum économique ainsi que de nombreuses réunions bilatérales entre Li Keqiang et les premiers ministres des « seize ».
Le nouveau document réactualisant le programme de coopération, « Directives de Belgrade », définissait les priorités pour 2015 et les années suivantes [4].
Le sommet a été organisé autour du thème « New driving Force, new platform, new engine ». La première partie se réfère à la relation Chine-Europe centrale et orientale, la deuxième définit une nouvelle plate-forme de coopération qui profite aux deux parties, et la troisième donne l’impulsion pour de meilleures relations sino-européennes.
Dans son discours, Li Keqiang a insisté sur le fait que la Chine et l’Europe ont des potentiels complémentaires et des intérêts convergents. La coopération dans le Format « 16+1 » peut également devenir un excellent outil d’intégration de l’Europe en tant que continent. Elle sera reliée à la Chine par des projets d’infrastructures et de voies de transport (Nouvelle route de la soie). Cette coopération apportera des avantages mutuels à toutes les parties. Par ailleurs, les « seize » et la Chine ont des intérêts complémentaires. Les pays d’Europe centrale et orientale doivent développer leurs infrastructures et leurs secteurs de production. De son côté, la Chine dispose d’une importante capacité de production et de grandes réserves monétaires.
Le premier ministre chinois a annoncé la poursuite de la coopération financière, et notamment des conditions plus intéressantes concernant l’utilisation des 7 milliards de dollars restant de la ligne de crédit de 10 milliards de dollars ouverte en 2012, ainsi que le financement de la deuxième phase du fonds d’investissement Chine-Europe centrale et orientale d’un montant de 1 milliard de dollars (après la première phase du montant de 500 millions de dollars) et la création d’un fonds d’investissement chinois de 3 milliards de dollars.
Les entrepreneurs chinois seront également encouragés à participer à la privatisation dans les pays d’Europe centrale et orientale.

Les principales dispositions de « Directives de Belgrade » :
– Construction d’une ligne de chemin de fer entre la Serbie et la Hongrie avec le soutien financier de la Chine. La construction devrait être achevée en Juin 2017 ;
– Amélioration de la communication entre la Chine et l’Europe centrale et orientale grâce à la construction de nouvelles lignes de transport et de centres logistiques ;
– Annonce de l’ouverture de liaisons aériennes directes Chine – Europe centrale et orientale ;
– Inauguration officielle du mécanisme d’investissement avec des sièges à Varsovie et Pékin. Ce mécanisme a été créé en novembre 2014 lors d’une réunion des représentants des agences d’investissement du Format « 16+1 » à Varsovie ;
– Signature d’un accord sur la mise en place d’un Conseil d’affaires à Varsovie (création d’un secrétariat permanent du Conseil d’affaires du Format « 16+1 » ainsi que d’un bureau d’information sur les investissements du Format) ;
– Mise en place de rencontres régulières (tous les deux ans) des représentants des ministères de l’économie ;
– Inauguration en 2015 à Sophia de l’Association des institutions de promotion de la coopération dans le domaine de l’agriculture ;
– Poursuite de l’utilisation de la ligne de crédit mise en place par la Chine en 2012 pour les « seize ».

Par ailleurs, l’année 2015 a été annoncée comme l’année de la promotion de la coopération touristique. Un forum d’experts de la protection du patrimoine culturel, créé lors du Congrès économique européen à Katowice en Pologne, doit enrichir la coopération d’une dimension culturelle.

