ANALYSES

Quel est l’impact de la baisse des prix des hydrocarbures sur les économies africaines ? Entre effets macroéconomiques, arbitrages politiques et enjeux géopolitiques.

Tribune
27 janvier 2016
Les économies africaines sont devenues de manière croissante exportatrices d’hydrocarbures, du fait des progrès d’exploration notamment offshore, de la fiscalité attractive, de la stratégie de diversification des risques de la part des puissances et des firmes, d’une compétitivité mondialisée de la part des groupes pétroliers des pays occidentaux et des majors. Les pays africains ont représenté au cours des cinq dernières années 1/3 des nouvelles découvertes d’hydrocarbures dans le monde. 18 pays sont exportateurs nets de pétrole. Récemment, de nouvelles découvertes ont été réalisées en Côte d’Ivoire, au Libéria, au Mozambique au Sénégal ou en Sierra Leone. On estime que la production de pétrole représente environ 12% de la production mondiale.

Les hydrocarbures représentent dans de nombreux pays pétroliers une part très élevée du PIB, des recettes d’exportation et des recettes budgétaires. Les taux sont respectivement de : 85%, 90% et 85% en Guinée équatoriale ; 50%, 85% et 75% au Congo Brazzaville ; 45%, 70% et 50% au Gabon ; 10%, 50% et 20% au Cameroun ; 48%, 98% et 72% en Angola ; 30%, 90% et 60% en Algérie ; 14% au Nigeria (14%). Les économies pétrolières peu diversifiées sont évidemment fortement impactées. Une approche macro-économique montre que la baisse des prix (140$ en 2013 à 30$ en janvier 2016) a des effets récessifs dans les 18 pays membres de l’association des producteurs (APPA) exportateurs nets d’hydrocarbures (chute des devises, des recettes fiscales, ralentissement des investissements et des projets de diversification, ré-endettement, ajustement du budget élaboré sur un prix deux fois supérieur) et des effets expansionnistes plus modérés dans les autres pays importateurs nets.

La réalité est en fait beaucoup plus complexe. Il faut intégrer plusieurs autres facteurs que les jeux de prix, d’offre et de demande :

– Les anticipations des acteurs sur une baisse des prix cycliques ou une tendance baissière lourde (décalage entre l’offre et la demande, spéculation financière, coût marginal de la production de pétrole de schiste, politique durable de l’Arabie saoudite, etc.) avec des effets cliquet et d’inertie et des résiliences liées aux fonds de stabilisation (cas de l’Algérie et de l’Angola disposant de réserves permettant d’amortir à court terme les chocs)…

– Les filières exportatrices, importatrices et internes des hydrocarbures (offshore ou onshore, transports, raffinerie, distribution, etc.). L’exploitation des hydrocarbures dépend de la comparaison entre coûts d’exploitation, prix des hydrocarbures et de la fiscalité. Certains pays matures sont en situation de baisse durable de la production (CEMAC). La production dans d’autres pays est liée au contexte politique (cas de la Libye ou du Nigeria) alors que d’autres nouveaux arrivants ont des capacités fortes d’accroître leur production (Côte d’Ivoire, Libéria, Sierra Leone, Mozambique).

– Les jeux géopolitiques de liens avec les firmes et les Etats dans un contexte géopolitique mondial où la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran ainsi que le ralentissement de la croissance chinoise modifient la donne des Etats africains. La baisse des prix a un impact sur les contrats d’exploration ou d’exploitation, le devenir des projets au sein des filières pétrolières (raffinerie, transport, distribution, la fiscalité pétrolière). Ces effets sont différenciés à court et moyen terme selon la fiscalité pétrolière qui est une des plus faibles du monde ou du fait des effets d’inertie des projets en cours.

– Les interdépendances mondiales du fait des liens entre les prix des hydrocarbures et les autres matières premières, du ralentissement de la croissance mondiale et de la baisse de la demande qui rétroagit sur les pays africains importateurs comme exportateurs de pétrole.

– Les politiques nationales, notamment de subvention et de transition énergétique. L’allègement de la facture pétrolière pour les pays importateurs nets réduit le coût des subventions et l’accroît pour les pays exportateurs. Les subventions sont un enjeu politique majeur. Elles s’élèvent dans certains cas à 3% du PIB en profitant pour près de 44% au quintile le plus élevé. Le coût des subventions s’élève en Algérie à 13% du PIB. De nombreux pays pétroliers, à commencer par le Nigeria, subventionnaient leur production et leur importation de pétrole, soit disant pour ne pas peser sur les consommateurs, mais en fait pour alimenter des circuits de corruption (NPCC). Le Nigeria, exportateur, est également importateur du fait de différences de qualité du pétrole, de défaillances des raffineries et surtout des transactions corruptives liées aux importations (octroi de licences, marges). Les Etats mènent des politiques très diverses de transition énergétique. Les pays risquent plutôt de ralentir leurs projets d’énergie renouvelable, mais certains comme l’Ethiopie l’ont renforcé en répondant aux objectifs de la COP21. Les politiques nationales sont liées, également, à l’existence ou non de fonds de stabilisation (cas de l’Algérie ou de l’Angola), à la débudgétisation des recettes pétrolières, aux politiques de change ou de stabilisation des prix intérieurs.

Les impacts quant au développement sont fonction de la manière dont les pays ont bénéficié de la période des vaches grasses pour diversifier ou non leur économie et mettre en place des projets structurants. La chute des prix permet de casser les rentes et de réduire les effets de Dutch disease. Les impacts sociaux concernent notamment les pays qui, tels l’Algérie, ont acheté la paix sociale par la rente pétrolière. Les impacts sécuritaires sont liés la baisse de capacité de financement des forces armées (exemples du Cameroun, du Nigeria ou du Tchad contre Boko Haram) mais, inversement à la réduction des transactions corruptives, des nuisances ou des collusions qui alimentent le terrorisme.

Il n’y a pas de relations immédiates entre des variables macroéconomiques. Celles-ci dépendent du contexte interne et mondial et des politiques menées. La volatilité des prix des hydrocarbures sont révélatrices des politiques à court terme des décideurs et de la faiblesse des stratégies de stabilisation et de diversification qui sont seules à même de conduire au développement. La chute des rentes a évidemment un coût social pour les catégories des transactions corruptives, des subventions ou des redistributions qui achètent la paix sociale. Elle peut être aussi une opportunité pour réduire les effets pervers des mannes extérieures et la malédiction des ressources naturelles. La comparaison de la croissance des économies africaines durant la période 2000-2014, de prix élevés des hydrocarbures montre qu’elle a été comparable pour les pays exportateurs nets d’hydrocarbures et les pays importateurs nets qui ont connu une plus grande diversification économique. En revanche, il est toujours très difficile politiquement de revenir sur des acquis.
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