Le 4e et dernier sommet du « Format 16+1 » s’est tenu le 24 novembre 2015 à Suzhou en Chine avec la participation du premier ministre chinois Li Keqiang et des chefs d’Etat et de gouvernement des seize pays d’Europe centrale et orientale. Les représentants de l’Union Européenne, de la Banque Européenne de Reconstruction et de Développement ainsi que de l’Autriche et de la Grèce étaient présents en tant qu’observateurs. En effet, ces deux derniers pays sont très intéressés par le développement de la partie sud de la « Nouvelle route de la soie ».
Lors du sommet, les participants ont adopté, sur le thème de « New Beginning, New Domaines, New Vision », les « Directives de Suzhou » [6], feuille de route de la coopération entre la Chine et les « seize » pour l’année suivante ainsi qu’un plan de coopération à moyen terme jusqu’à 2020.
Dans son discours d’ouverture [6], Li Keqiang a annoncé que la Chine mettrait en place les conditions nécessaires pour augmenter ses importations en provenance des « seize », en particulier des produits de consommation courante. Le volume d’échange entre la Chine et les « seize » s’est élevé à 60,2 milliards de dollars en 2014. Toutefois, le déficit étant important du côté des pays d’Europe centrale et orientale, l’augmentation des importations chinoises en provenance de « seize » permettrait de rééquilibrer les balances commerciales.
Par ailleurs, la Chine devrait faciliter le financement des projets communs. A cette occasion, Li Keqiang a proposé une discussion sur la création d’un fond spéciale offert par la Banque Asiatique d’Investissement pour les infrastructures (AIIB). Il a également annoncé des investissements d’entreprises chinoises en Europe centrale et orientale à hauteur de 5 milliards de dollars. Ces investissements pourraient ensuite atteindre une somme à deux chiffres.
La question centrale du IV Sommet était le développement des infrastructures de transports en Europe centrale et orientale. Au cœur se trouve le projet de la « Nouvelle route de la soie », qui représente une alternative aux trajets actuellement utilisés. Cette « Nouvelle route de la soie », composée d’une partie terrestre et d’une partie maritime, permettra de relier la Chine à l’Europe occidentale. Du point de vue de Pékin, l’Europe centrale et orientale est essentielle dans la réalisation de ce projet. Cette région sera au centre de ce nouveau réseau de transport, avec des centres logistiques et des ports sur la mer Baltique qui deviendraient les principaux centres de transbordement de marchandises venues d’Asie. Le sommet de Suzhou a permis de mettre l’accent sur les transports maritimes. Dans ce cadre, on prévoit le développement de ports au bord de la mer Baltique, de l’Adriatique et de la Mer Noire ainsi que le développement de bases logistiques pour augmenter les flux de conteneurs par rails. Par ailleurs, le projet prévoit la construction ou la modernisation d’infrastructures de transport – chemin de fer, y compris des lignes de grande vitesse, de routes et d’aéroports, ainsi que la construction de gazoducs, d’oléoducs et d’infrastructures de télécommunication. La Chine mise en particulier sur le développement de la branche nord de la « Nouvelle Route de la soie » passant par les Pays Baltes. La Lettonie pourrait y jouer un rôle important [7]. La coopération Pékin – Riga, dans les domaines de la logistique et des transports, devrait aboutir à la mise en place du couloir de transport Asie – Europe du Nord. A Suzhou, cinq pays (Pologne, Serbie, République tchèque, Bulgarie et Slovaquie) ont signé avec la Chine des mémorandums sur la promotion des investissements autour de la « Nouvelle route de la soie ».
Du côté chinois, on observe la volonté marquée de promouvoir la synergie entre l’initiative de la « Nouvelle route de la soie » et les stratégies de développement des « seize » pour arriver à une plus grande connectivité entre l’Asie et l’Europe, notamment grâce au développement des infrastructures régionales. Cela permettrait d’accélérer et de libéraliser les échanges et faciliterait les investissements.
Par ailleurs, Li Keqiang a souligné les possibilités qui découlent de la synchronisation, dans le cadre du Format « 16+1 », des politiques du développement des pays d’Europe centrale et orientale avec la stratégie chinoise du développement, notamment dans les domaines prioritaires du 13ème Plan quinquennal de la Chine. La Chine souhaite également la synchronisation des actions du Format « 16+1 » avec les stratégies de l’Union Européenne ainsi qu’avec les plans de coopération entre la Chine et l’UE (Agenda stratégique Chine-UE 2020) et le Plan d’investissement pour l’Europe (plan Juncker). Le premier ministre chinois a évoqué de nouvelles possibilités d’investissements qui pourraient être proposées aux « seize », grâce notamment aux institutions comme l’AIIB et le Fonds de la Route de Soie qui dispose de 40 milliards de dollars.
Dès le début, le Format « 16 + 1 » a été imaginé comme un projet à long terme, une stratégie « gagnant, gagnant », permettant d’obtenir des avantages mutuels et pour la Chine, et pour les « seize ». La coopération dans le cadre du Format a effectivement renforcé la position de la Chine dans les pays d’Europe centrale et orientale et en Europe dans son ensemble. La Chine, qui, jusqu’à récemment, percevait la coopération avec l’Europe au travers du prisme des relations avec les membres occidentaux de l’UE, a acquis, grâce aux mécanismes du Format, des connaissances sur l’Europe centrale et orientale, sa diversité interne, son climat favorable aux investissements, etc. Il en résulte également un renforcement des relations bilatérales entre la Chine et les pays de la zone.
Pour les pays d’Europe centrale et orientale, le Format « 16+1 » est un instrument important qui peut aider les « seize » à approfondir les relations avec la Chine, faciliter la recherche de nouveaux marchés et représente une source de capital pour stimuler la croissance économique. Les investissements chinois, y compris dans l’infrastructure, stimuleront la croissance et contribueront au développement de leurs économies. Les projets relevant de la « Nouvelle route de la soie », comme les centres logistiques et les couloirs de distribution, attireront les investissements chinois, stimuleront les exportations et permettront, à terme, de réduire le déficit commercial.

Toutefois, malgré la forte dynamique de coopération dans le cadre du Format « 16 + 1 », les résultats – tels que la hausse des importations chinoises en provenance des « seize » et les nouveaux investissements en provenance de Chine (en particulier dans les pays appartenant à l’UE) – ne sont pas à la hauteur des espérances. Notamment, pour l’instant, aucun projet de dimension régionale n’a vu le jour.
Il faut préciser que la diversité des « seize » ne facilite pas la coopération avec la Chine. Les attentes sont différentes pour les pays membres de l’Union Européenne et les pays des Balkans non membres. Les premiers attendent plutôt des IDE du type greenfield ou brownfield. Les seconds sont intéressés par des projets chinois d’infrastructures et c’est d’ailleurs dans cette région que sont principalement utilisées les lignes de crédit proposées par la Chine.
Malgré ces obstacles, la Chine poursuit et fait monter en puissance la coopération dans le cadre du Format « 16+1 ». L’Europe centrale et orientale est la région la plus proche des provinces chinoises occidentales, qui ont besoin d’un développement économique rapide. C’est notamment pour cette raison que la Chine a intégré les pays d’Europe centrale et orientale à la « Nouvelles route de la soie ».

 

[1] M. Kaczmarski « Chiny – Europa Środkowo-Wschodnia: „16+1” widziane z Pekinu » 
 [2] J. Szczudlik-Tatar « Chinska ofensywa w Europie Srodkowej i Wschodniej : realizacja strategii12 punktow »
[3] T. Dabrowski « Bukareszt : spotkanie premierów Chin i państw Europy Środkowej i Południowo-Wschodniej »
[4] Sommet de Belgrade
[5] Liste complète de « Directives de Suzhou »
[6] Discours d’ouverture de Li Keqiang, 4e sommet Chine-Pays d’Europe centrale et orientale
[7] M. Kaczmarski, J. Jakobowski,J. Hyndle-Hussein « Szczyt Chiny–Europa Środkowo-Wschodnia: nowa wizja współpracy, stare instrumenty »
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